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29 mars 2023 15 h 18

DOSSIER SÉBASTE 3/5 : TRANSFORMATION

Gilles Gagné

Journaliste

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SAINTE-THÉRÈSE-DE-GASPÉ | Même s’il est sous moratoire depuis 28 ans, le sébaste est transformé dans quelques usines gaspésiennes, en vertu de pêches scientifiques visant à poursuivre son évaluation, de même que ses allers et venues. Il est aussi transformé aux Îles-de-la-Madeleine, où cette espèce a pratiquement toujours joué un rôle plus important qu’en Gaspésie.

Il y aura des usines intéressées à accueillir des volumes de sébaste

Du côté sud de la péninsule, quelques entreprises ont continué à transformer le sébaste de façon ininterrompue depuis le moratoire de 1995, comme Lelièvre, Lelièvre et Lemoignan, de Sainte-Thérèse-de-Gaspé.

« J’ai toujours “fait” un peu de sébaste. Avant le moratoire, on a atteint un volume de 500 000 à 600 000 livres par année. Par la suite, il y avait des prises accidentelles et des petits quotas, venant de ce qu’on appelle les pêches “index” [une pêche exploratoire]. Il y a toujours eu 1000 tonnes de sébaste à pêcher dans le golfe », note Roch Lelièvre, président de Lelièvre, Lelièvre et Lemoignan.

« J’ai des pêcheurs gaspésiens et des pêcheurs du Nouveau-Brunswick qui livrent leur sébaste ici, ou il arrive qu’on aille le chercher à Rivière-au-Renard. On s’organise avec Pêcheries Gaspésiennes dans ce cas. La pêche se fait au chalut, sauf les prises accidentelles des pêcheurs de turbot », poursuit-il, faisant référence à une vieille collaboration avec l’entreprise de Rivière-au-Renard.

Les marchés de Lelièvre, Lelièvre et Lemoignan pour le sébaste transformé sont géographiquement distants de la Gaspésie, en premier lieu, puis l’un de l’autre.

« On vend en Asie et aux États-Unis. Le marché de l’Asie s’est développé entre 2005 et 2010. On vend des filets aux États-Unis, et des poissons avec la tête coupée ou pas en Asie, mais éviscérés. Au cours des quatre-cinq dernières années, on en transforme pour l’appât. On en a fait 100 000 livres pour ça l’an passé », explique Roch Lelièvre.

La valeur assez faible du sébaste au débarquement, autour de 50 cents la livre, le qualifie comme appât. Cette situation découle notamment du fait que les espèces de prédilection que sont le hareng et le maquereau pour la boëtte, ou appât, sont soumis à des moratoires saisonnier et annuel depuis mars 2022. Certaines usines, comme Lelièvre, Lelièvre et Lemoignan, réduisent donc les importations d’appâts, un phénomène récurrent depuis quelques années, en se servant de
sébaste.

Traditionnellement, quelques autres usines gaspésiennes ont conféré au sébaste une place importante. L’usine qui est connue aujourd’hui sous le nom d’Unipêche MDM à Paspébiac, a transformé de grands volumes de sébaste au milieu et à la fin des années 1960, de même qu’au cours de la décennie suivante. Il en était de même pour l’usine de Newport, dans les années de la Coopérative Pêcheurs unis, qui a fait faillite en 1984.

Un poisson abordable

Au fil des décennies, en conditions de pêche de grands volumes ou sous moratoire, la valeur du sébaste s’est essentiellement cantonnée dans des prix « abordables », à savoir n’atteignant pas les seuils d’un poisson comme le flétan pour les pêcheurs, mais rapportant davantage que le hareng ou le maquereau. « Avant le moratoire, le prix roulait entre 35 et 50 cents la livre pour les pêcheurs. Ça prend des gros volumes, des prises rapides pour arriver. Je paie autour de 50 cents maintenant. Ce sont les prix des dernières années. En Europe, on a à compétitionner avec des navires usines », précise Roch Lelièvre.

Il n’exclut pas un rehaussement éventuel des prix aux pêcheurs, tout en tenant compte de la capacité de payer des usines et de la concurrence venant d’autres pays.

« Il y aura des choses à développer avec le temps. Les chaînes d’alimentation en parlent à chaque année. En Europe, ils l’utilisent beaucoup. Il est très populaire chez les communautés ethniques américaines. Il est vendu comme poisson bas de gamme, une source de protéines abordable. Ça va prendre du temps avant d’en faire un poisson avec une plus grande valeur. Plus vite on commencera à le mettre en marché, plus vite on pourra développer des nouveaux marchés, des nouveaux produits. Les grossistes se font offrir le tilapia, un poisson importé et vivant dans les mers chaudes, pour concurrencer le sébaste, mais le sébaste est bien meilleur », assure M. Lelièvre.


Avec sa valeur assez faible au débarquement, autour de 50 cents la livre, et sa taille un peu fine pour le filetage, le sébaste est pour l’instant surtout utilisé comme appât. Photo : Offerte par Denis Éloquin

Quand les volumes seront là

Que se passera-t-il quand le moratoire sera aboli, qu’un nombre suffisant de sébastes auront atteint une taille commerciale et que le volume augmentera dans les usines comme celle de Lelièvre, Lelièvre et Lemoignan?

« Avec du volume, ça va prendre des fileteuses [de poissons] On a les tables de travail. Ça va aussi prendre des antioxydants. Les clients aiment que le sébaste garde une teinte rosée. Il devient blanc avec la congélation, sans antioxydant. Son avenir est aussi comme appât. Ça a une peau rigide, résistante dans la trappe [à homard], une peau assez acide. Le maquereau a une peau plus fine. Je vois les pêcheurs intéressés au sébaste comme appât, quand l’eau est plus chaude au cours de la saison. Les pêcheurs de homard de la Nouvelle-Écosse se servent de la tête de sébaste et des arêtes du poisson déjà fileté. C’est une récupération supplémentaire », souligne Roch Lelièvre.

Les fileteuses seront nécessaires parce que les usines comptent beaucoup moins d’employés habitués à travailler avec des couteaux qu’avant les moratoires sur la morue et le sébaste de 1993 et 1995, respectivement.

Roch Lelièvre s’attend à voir les crevettiers exprimer un intérêt pour pêcher le sébaste.

« Le stock de crevette diminue. Ça prendra des chaluts pour le pêcher et ce sont les chalutiers qu’il reste sur nos eaux », dit-il.

Il y aura un marché, mais une partie des débouchés « reste à développer. Si tu as des gros volumes au lieu de 100 000 ou 200 000 livres, ça ne se fera pas du jour au lendemain, mais il faut commencer quelque part. On sait ce que les Asiatiques achètent [des sébastes éviscérés, étêtés ou pas], les Américains veulent le filet avec peau. Je pense que le marché à développer est le filet sans peau », opine M. Lelièvre.

Il considère que les sébastes de 22 centimètres, la taille minimale pour qu’ils soient pêchés, constitue aussi une taille idéale pour la transformation. Les acheteurs internationaux pourraient bien vouloir autre chose, par contre.

« Plus il est gros, plus il est facile à commercialiser. Idéalement, quand il y aura du volume, il sera plus facile de trouver des sébastes de plus de 30 centimètres », précise Roch Lelièvre, qui se trouve à la tête de l’une des usines les plus polyvalentes au Québec.

Il assure que les travailleurs étrangers constitueront un facteur incontournable dans la transformation du sébaste. « Ce sera en complément aux autres productions. Ils vont apprendre à le travailler. Ce sont des gens qui apprennent vite, comme les Gaspésiens », conclut-il.

La firme E. Gagnon et Fils aussi intéressée

À un jet de pierre de l’usine de Lelièvre, Lelièvre et Lemoignan, les dirigeants de la firme E. Gagnon et Fils suivent de près la situation du retour du sébaste, même si le président de la firme, Bill Sheehan, ne retient pas son souffle.

« J’ai assisté à des conférences il y a quatre-cinq ans et je ne vois pas grand changement. C’est certain que s’il y a des opportunités dans le secteur des pêches, on sera intéressés. À moyen terme, il y aura des équipements à acheter. On va lever la main pour le transformer. Si ça rallonge les saisons, et si ça peut faire rouler les usines, on sera là. Pour le moment, il n’y aurait rien de rentable encore pour qu’on plonge. Ça va prendre des installations entièrement neuves. Je parle d’un agrandissement d’usine parce que la saison est longue dans le sébaste, qu’on n’utilise pas le même équipement que dans le crabe et le homard, et que les usines qu’on possède déjà sont remplies d’équipements », analyse M. Sheehan.

La firme E. Gagnon et Fils possède deux usines à Sainte-Thérèse-de-Gaspé, une très grande et une petite, de même que des usines à Cap-d’Espoir et à Shigawake.

 

Pour lire tout le dossier du sébaste :

DOSSIER SÉBASTE 1/5 : SCIENCE
DOSSIER SÉBASTE 2/5 : PÊCHEURS
DOSSIER SÉBASTE 4/5 : COMMERCIALISATION
DOSSIER SÉBASTE 5/5 : PAGE REPÈRE