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Les trains de ciment sont chargés à New Richmond et Nouvelle au lieu de l’être au point d’origine, chez Ciment McInnis à Port-Daniel. Le transport par camion entre Port-Daniel et New Richmond ou Nouvelle coûte plus cher et génère davantage de gaz à effet de serre que si le ciment était chargé dans des wagons à Port-Daniel. C’est sans compter une somme importante d’intrants arrivant à Ciment McInnis en camion, alors qu’ils pourraient y être acheminés par train.
7 février 2020 17 h 03

Le retour des services ferroviaires complets de Matapédia à Gaspé : une épreuve de patience

Gilles Gagné

Journaliste

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New Richmond | Au début de 2017, les meneurs socio-économiques de la Gaspésie se débattaient depuis deux ans pour faire comprendre au gouvernement du Québec qu’il fallait réparer le réseau ferroviaire jusqu’à Gaspé au plus vite. Le gouvernement Couillard a fini par saisir le message le 5 mai de la même année en annonçant 100 M$ pour rouvrir la voie ferrée de Caplan à Gaspé. En choisissant d’assujettir la tâche au Bureau des grands projets, découlant de la Directive sur la gestion des projets majeurs d’infrastructure publique, l’État a toutefois opté pour un processus lent et coûteux.

Le maire de Gaspé, Daniel Côté, était l’un de ces meneurs socioéconomiques poussant très fort pour que la réouverture de l’axe Caplan-Gaspé se fasse au plus coupant. Au début de 2017, le plus gros employeur de sa ville, LM Wind Power, agrandissait ses
installations afin de répondre à un immense contrat d’exportation de pales éoliennes signé pendant l’été 2016 et faisant passer son personnel de 185 à 485 employés.

Il s’agissait d’acheminer annuellement dans le sud des États-Unis 1200 pales éoliennes par rail, pendant près de cinq ans. General Electric, la nouvelle compagnie mère de LM Wind Power, devenait du coup le plus gros client de la Société du chemin de fer de la Gaspésie, l’exploitant de la voie ferrée Matapédia-Gaspé. Les 1800 wagons requis annuellement pour transporter ces pales constituaient et constituent encore la plus importante source de revenus de la SCFG, parce que LM est son plus gros client en termes de nombre de wagons et parce que c’est du transport surdimensionné requérant une attention particulière.

Daniel Côté, comme d’autres observateurs attentifs en ce matin d’annonce des 100 M$ par le premier ministre Couillard, craignait, en raison du recours au Bureau des grands projets, une entité dotée d’une marche à suivre rigide, que « ça prenne du temps et que ça coûte cher ».

Ce sera le cas. Alors que les études les plus détaillées, celle de Hatch Mott MacDonald en 2011 et celle de Canarail en 2014 situaient le coût de la réfection du tronçon Matapédia-Gaspé à 93,5 M$ et à 86 M$ respectivement, il est maintenant acquis que les 100 M$ du gouvernement Couillard seront insuffisants. À l’aube de la campagne électorale de 2019, la députée de la circonscription de Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine, Diane Lebouthillier, a annoncé 45,8 M$ de plus pour le chemin de fer gaspésien.

Au rythme actuel de réfection et considérant le lourd processus caractérisant le Bureau des grands projets, il faudra assurément 50 M$ de plus que ces 145,8 M$, peut-être davantage, pour compléter le chantier jusqu’à Gaspé. Toutes les études réalisées entre 2010 et 2014 sont notamment écartées parce qu’elles sont considérées périmées après cinq ans.

De plus, l’état des ponts ferroviaires, s’ils ne sont qu’inspectés au lieu d’être entretenus, se détériore avec le temps comme à peu près toute construction. Or, aucun train n’est passé à l’est de Caplan après 2014. L’ex-ministre québécois des Transports, Robert Poëti, a décrété la mise en dormance de la section Caplan-Gaspé en mars 2015, quand son ministère a annoncé l’acquisition du tronçon Matapédia-Gaspé.

« Il aurait fallu pour accélérer la réalisation des travaux sortir le chemin de fer dans le giron du MTQ (ministère des Transports du Québec) et le remettre au privé, ou à la Société du chemin de fer de la Gaspésie (SCFG). Là, ce serait allé vite », note le maire Côté, statuant qu’il aurait dans ce cas tout de même fallu trouver une formule pour que des fonds publics soient dirigés dans ce projet.

La Société du chemin de fer de la Gaspésie est une entité municipale créée en deux étapes, en 1996 pour l’acquisition du tronçon Chandler-Gaspé, et en 2007 pour l’axe Matapédia-Chandler. Des erreurs stratégiques et de gestion imputables à l’ancienne administration de la SCFG et l’austérité budgétaire du gouvernement Couillard ont toutefois mené le transporteur à se placer sous la protection des tribunaux le 21 novembre 2014. C’est pendant les mois suivants que la propriété du tronçon Matapédia-Gaspé a été transférée à Transports Québec. Le ministère a effacé des créances de 3,9 M$. La SCFG est demeurée exploitante des trains de marchandises.

Erreur fondamentale

L’ex-député de Gaspé, Gaétan Lelièvre, a livré une bataille constante pour protéger l’intégrité de la voie ferrée gaspésienne et convaincre le gouvernement Couillard de changer d’avis sur la mise en dormance de l’axe Caplan-Gaspé, d’autant plus qu’en 2015-2016, il était évident que deux clients majeurs émergeraient de ce secteur, LM Wind Power et Ciment McInnis.

« L’épisode d’acquisition et la mise en dormance ont été très durs pour le dossier du chemin de fer. Avec tous les moyens dont disposait le gouvernement, la mise en dormance renvoyait une vision pas très optimiste de l’économie de la région, alors que le contexte allait déboucher sur deux avancées majeures. Le gouvernement a acquis pour une somme minime, 3,9 M$, un chemin de fer dont la valeur de récupération se situait à 20 M$. C’était voler la région d’un actif. Et il a fallu attendre deux ans avant que le gouvernement dise à la région qu’il allait investir », évoque-t-il.

M. Lelièvre assure que la résistance constante des meneurs socioéconomiques et l’insistance de la population ont forcé la main au gouvernement Couillard en ce qui concerne les 100 M$ de 2017.

« Ils attendaient de fermer les livres après deux ans (entre Caplan et Gaspé). Il y a eu détérioration des infrastructures pendant tout ce temps », note-t-il.

Le président de la SCFG, Éric Dubé, se souvient d’un échange avec l’ex-ministre Robert Poëti. « Il disait avoir 36 M$ pour une piste cyclable si on ne réussissait pas à trouver des clients pour la section en dormance ».

Gaétan Lelièvre soutient que si le gouvernement Couillard n’avait pas interrompu en 2014 les programmes de réfection de la voie ferrée entrepris par les gouvernements Charest et Marois, « il y aurait eu moyen de transporter les pales et le ciment à partir des lieux d’origine, Gaspé et Port-Daniel quand les besoins se sont manifestés » en 2016 et 2017.

Il ne critique pas entièrement ce qu’a fait Philippe Couillard. « Il y a eu un revirement, un moment charnière avec l’annonce de 100 M$. Je le reconnais, mais c’était un montant sans vision précise, un 100 M$ politique pour calmer la grogne. Ça a été très long avant qu’on voit le déploiement de cet argent. La preuve, c’est qu’en 2019, seulement de 15 M$ à 20 M$ étaient engagés. Ce n’est pas normal. La machine était au ralenti pendant que les besoins étaient urgents », rappelle M. Lelièvre.

Le tronçon Matapédia-Gaspé en chiffres

  • LONGUEUR : 325 kilomètres ou 202,4 milles
  • NOMBRE DE PASSAGES À NIVEAU : 183 (rues et routes secondaires surtout)
  • NOMBRE DE PONCEAUX : 699
  • TUNNEL : 1
  • NOMBRE D’EMPLOYÉS DE LA SCFG : 34
  • NOMBRE DE MURS DE SOUTÈNEMENT : 33
  • NOMBRE DE PONTS : 66 (certains datent des années 1890)
  • REVENUS DE LA SOCIÉTÉ DU CHEMIN DE FER DE LA GASPÉSIE EN 2016 : 625 000 $
  • REVENUS DE LA SCFG EN 2019 : 9 M$ (incluant une subvention de 2,5 M$)

Note : Les revenus de la SCFG auraient été de deux à trois fois supérieurs à ce qu’ils ont été en 2019 si le transporteur avait pu charger les pales à Gaspé et le ciment à Port-Daniel. Les revenus sont déterminés de façon importante par la distance parcourue, puis par le tonnage.

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