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La firme de génie Roche prête à corrompre un maire en retour de contrats

Le maire de Gaspé, François Roussy

Le maire de Gaspé, François Roussy

Radio-Canada

La firme de génie-conseil Roche était prête à tout pour obtenir des contrats publics, selon ce qu'on peut lire dans le mandat de perquisition exécuté le 29 janvier et dont la Cour supérieure vient de dévoiler de nouvelles portions.

Un texte d'Isabelle RicherTwitterCourriel

Un consortium de médias avait obtenu une version largement caviardée de ce document le mois dernier, mais il était alors assez difficile d'avoir un portrait des stratégies déployées par les dirigeants de la firme. La nouvelle version du document nous permet d'y voir un peu plus clair.

On savait déjà que Roche comptait sur l'influence politique de Marc-Yvan Côté pour se frayer un chemin dans l'appareil gouvernemental. On apprend maintenant qu'en 2008, elle aurait contribué illégalement à la caisse électorale de deux députés libéraux, dont Georges Mamelonet, député de Gaspé de 2008 à 2012. Après son élection, Georges Mamelonet a assuré la firme Roche qu'elle pouvait compter sur lui.

De plus, l'entreprise n'aurait pas hésité à corrompre le maire de Gaspé, François Roussy (maire de 2005 à 2013), en l'invitant, toutes dépenses payées, à Saint-Malo, en France, pour un congrès sur l'ingénierie qui durait une semaine. La date de ce voyage est toujours caviardée dans le mandat de perquisition.

Cependant, le document indique qu'en février 2009, François Roussy impose une condition à Roche pour qu'elle continue à obtenir des contrats de la municipalité de Gaspé. Le maire Roussy exige de la firme de génie une ristourne «  de 5 % des honoraires engendrés par les contrats dans le fonds de renouvellement des infrastructures. Cette ristourne servait à financer des projets pour la communauté de Gaspé  ».

Roche soignait ses relations avec la communauté de Gaspé de bien d'autres façons, notamment en relançant le club de hockey senior, à la demande du maire Roussy. La firme de génie a élaboré un plan de commandite, démontrant ainsi sa grande implication dans la municipalité. Roche « devient un sauveur de la communauté et écarte les firmes en compétition pour des contrats, ce qui [la] positionne favorablement pour l'obtention de futurs contrats », peut-on lire dans le document.

Des ordres qui venaient de haut

Dans une note du 2 décembre 1994 adressée à Marc-Yvan Côté, le président du conseil d'administration de Roche, Pierre Lacroix, indique les stratégies à adopter pour le développement des affaires.

On peut y lire :

- dons à des partis politiques (fédéral, provincial, municipal);
- influencer le promoteur (client) sur le processus d'appel d'offres;
- invitation à une activité sportive (golf, tennis, pêche, chasse).

Dans la nouvelle version du document, on apprend que l'enquête Joug, qui porte sur le financement illégal du Parti libéral du Québec, examine l'implication de l'ancien ministre des Transports Marc-Yvan Côté dans ce financement illégal au sein de la firme Roche. L'ancien organisateur libéral a quitté la politique en 1994 pour devenir vice-président au Développement des affaires chez Roche, poste qu'il a occupé jusqu'en 2005 avant de devenir consultant pour la même firme.

Mais l'analyse des serveurs informatiques a révélé aux enquêteurs de l'Unité permanente anticorruption (UPAC) l'existence de plusieurs autres acteurs reliés aux activités de financement des partis politiques, dont France Michaud, elle aussi vice-présidente chez Roche.

Les enquêteurs sont à la recherche de documents dans le cadre d'une enquête.

Les enquêteurs sont à la recherche de documents dans le cadre d'une enquête.

Photo : Jean-François Nadeau

Des listes et des rapports incriminants

Les courriels retrouvés dans les serveurs ont donné beaucoup d'informations aux policiers, notamment sur les interventions que faisait Marc-Yvan Côté auprès du cabinet de la ministre des Affaires municipales de l'époque, Nathalie Normandeau, pour faire avancer certains dossiers.

Comme l'a révélé un autre mandat de perquisition rendu public récemment, la ministre Normandeau aurait autorisé une subvention pour un projet d'usine de traitement des eaux à Boisbriand, à l'encontre de l'avis répété de plusieurs fonctionnaires du ministère des Affaires municipales, des Régions et de l'Occupation du territoire (MAMROT), au fil des ans.

Un témoin rencontré par l'UPAC a déclaré que « le taux de subvention avait été majoré par la ministre Normandeau. Selon [...], la ministre n'avait pas l'autorité de surhausser ce taux puisque le taux applicable pour ce type de projet et selon les règles et les normes établies est de 66 2/3 % ».

Plus loin dans le document, on peut lire que les policiers ont mis la main sur « une liste de dossiers ayant bénéficié d'un taux d'aide financière à la discrétion du ministre en place. Cette liste consiste en un recensement de projets dans diverses municipalités du Québec qui étaient refusés par les fonctionnaires politiques, mais qui finalement ont reçu une subvention par le ministre du MAMROT en place. » La liste indique une cinquantaine de projets, dont 18 ont été confiés à la firme Roche dans l'est du Québec.

Rien ne semblait arrêter Roche, puisque le document révèle que la firme aurait même utilisé un rapport fabriqué de toutes pièces afin d'obtenir un contrat.

Pour démontrer qu'elle était impliquée depuis des années dans un projet du secteur de la Côte Surprise à Percé, Roche aurait demandé à l'entreprise Les Consultants Lapel (une division de Roche) de fabriquer un faux rapport daté du 15 novembre 1995. Grâce à ce faux document, la firme de génie aurait obtenu un projet en démontrant « son antériorité auprès de la municipalité », ce qui lui permettait de contourner la loi 106 (la règle du plus bas soumissionnaire).

L'intervention du DGEQ n'a rien changé

Le document judiciaire indique que Roche aurait multiplié les contributions aux partis grâce à des prête-noms ainsi qu'à un système de fausse facturation qui servait à rembourser les employés et les dirigeants participant au stratagème.

Roche a pu compter sur trois entreprises (Les Consultants FBG, Noram experts-conseils et Kwatroe Consultants) pour camoufler des fausses factures totalisant plus de 25 000 $. Deux de ces entreprises ont d'ailleurs été achetées par Roche en 2008 et en 2010.

Un témoin a raconté aux enquêteurs de l'UPAC combien le système de contributions politiques faites par les employés et les dirigeants de la firme Roche était bien installé. C'est Marc-Yvan Côté lui-même qui lui en a expliqué le fonctionnement.

Au cours des premières années, les dons qu'il faisait aux partis lui étaient remboursés par ses notes de frais ou alors par de faux bonis que la firme lui octroyait. D'ailleurs, selon le document, « tous les vice-présidents devaient contribuer au financement politique pour des montants précis. L'argent devait être remis au moment où les bonis étaient accordés ». Les sommes étaient ensuite confiées à France Michaud.

C'est grâce à un «  stratagème triangulaire de fausse facturation  » que Roche pouvait obtenir de l'argent comptant pour rembourser les employés. Roche faisait appel à ses sous-traitants pour camoufler la fausse facturation, lit-on dans le document.

À partir de 2006, Roche a modifié ses procédures de remboursement aux employés à la suite d'une intervention du Directeur général des élections du Québec (DGEQ), mais la firme n'a pas cessé d'avoir recours au système de prête-noms pour autant. Selon le témoin, le vice-président et actionnaire de Roche, Serge Dussault, l'a rencontré pour lui offrir une augmentation de salaire de 10 000 $ qui servirait à couvrir le montant des contributions politiques.

Chasse et pêche

Les serveurs informatiques sont pleins de surprises. Dans l'un d'eux, les policiers ont retrouvé un registre « Chasse et pêche 2007 » qui mentionne un montant de 32 975 $ pour des activités au Leaf River Lodge, au Saguenay. Un voyage de pêche en août 2007 est inscrit, mais on ignore qui étaient les invités. Cependant du 24 au 30 août 2007, ce même registre indique qu'un voyage de chasse a réuni Marc-Yvan Côté, le chef de cabinet de la ministre Normandeau, Bruno Lortie, et une troisième personne dont le nom est caviardé.

Les policiers ont donc obtenu un mandat de perquisition dans les locaux de la firme Roche en faisant valoir au juge qu'ils avaient des motifs de croire que plusieurs crimes avaient été commis, notamment un complot avec les dirigeants d'une municipalité afin de monter un faux projet de taxation dans le but d'obtenir une subvention du gouvernement du Québec, des contributions illégales à la caisse électorale du député Georges Mamelonet lors de la campagne de 2008, du trafic d'influence de la part de Marc-Yvan Côté auprès des autorités politiques afin de faire cheminer un projet qui piétinait, d'actes de corruption pour avoir invité des fonctionnaires dans un voyage payé par la firme.

L'enquête sur le financement illégal au PLQ s'est amorcée en 2011 et a conduit l'UPAC à la permanence du parti, dans des entreprises appartenant à Marc Bibeau, l'ex-grand argentier du PLQ sous Jean Charest, dans les bureaux de Roche à Québec et finalement chez Marc-Yvan Côté à Baie-Saint-Paul. Et finalement la semaine dernière, l'UPAC a perquisitionné dans les bureaux municipaux de Gaspé et de Percé et dans le bureau de Roche à Gaspé.

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