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Il faut optimiser la transformation du bois récolté pour séquestrer le carbone le plus longtemps possible. Photo : Gilles Gagné.
20 novembre 2019 13 h 49

Captation de carbone : « Le Québec peut faire bien mieux », selon Luc Bouthillier

Gilles Gagné

Journaliste

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Les émissions de carbone risquent au cours des prochaines années, des prochaines décennies, d’étouffer l’humanité, en raison de la baisse de la qualité de l’air. Parallèlement, d’importantes aires habitées, toutes les grandes villes portuaires situées au niveau de la mer notamment, risquent aussi d’être submergées parce que ces émissions font fondre les glaciers situés au Groenland et en Antarctique. Une bonne partie de ces émissions, prenant souvent la forme de dioxyde de carbone, sont causées par l’effet croissant des activités humaines. C’est ce qui explique la préoccupation d’un nombre tout aussi croissant de scientifiques et de citoyens inquiets à l’endroit de la réduction de ces émissions polluantes et de la captation de carbone. Les arbres et le bois qui en découlent constituent les principaux alliés de cette captation de carbone, quand on ne peut en éviter les émissions. En tant que région forestière, la Gaspésie est appelée à jouer un rôle dans l’interception des gaz à effet de serre. GRAFFICI jette un coup d’oeil sur plusieurs aspects du dossier carbone et sur les efforts déployés par des Gaspésiens pour faire leur part dans le contrôle nécessaire des gaz polluants.

La dernière campagne électorale fédérale a donné lieu aux échanges environnementaux les plus animés depuis la fondation du Canada en 1867 et au « garrochage » simultané d’une panoplie de chiffres sur les intentions de certains partis en matière de captation de carbone.

Le Parti libéral de Justin Trudeau a promis de planter deux milliards d’arbres au cours de la prochaine décennie, tandis que le Parti vert dirigé alors par Élizabeth May, y allait d’un engagement de 10 milliards d’arbres.

Docteur en foresterie, enseignant à l’Université Laval et observateur attentif de la scène forestière gaspésienne, Luc Bouthillier parle avec animation des points sur lesquels le public intéressé par l’amélioration du bilan de carbone pourrait jeter un coup d’oeil dès maintenant. Humblement, il ressent l’appel de remettre certaines données en perspective.

« Les chiffres de M. Trudeau sont logiques, sur 10 ans. Ça fait 200 millions d’arbres par an. Il faut dire que 650 millions d’arbres sont déjà plantés chaque année au Canada. Pour que ce soit efficace, il ne faudrait pas que ces arbres soient plantés pour faire du reboisement, mais du boisement. Le reboisement, c’est le maintien d’une forêt déjà productive. Avec le boisement, on change d’affectation. Le boisement vise à remettre en production des territoires improductifs, surtout des grands brûlés qui ne se régénèrent pas, comme dans l’Ouest canadien et sur la Côte-Nord, ou des sites miniers. Ça prend de nouvelles pratiques. Ce qui manque, c’est le suivi environnemental nécessaire sur 10 ans », précise le professeur Bouthillier.

La situation gaspésienne est particulière du fait que la régénération naturelle est très forte. On est loin d’un territoire nécessitant du reboisement massif, note le professeur, qui a fait, en début de carrière, quelques-uns de ses premiers inventaires forestiers dans la péninsule.

« Marcher dans 40 000 tiges à l’hectare, c’est courant en Gaspésie, alors que 2 000 ou 2 500 tiges suffisent pour avoir une forêt productive », signale M. Bouthillier.

Il souligne de plus qu’en forêt à dominance résineuse, « la coupe avec protection de la régénération, ça fait partie de la solution puisque 80 % de la surface se regénère d’elle-même. On voudrait minimiser les interventions, puisque la nature est généreuse. On reboise 20 % de la surface en forêt résineuse (…). Il faut se rappeler que la plantation, c’est une source nette de production de carbone. On peut limiter le dégagement de carbone en brassant le sol le moins possible », explique-t-il.

Des interventions « musclées » comme la scarification du sol avant le reboisement produisent donc aussi du carbone, et il peut s’écouler cinq, 10 ou 15 ans avant que la captation de carbone des arbres plantés sur ces aires puisse contrebalancer ces émissions.

« Utiliser la forêt pour capter le carbone, c’est compliqué. C’est un défi. C’est le défi de la nouvelle foresterie. Je pense qu’on va être capable de trouver cette foresterie fine », résume Luc Bouthillier.

Cette foresterie fine se traduit rarement par des interventions homogènes sur des grandes surfaces. « Presque chaque hectare commande une intervention particulière », ajoute-t-il.

« Utiliser la forêt pour capter le carbone, c’est compliqué. C’est un défi. C’est le défi de la nouvelle foresterie. Je pense qu’on va être capable de trouver cette foresterie fine », résume Luc Bouthillier.

Les partis fédéraux sont, du reste, loin d’avoir le monopole du manque de discernement en foresterie. Pierre Dufour, ministre québécois des Forêts, a soulevé toute une controverse le 30 septembre en affirmant qu’il « faut couper notre forêt qui vieillit et l’améliorer avec une nouvelle forêt qui est du nouvel ensemencement ».

Cette affirmation manque de subtilité, précise le professeur Bouthillier. « C’est (la captation de carbone) proportionnel à la croissance et la taille de l’arbre (…). À partir de 30 ans, et jusqu’à 100 ans en Gaspésie, la captation est bonne. À 80 ans, il (l’arbre) ralentit un peu mais il est tellement gros que ça continue à être significatif », dit-il.

« Un jeune sujet est plus agile et compétent mais en pourcentage, ça ne fonctionne pas », ajoute-t-il, pour rappeler que des arbres de 30 ou 80 ans, à cause de leurs proportions, capteront plus de carbone que des plants de deux, cinq ou 10 ans. Il suffit de comparer la surface couverte par les anneaux concentriques pour le réaliser.

Luc Bouthillier précise que le ministre Dufour « cherche le trouble » en voulant mettre l’accent sur des espèces comme l’épinette noire alors qu’en Gaspésie, « c’est une sapinière (…). L’article 4 de la loi sur l’aménagement forestier stipule que le ministère s’engage à faire de l’aménagement écosystémique (…). Ça veut dire tenir compte de la biodiversité, de la régulation hydrologique, des paysages, du type de forêt. Ça complique l’équation ». « En foresterie, on peut faire une omelette sans casser des oeufs, à condition de faire attention, de raffiner nos pratiques », dit-il.

Mettre l’accent sur les produits à valeur ajoutée

L’ingénieur souligne que « le véritable stockage, c’est en usine, quand on fabrique des produits de bois. Le papier permet de stocker le carbone pendant deux ans, le bois de sciage séquestre le carbone pendant 50 ans alors que les poutrelles, les pièces lamellées-collées l’emprisonne pendant 100 ans. Chaque mètre cube de produit du bois séquestre une tonne de gaz à effet de serre », note-t-il.

Le Québec améliorerait ainsi considérablement son bilan de carbone avec une politique plus vigoureuse d’utilisation du bois dans la construction de grands édifices, une avenue dont on entend parler depuis plus d’une décennie, mais qui prend du temps, beaucoup de temps à mettre en oeuvre. « Il faut créer un effet de substitution. Une poutrelle d’acier produit des gaz à effet de serre (…). Dans le cas du béton, l’empreinte est encore plus forte. Il faut ajouter dans l’équation de la production de gaz à effet de serre la fabrication et les systèmes de substitution. L’effet le plus immédiat (pour la réduction des GES), c’est la substitution. L’avenir des papeteries n’est pas brillant. Il est donc préférable de choisir le bois. On produit des 2 par 4, des 2 par 6 ou des 1 par 1. On peut les vendre sous cette forme, mais c’est encore plus efficace, et plus rentable, si on les assemble pour faire des poutres de bois et d’autres produits efficaces pour lutter contre les changements climatiques », analyse M. Bouthillier.

Qu’est-ce que la captation de carbone?

« Ça part d’un raisonnement biologique, physiologique. Un arbre a besoin de CO2 pour vivre, pour faire de la photosynthèse, pour transformer ce CO2 en sucre, qui avec l’aide de l’énergie de la lumière, devient de la cellulose. On appelle ça du bois. Il s’agit de siphonner le CO2 présent dans l’air. On appelle ça la respiration des arbres », explique Luc Bouthillier. Le C du CO2, c’est le carbone recherché par les arbres pour croître. Le processus de captation purifie de plus l’oxygène dont ont besoin les êtres humains pour vivre, puisque les arbres rejettent ensuite cet oxygène dépourvu de carbone.

Quel est le coût de la compensation carbone?

Selon les normes suggérées par Compensation CO2 Québec, un arbre peut capter 180 kilos de CO2 durant sa vie. D’autres organismes suggèrent 200 kilos par arbre, le chiffre utilisé par SARGIM et Pépinière Baie-des-Chaleurs, précise l’expert-conseil Maxime Cotnoir, de Maria. SARGIM vend ses plants destinés à la compensation de carbone au coût unitaire de 5 $. Considérant que certains jeunes arbres meurent après leur plantation, SARGIM abaisse à 145 kilos la captation de carbone par arbre. Les employés de la coopérative mettent conséquemment en terre 120 graines pour chaque tranche de 100 arbres à vendre éventuellement. Les Québécois (ce qui inclut les émissions industrielles, commerciales et institutionnelles) ont généré 81,7 millions de tonnes de GES en 2015. C’est une moyenne de 9,9 tonnes par habitant. Il faudrait que chaque Québécois achète 68,3 plants d’arbres par an et s’assure de leur croissance pour faire du Québec un territoire carboneutre. La note sera de 340 $ par citoyen. Les 91 000 Gaspésiens et Madelinots, incluant les entreprises, devraient donc globalement consacrer 30,94 M $ par an pour assurer leur carboneutralité, s’ils choisissaient la plantation d’arbres comme unique moyen pour y arriver. Il leur faudrait 6 215 300 plants. La note québécoise s’élèverait à 2 897 615 347 $, ou presque 2,9 milliards$, pour acheter 579 523 110 arbres. Rappelons que 650 millions d’arbres sont plantés au Canada annuellement. C’est ce qui fait dire à bien des experts que l’investissement dans la réduction des GES à la source constitue un élément fort valable de la combinaison de moyens qui permettront d’arriver un jour à la carboneutralité. La tâche sera colossale, avec presque 82 millions de tonnes à compenser.

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