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Tanya Condo a participé à un inventaire du bar rayé en 2016 et 2017 sur les rives de la baie des Chaleurs avec une équipe composée d’autres jeunes autochtones de Gesgapegiag. Photo : Gilles Gagné
26 septembre 2019 16 h 06

Le jugement Marshall : 20 ans plus tard, un immense chemin a été parcouru

Gilles Gagné

Journaliste

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GESGAPEGIAG | Le 17 septembre 1999, la Cour suprême du Canada rendait ce qui est appelé depuis 20 ans le jugement Marshall – ou arrêt Marshall – une décision ouvrant la porte à l’intégration des autochtones de l’Est du Canada, incluant ceux du Québec maritime, dans les pêches commerciales de la crevette, du homard et du crabe des neiges, principalement. Graffici a parlé à des acteurs ayant joué un rôle déterminant dans cette intégration, acteurs qui expliquent dans quelle mesure ce jugement a permis une plus grande émancipation des trois communautés mi’gmaques de la Gaspésie : Listuguj, Gesgapegiag et Gespeg.

Lina Condo était guide de pêche sportive sur la rivière Grande-Cascapédia en 1999 quand la Cour suprême du Canada a rendu le jugement Marshall. Elle était loin de se douter que cette décision aurait d’aussi grandes conséquences sur sa vie.

Le conseil de bande de Gesgapegiag lui a peu après demandé de participer à la création d’une structure pour gérer ce qui reviendrait à la communauté en matière de pêches commerciales. Elle partait de loin.

« Je ne savais pas ce que c’était, le crabe des neiges. Mais grâce à Herman Synnott et à Sylvio Coulombe, qui travaillait à Pêches et Océans Canada à Gaspé, on a réussi. J’ai été tellement bien encadrée. J’appelais Herman avant de prendre toute décision. Dans les premiers temps, on a pêché la crevette, avec l’appui d’Herman », évoque-t-elle.

Forte en organisation, Lina Condo s’est aussi entourée d’un expert en ressources humaines, Maxime Lambert. «On a développé une politique de pêches et des descriptions de tâches. Pour la rémunération, on a suivi l’industrie. Quand j’entendais des remarques disant que nos pêcheurs étaient peut-être trop payés, je répondais: «j e suis sortie en mer. C’est un métier difficile». Bernard Lacroix, qui gérait l’usine E. Gagnon et Fils dans ces années-là, achetait notre crabe. Si je n’avais pas eu ces personnes, je ne sais pas ce qui serait arrivé. On a commencé bien encadrés », explique-t-elle.

Née d’une mère non-autochtone et d’un père mi’gmaq, Lina Condo croit que cet aspect lui a ouvert des portes. « J’ai les deux cultures. Ça m’a facilité la tâche, comme ma connaissance du français et de l’anglais .»

Après quelques années à la coordination des pêches, elle a développé une autonomie grandissante. «J’ai commencé à prendre des décisions, peut-être pas toujours la bonne. Un moment donné, nous avons eu une offre d’une autre usine que E. Gagnon et Fils pour acheter notre crabe et j’ai décidé d’essayer. Nous sommes revenus à E. Gagnon et Fils mais Herman m’a dit : « Je suis content, parce que tu as pris une décision ». Il fallait me laisser faire mes erreurs », raconte Mme Condo

Des erreurs, elle n’en a pas fait à outrance parce qu’aujourd’hui, Lina Condo est conseillère au développement des affaires pour Ulnooweg, un organisme appuyant les pêches commerciales de 13 communautés autochtones du Québec et du Nouveau-Brunswick. Elle travaille toujours à partir de Gesgapegiag, mais elle se déplace aussi considérablement.

« Toutes sortes d’activités dépendent de Marshall, ou sont nées après Marshall. Ulnooweg est l’une d’elles, comme l’AGHAMM», dit-elle, à propos de l’Association de gestion halieutique Mi’gmaq et malécite, créée pour aider les autochtones à participer aux processus consultatifs et décisionnels de gestion des ressources aquatiques et des océans.

Les Mi’gmaqs de Gesgapegiag diversifient graduellement leurs activités. « Avant, le homard était vendu directement à des poissonneries ou des usines hors de Gesgapegiag. Maintenant, on achète le homard de nos bateaux, on le vend nous-mêmes à notre magasin, le Lobster Hut, et si on en a trop, on le vend à l’usine. On a acheté un camion, on a un entrepôt et trois employés travaillant à notre vivier. La diversification est nécessaire. Les espèces marines diminuent ou augmentent et il faut toujours avoir des solutions de rechange. On essaie d’aller chercher des permis pour d’autres espèces», explique Lina Condo.

La communauté de Gesgapegiag est de plus engagée dans la culture, la récolte et la transformation d’algues marines, par le biais de l’entreprise Selaweg.

Les jeunes Mi’gmaqs profitent des pêches commerciales

Trouver de l’emploi pour une population jeune constitue le défi de plusieurs communautés autochtones. En ce sens, le jugement Marshall, et les organisations qui ont pris naissance depuis 1999 pour structurer les pêches, ont joué un rôle primordial dans l’émergence de débouchés pour la jeunesse.

À Gesgapegiag, Tanya Condo, 24 ans, occupe présentement le poste d’agente de liaison entre l’Association de gestion halieutique Mi’gmaq et Malécite (AGHAMM), organisme de consultation et de gestion des ressources marines pour quatre communautés, et la Garde côtière canadienne. C’est un emploi permanent demandant passablement de polyvalence.

« J’ai terminé le travail à 3 h ce matin parce que j’étais à bord d’un bateau de pêche au thon. D’autres jours, j’accompagne les gens de la Garde côtière pour prendre des notes dans des réunions et faire des rapports. Il y a beaucoup de travail de bureau, mais aussi du travail sur les bateaux. On travaille même sur les rivières. J’aime ça. Je trippe. C’est l’emploi que je voulais », précise-t-elle.

Ex-étudiante en biologie, elle avait participé à des inventaires de bar rayé en 2016 et 2017, avant d’être embauchée en 2018 pour la réalisation d’un inventaire de homard, programme mené conjointement par l’AGHAMM et le Regroupement des pêcheurs professionnels du sud de la Gaspésie.

« Ces emplois et nos organismes de gestion des pêches n’auraient pas existé sans le jugement Marshall », souligne Tanya Condo.

Éric Polichuck était guide de pêche sportive à la recherche d’un emploi mieux rémunéré quand il a décidé de tenter sa chance dans les pêches commerciales en 2002, à 28 ans. Il s’est présenté à Herman Synnott.

« Herman était mon capitaine. Il m’a tout appris. Il a été mon mentor », résume Éric Polichuck, qui est aujourd’hui superviseur de la flottille de cinq bateaux semi-hauturiers de Gesgapegiag.

« Je suis allé à l’École des pêches de Grande-Rivière pour passer mes classes de capitaine il y a six ans. Comme superviseur de flottille, je dois coordonner tout ce qui est relié aux bateaux, m’assurer que les bateaux sont impeccables et en ordre pour la saison. On a commencé il y a vingt ans avec la crevette et le crabe mais on a maintenant aussi des permis de flétan, de turbot et de concombre de mer », explique-t-il.

Éric Polichuck doit également voir à la mise à niveau technologique des bateaux de Gesgapegiag, mais il ne gère pas la flotte de homardiers parce qu’il passe le plus clair de l’année, de mars à novembre, à Rivière-au-Renard plutôt que dans la Baie-des-Chaleurs.

« Je voulais me trouver un emploi en 2002 mais je suis tombé en amour avec les pêches. Je vais encore en mer. Je n’aurais pas pu trouver », dit-il.

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