Marie-Thérèse Forest apprécie la vie, avant son départ planifié
MARIA | Le 17 octobre, Marie-Thérèse Forest, un phare dans l’émancipation des femmes et des groupes qui les défendent en Gaspésie et aux Îles-dela-Madeleine, fermera les yeux pour la dernière fois. Quarante ans après avoir ressenti les premiers symptômes du mal qui la ronge, et 39 ans après le diagnostic officiel, elle veut que la vie soit belle jusqu’au bout.
Marie-Thérèse Forest s’émerveille encore devant la beauté des fleurs et de la faune. Photo : Gilles Gagné
Marie-Thérèse Forest souffre d’ataxie depuis 1984 ou 1985. Elle sait que ses premières pertes d’équilibre sont survenues après la naissance de sa fille Mathilde, le 18 avril 1984. Ce problème neurologique entraîne un manque de coordination des mouvements, sa partie « ataxie », tandis que la spasticité est une rigidité musculaire. La maladie affecte généralement les jambes et les bras, et même la parole. La Gaspésienne souffre de tout ça.
« Je me déplace en chaise roulante depuis 2002. J’étais avec une marchette avant. Un, je ne veux pas vivre ailleurs, dans une ressource intermédiaire. J’ai visité le Manoir du havre, près d’ici. S’il y a une place où j’irais, ce serait là. C’est bien, mais je ne suis pas faite pour aller là. Deux, quand j’ai les pieds pris parce que je descends dans ma chaise, il faut que j’appelle ma voisine. Des gens viennent virer ici pour m’aider », aborde-t-elle au sujet de sa décision.
Elle veut partir pendant que la vie est encore belle. « La vie m’extasie encore, dans le sens que j’arrive dans la cuisine le matin : “Mon Dieu que c’est beau!” Je pars avec ce côté-là dans mon coeur. J’ai 72 ans; je ne pensais jamais me rendre là. J’en ai profité en masse, mais là, j’ai donné! » résume-t-elle.
Elle vit maintenant sur la rue des Tournepierres à Maria, après plusieurs années à Caplan. Bien que cette rue soit le théâtre de débordements marins depuis une vingtaine d’années, Mme Forest vit du côté nord de la chaussée, dans une petite maison légèrement surélevée, donnant sur le delta de la rivière Verte, à proximité d’un marais salé remarquablement riche en formes de vie.
« J’aime les fleurs et les oiseaux. Ça m’apporte la beauté. Je suis dans un paradis, en plus. J’ai arpenté la Gaspésie et les Îles plus souvent qu’à mon tour, et je n’ai jamais vu un aussi beau spot que ma maison », ajoute-t-elle.
Racines montréalaises
Bien qu’elle porte un nom assez courant dans la Baie-des-Chaleurs, Marie-Thérèse Forest est Montréalaise de naissance.
« Tout le monde me demandait, quand je suis arrivée et que j’allais voir des spectacles : “Marie-Thérèse à qui?” Je répondais : “À Gustave. Il n’est pas d’ici!” Mon père venait des basses terres du Saint-Laurent, et ma mère était Montréalaise jusqu’au bout des ongles », précise-t-elle.
C’était en 1983. Elle travaillait comme formatrice depuis quelques années à l’Association des radios communautaires (ARC). La radio communautaire de la Baie-des-Chaleurs, CIEU-FM, était alors en fondation, avec une mise en ondes prévue pour octobre. Il y avait une telle effervescence dans le monde des radios communautaires qu’il existait un très actif programme collégial itinérant de formation des futurs employés des stations en devenir. Marie-Thérèse Forest participait à ce programme, qui a bien sûr fait un arrêt à Carleton-sur-Mer, à cause de la présence de CIEU-FM.
« J’étais aussi là pour aider à faire des demandes de permis au CRTC [Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes]. Quand je suis arrivée à CIEU, j’ai travaillé à la demande de permis et là, je suis tombée en amour, et je suis restée. Je n’ai jamais regretté. Ça a été ma région d’adoption, et elle m’a réellement adoptée », assure-t-elle.
Mme Forest laisse l’ARC pour guider le comité de programmation et la formation des bénévoles de CIEU-FM, des tâches de l’ombre, mais qui sont vitales pour qu’une radio « sonne bien » pour les auditeurs.
Puis, elle change d’orientation. « Mathilde était née, et nous sommes parties à Rimouski, où j’ai fait une maîtrise en littérature. C’est bien commode dans la vie », dit-elle, sur un ton alliant légèreté et sérieux.
Marie-Thérèse Forest a été un rouage important du démarrage de CIEU-FM, en 1983, pour former le personnel et les bénévoles. Photo : Gilbert Lalonde
Retour aux études et féminisme
De retour dans la Baie-des-Chaleurs en 1987, elle travaille à démarrer Femmes en mouvement. « Il y a d’autres mouvements qui prennent forme, les centres de femmes [ce qu’est Femmes en mouvement], les CALACS [Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel], les maisons d’hébergement. À l’époque, il n’y a pas de table de concertation des groupes de femmes spécifique à la Gaspésie et aux Îles-de-la-Madeleine. Il n’y en a qu’une, pour les deux régions, Bas-Saint-Laurent-Gaspésie-les-Îles. Je suis allée plaider à Rimouski, pour dire que ça en prenait une pour la Gaspésie. Que le Bas-Saint-Laurent, c’est bien trop loin. Ça a pris une couple d’années et c’est devenu deux tables distinctes. Déjà la Gaspésie, c’était immense », raconte-t-elle.
La Table de concertation féministe Gaspésie-Îles-de-la- Madeleine se met à la tâche au tournant de 1990-1991. Le travail à faire est immense. Au-delà de l’organisation et de la pérennité des groupes à assurer, il y a des préjugés à combattre, tenaces, qui se perpétuent souvent jusqu’à aujourd’hui, ainsi que les distances à parcourir.
Dans tous ces déplacements, Marie-Thérèse Forest trouve la force de monter et descendre des véhicules malgré l’ataxie spastique, la pluie, les bancs de neige, la glace, avec sa marchette, ou en fauteuil roulant, avec l’appui physique et moral d’autres femmes. Les édifices étaient et demeurent souvent mal adaptés à sa situation, ou à celles d’autres personnes à mobilité réduite. Dans toutes les épreuves, elle ne se plaint pas. Dans toutes ses revendications, elle reste respectueuse.
« J’avais travaillé avec les instances régionales, comme la Régie de la santé. C’était important d’avoir des propos clairs, mais précis, et qui n’attaquent pas. C’est beaucoup ce que le monde appréciait de moi. Garder mon calme, mon humour, quand il y avait des tempêtes. C’est une appréciation du monde qui m’a fait grandir », souligne-t-elle.
La première Marche mondiale des femmes de 2000 a débouché sur la Charte mondiale des femmes pour l’humanité, le 10 décembre 2004. Marie-Thérèse Forest et sa fille Mathilde ont assisté au dépôt de la charte à Québec. Photo : Table de concertation féministe Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine
Le drame de l’École Polytechnique, un point tournant
Bien que déjà féministe à ce moment, la tragédie de l’École Polytechnique de Montréal, le 6 décembre 1989, constitue un point tournant dans sa vie.
« Mon grand féminisme est arrivé à Polytechnique. J’étais déjà dans Femmes en mouvement. On avait pris le train, ma collègue Diane Robert et moi, pour se rendre à Gaspé et là, Polytechnique s’est passée. On écoutait les reportages à la télévision. Déjà en anglais, on insistait sur “ce sont toutes des femmes, c’est un geste antiféministe”, alors qu’en français, ça vacillait. Je me suis dit : “C’est le boutte du boutte”. C’est là que je suis devenue une féministe soutenue », souligne-t-elle.
Sa plus grande satisfaction professionnelle survient en juin 1995, il y a donc 30 ans, à l’occasion de la marche Du pain et des roses, contre la pauvreté et la violence. Ça arrive en deux phases.
« On a marché des deux côtés de la Gaspésie, jusqu’à Gaspé, pour arriver à un grand rassemblement à la cathédrale. Dans mes souvenirs, quand on a fait l’autre rassemblement, à Carleton, avec toutes les femmes arrivant de l’extérieur [dont Françoise David], en chantant, c’était extraordinaire. Je ne trouve pas d’autres souvenirs pour égaler ça. C’est la marche Du pain et des roses qui a mené à la Marche mondiale des femmes en 2000 », évoque Marie-Thérèse Forest.
Marie-Thérèse Forest, à droite, a développé une grande amitié avec l’une de ses proches aidantes, Mireille Carli. Les liens vont bien au-delà du travail. Photo : Gilles Gagné
Note de la rédaction :
GRAFFICI remercie sincèrement Mireille Carli pour avoir facilité la réalisation de ce reportage.