Concours d’écriture, catégorie adulte : Anatole De Baerdemaeker
C’est avec fierté que l’équipe de GRAFFICI poursuit avec son 4e concours d’écriture consécutif, cette fois sous le thème « Ailleurs ». Les gagnants recevront chacun un chèque-cadeau de 250$ qu’ils pourront utiliser dans une librairie agréée de la région. Nous désirons souligner une fois de plus l’apport de Philippe Garon au concours, par l’offre d’ateliers d’écriture gratuites sur le territoire. Ces ateliers ont su encourager et stimuler la créativité des jeunes et moins jeunes qui désiraient participer au concours. Cette année, le jury était composé de Suzanne Doucet, Marie-Claire Martin, Agathe Bourque et Alvina Levesque, qui ont toutes pris grand plaisir à lire les textes soumis. La majorité des récits se sont avérés de bonne facture. Le thème a été respecté alors que la qualité et la diversité des styles ont été jugées prometteuses. Le jury encourage les participants et les participantes à continuer d’écrire et tient à féliciter les gagnants. À noter par ailleurs que n'ayant pas reçu de textes dans la catégorie « Français langue seconde », nous vous présentons deux textes de la catégorie « Adulte ». Chaque auteur recevra un prix. De plus, il est encore temps de soumettre vos textes pour la catégorie « Étudiant ». Le texte gagnant de cette catégorie ainsi que le prestigieux Coup de coeur du jury seront publiés en juin. Le tout a été rendu possible grâce aux partenaires du journal que sont les caisses Desjardins de la Baie-des-Chaleurs, la démarche Complice – Persévérance scolaire Gaspésie-Les-Îles, Courant culturel et l'entente de développement culturel du Rocher-Percé. Bonne lecture!
Les récoltes du vent
Anatole De Baerdemaeker
Cap-Chat
Plus que quelques instants de lucidité. Mes paupières tremblotent de fatigue sur mes yeux humides. Je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour rester éveillé mais, j’entends déjà les mots de mon père qui s’éloignent. Je suis sur le point de tomber dans un sommeil profond et mon père, lui, ne se doute de rien encore et continue à raconter l’histoire qui me berce. Est-ce sa voix qui m’endort? Est-ce sa présence qui me love? Est-ce ma fatigue qui me couche? Pas tout à fait. C’est le rêve qu’il me conte que je m’empresse d’aller rejoindre. Un rêve qui a commencé à se former il y a bien longtemps. De la même façon qu’un brin de vent, en ce moment-même, quelque part, loin d’ici, commence à amasser ce qu’il croise sur son chemin, pour qu’un jour un merveilleux conte rêveur en découle et vienne m’endormir à son tour.
Pendant que je m’endors, un vent, quelque part, se réveille. Entendez-le souffler. Il se réveille avant tout le monde. Avant le soleil, encore occupé à réchauffer d’autres surfaces de la terre. Avant les pêcheurs et les boulangères, pourtant au travail bien avant l’aube. Avant même que les ombres prédatrices des chouettes discrètes et gourmandes ne viennent tacher la lune. Il émerge à l’abri de tous les regards et loin de toutes les peaux sensibles de nos corps. Il naît sans créer aucun remous, aucune vague, aucun dérangement. Pourtant, malgré cette somptueuse discrétion, cette capacité
d’échapper à tous les regards, il ne lui faudra que peu de temps avant d’imposer sa présence tout autour du globe. Telle est son immensité. Ainsi s’apprête-t-il à s’accomplir en miracle. Une présence et une invisibilité divine. Tout cela, pendant que je m’endors.
Mes yeux sont maintenant solidement fermés et mon être au complet est endormi. Le vent de son côté ne s’autorise pas la même tranquillité. C’est un tour du monde qui l’attend. C’est une récolte fructueuse qu’il se promet. En traversant les champs du monde, le vent tend ses mains de fermier pour remplir son devoir pollinisateur. En sillonnant le globe, le vent traîne son pied marin pour gonfler les voiles trop plates. En déambulant le long de nos villes, le vent lâche son regard fuyant pour venir surprendre les moins averti.e.s. En slalomant entre nos maisons, le vent laisse traîner ses écailles pour violemment refermer les malheureuses portes et fenêtres oubliées. En propageant les musiques de nos fêtes, le vent fait danser le monde et entretient sa vie.
Mais de toutes ses forces, de tous ses pouvoirs et de tous ses devoirs, c’est son rôle vis-à-vis de la beauté du monde et sa place dans la poésie que le vent préfère. En effet, en découvrant toutes les contrées de la terre, le vent laisse bien volontiers glisser son oreille de poète pour recueillir des dialogues banals et insoupçonnés, pour timidement récupérer des déclarations brûlantes d’amour, pour retenir des disputes violentes et honnêtes.
Pendant que mon cheminement nocturne progresse, le vent également avance dans son tour du monde et accomplit ses multiples tâches. Bien loin de mon lit, le vent vole et virevolte. Il échappe de justesse à un coup de hache de bûcheron en pleine Sibérie, il s’éclate en gouttes d’eau salée et tiède sur les coques des bateaux de la mer Caspienne, avant d’aller faire pleuvoir du sable saharien jusqu’au Cap de Bonne-Espérance. Probablement essoufflé, il s’y repose dans les voiles des courageux navires passant par là, qui le remontent aux éclatantes célébrations indiennes, d’où il s’envole sur les vapeurs chaudes de la fête jusqu’au plus haut de la stratosphère. Il s’accroche aux liasses d’air les plus puissantes des parages. Chargé de tonneaux débordants, le vent maintenant épuisé, cherche à se soulager de l’air vivifiant porté depuis les forêts oubliées de Scandinavie. Des effluves d’odeurs délicieusement bruyantes des marchés d’Andalousie. De la frivolité des chants des merles boréaux transposés en symphonies fluviales. Des semences et des bribes de conversations cueillies entre deux bédouins chamailleurs, attrapées au détour d’une dispute familiale ou volées aux ours polaires rugissant sur la banquise de l’Arctique.
Il est temps pour le vent de se libérer des souvenirs de ce fabuleux tour du monde. Il devra faire preuve d’une confiance épanouissante à l’égard de celleux qui accueilleront ces cargaisons de récits et de vie. Aussi exceptionnel que pourrait sembler ce débarquement, il s’accomplit quotidiennement et miraculeusement au large des côtes bienveillantes de la Gaspésie. Pendant que j’y dors encore confortablement dans mes draps chauds, ma mère, matinale et promeneuse des plages, s’attarde déjà à pelleter les nuages de rêves et de récits qu’un vent vient de poser par-là. Ma mère, improvisant avec ce que le vent a à lui offrir ce matin, commence déjà à faire mijoter mon histoire de ce soir.
Lire le texte de Patricia Poulin