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21 octobre 2024 13 h 35

La Gaspésienne no 20 reçoit les bons soins de Pierre-Luc Morin et de Corentin Briand

Gilles Gagné

Journaliste

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GASPE – Depuis la fin de juin, le charpentier maritime, Pierre-Luc Morin, et son apprenti, Corentin Briand, réparent La Gaspésienne no 20, le bateau de pêche ayant failli être détruit par un incendie en novembre 2023. Les deux hommes devraient avoir terminé leur mandat à la fin d’octobre.

Seule la vigilance d’un passant et l’intervention rapide des pompiers de Gaspé ont sauvé le bateau de 45 pieds lancé en 1958 au chantier naval George T. Davie, de Lévis, à ne pas confondre avec le grand chantier maritime de l’arrondissement voisin de Lauzon.

Pierre-Luc Morin répare des bateaux de bois depuis 17 ans, après avoir gradué en ébénisterie. La charpenterie maritime n’étant pas enseignée au Québec, il a développé ses compétences à partir de chez lui, au Bic, en côtoyant Daniel Saint-Pierre, 73 ans, une autorité en matière de bateaux de bois.

« C’est mon mandat le plus intéressant jusqu’à maintenant, et le plus compliqué! Il n’y a rien de droit sur un bateau en bois. Une règle, un niveau et même un ruban à mesurer sont d’aucune utilité. Tu prends ton crayon et tu fais des marques sur les pièces de bois qui vont remplacer les vieilles. Ensuite, tu les reproduis. Il faut réellement utiliser ses yeux. Avec l’expérience, on devient meilleur », explique Pierre-Luc Morin.

La Gaspésienne no 20 a fait partie d’une série de 50 bateaux de bois commandés par le gouvernement du Québec et construit entre 1956 et 1960, puis vendus aux pêcheurs voulant améliorer leur sort par le biais de meilleures prises, en vertu de meilleures conditions de travail, notamment sur le plan de la sécurité, et en fonction de meilleures conditions de conservation du poisson. Les Gaspésiennes étaient dotées d’une cale. De plus, les membres d’équipage pouvaient aller se reposer dans une couchette.

Presque toutes les Gaspésiennes, 47 pour être précis, ont été construites à Lévis, alors que les trois autres, numérotées 29, 30 et 31, sont sorties du Chantier naval de Gaspé. Selon le livre Nomenclature des navires au Canada, édition de 1973, La Gaspésienne no 20 appartenait à Aurèle Fullum, de Newport.


Pierre-Luc Morin, à l’avant-plan, et Corentin Briand, derrière, doivent prendre des mesures à la main tout le long de leurs réparations, puisque « rien n’est droit sur un bateau ». Photo : Gilles Gagné

Conserver le maximum de pièces originales

L’eau utilisée pour éteindre le feu de novembre 2023 a sauvé le bateau, mais elle a aussi endommagé sa structure, en plus de bordages et de membrures. Remplacer de telles pièces est difficile, mais ça représente un défi intéressant, note Pierre-Luc Morin.

« On essaie de conserver le plus de pièces originales possible, même quand elles sont noircies par le feu, mais qu’elles demeurent solides. C’est difficile de remplacer des bordages au complet. Le bois est dur à trouver, et trouver du bois de la même qualité est aussi très difficile. C’est même facile de différencier le vieux bois du bois récent. Le bois d’œuvre du passé montre des anneaux beaucoup plus serrés. Le bois est plus dur, comparativement au bois d’aujourd’hui », dit-il.

Il prend conséquemment ses pièces de bois chez des propriétaires de scieries de service, ou des scieries portatives.

Pierre-Luc Morin travaille souvent sur des bateaux modernes mais il préfère les défis offerts par des projets comme celui qui lui a été présenté par le Musée de la Gaspésie, propriétaire de La Gaspésienne no 20. La valeur de son contrat se situe à environ 68 000$.

« C’est important de protéger les connaissances du passé, toutes les habiletés développées pendant des décennies, parfois des siècles. C’est important de perpétuer ces métiers, ces compétences. Je bénéficie des connaissances de Daniel Saint-Pierre et je veux aussi transmettre ce que j’apprends de lui », dit-il.

Depuis juin, en raison des visiteurs convergeant vers le Musée de la Gaspésie, Pierre-Luc Morin et Corentin Briand doivent souvent travailler devant le public, et répondre à des questions. Il y a un équilibre à trouver entre l’animation et le travail.

« Je peux travailler devant du monde n’importe quand. Je peux donner des entrevues n’importe quand. C’est normal de partager cette expérience avec le public et les médias. Les gens qui arrêtent pour voir ce que nous faisons sont intéressés à la navigation, à la charpenterie ou à la construction de bateaux. Je peux comprendre ça! » souligne M. Morin.

Au cours de l’été, les deux charpentiers ont travaillé avec une boîte à vapeur pour plier des pièces de bois visant à remplacer des morceaux endommagés par le feu ou le temps.

« On a terminé ce type de réparations il y a quelques semaines. C’est un procédé précis. Le bois doit être immergé pendant une certaine période avant d’être chauffé et courbé », note Pierre-Luc Morin.


Corentin Briand et Pierre-Luc Morin ont aussi des travaux à faire à l’intérieur du bateau, avant la conclusion de leur mandat, à la fin d’octobre. Photo : Gilles Gagné

Des plans utiles

Le Musée de la Gaspésie lui a remis les plans de La Gaspésienne no 3 avant qu’il ne débute son mandat. Ces plans ont été dessinés au début des années 1950 par Howard Chapelle, un architecte naval américain de réputation internationale. Il a vécu de 1901 à 1975, contribuant à documenter l’histoire des petits bateaux de bois.

« Ses dessins sont des œuvres d’art. Tout est indiqué sur ses plans, jusqu’au moindre clou! C’est un privilège de travailler avec ces plans. Les plans avec lesquels nous travaillons montrent un bateau avec une cabine à l’arrière, au lieu de l’avant, comme La Gaspésienne no 20, mais la coque est la même », souligne M. Morin.


Corentin Briand et Pierre-Luc Morin sont heureux de compter sur les plans de l’architecte Howard Chapelle à mesure qu’ils avancent dans la réfection de la Gaspésienne no 20. Photo : Gilles Gagné

Il faudra davantage de travail pour terminer la réfection

Le feu de novembre 2023 a endommagé le côté tribord de La Gaspésienne no 20. Pierre-Luc Morin note toutefois que le temps fait aussi son œuvre sur le côté bâbord (gauche) du bateau.

« Je ne cours pas après le travail pour l’an prochain mais en vérité, le côté gauche du bateau montre des signes de détérioration. Un bateau comme ça est fait pour passer six mois dans l’eau salée et six mois au sec. Ce bateau ne s’est pas trouvé dans l’eau salée depuis des années. La détérioration est plus rapide quand un bateau est à l’extérieur, soumis au mauvais temps, aux éléments », note-t-il.

Le Musée de la Gaspésie tente présentement de trouver de l’argent pour mettre La Gaspésienne no 20 dans un abri à température et humidité contrôlées, ce qui améliorerait grandement sa préservation.

« C’est une obligation si on veut éviter constamment de travailler à sa réfection », conclut Pierre-Luc Morin.

Avant de devenir la propriété du Musée de la Gaspésie, La Gaspésienne no 20 appartenait à Michel Boissonneault, de New Richmond. Il l’a donnée au musée en 2002. Une réfection de bonne envergure a été réalisée sur le bateau en 2016.


Le côté bâbord de la Gaspésienne no 20 aura aussi besoin de soins avant longtemps. Photo : Gilles Gagné