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8 juillet 2021 9 h 54

PÉNURIE DE LOGEMENTS : UNE ROCHE DANS LE SOULIER DE LA GASPÉSIE (texte 2/4)

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La pénurie de logements qui sévit en Gaspésie en est une sans précédent : résultat de plusieurs facteurs qui s’additionnent, elle est source de stress et d’embûches majeures pour de nombreux Gaspésiens et Gaspésiennes de tous âges, sans compter ceux désirant s’établir chez nous. GRAFFICI dresse ici le portrait d’une problématique qui atteint des proportions inégalées à un moment où la péninsule, elle, est une terre d’accueil de plus en plus convoitée.

Un frein pour l’accueil et la démographie

CARLETON-SUR-MER | En 2019-2020, 2217 personnes se sont établies en Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine, ce qui a fait grimper à 681 personnes son solde migratoire interrégional : il s’agit ni plus ni moins d’un record en 20 ans, soit depuis que ces données sont compilées par l’Institut de la statistique du Québec. Le hic? Les logements disponibles sont loin d’avoir suivi la même courbe que cet intérêt grandissant pour la région.

La pandémie a contribué à accroître l’attractivité de la région, plus populaire que jamais. « On n’a pas eu le temps de célébrer bien longtemps que, déjà, on entre dans les nouveaux défis, dont celui du logement », admet le directeur de la Stratégie Vivre en Gaspésie (SVEG), Danik O’Connor.

La région a des besoins criants en matière de main-d’oeuvre; en témoignent les centaines d’offres d’emploi inscrites sur le site Web de la SVEG au moment d’écrire ces lignes. Or, la pénurie de logements fait ombrage au recrutement. Elle met aussi à mal la rétention de ces personnes qui effectuent une migration ou un retour en région. Dans de nombreux cas, elles viennent occuper des postes souvent difficiles à pourvoir, voire essentiels.

« Je compare souvent ça à un avion plein de passagers qui arriverait en région, mais sans piste d’atterrissage. Qu’est-ce qu’on fait quand on ne peut pas atterrir? On s’en va à Moncton ou on retourne à Québec! », illustre Stéphanie Roy, agente Place aux jeunes en région (PAJR) dans la MRC du Rocher-Percé.

Mme Roy accompagne les 18 à 35 ans diplômés pour qu’ils parviennent à s’établir dans ce secteur où la location touristique temporaire est reine et où les prix ont grimpé en flèche. L’agente PAJR avait dans ses dossiers, au moment de s’entretenir avec GRAFFICI, sept couples, trois familles, sept personnes seules et deux stagiaires à la recherche d’un logis. Trois à quatre nouvelles demandes s’ajoutent sur sa pile chaque semaine.

Si plusieurs trouvent des logements temporaires chez des membres de leur famille où dans les installations fournies par leur employeur, nombreux sont ceux qui ne parviennent pas, ensuite, à dégoter un logis permanent. « J’ai des nouveaux arrivants qui sont repartis », déplore Stéphanie Roy. Certains n’ont d’autres choix que de se rabattre sur des solutions de rechange; Mme Roy cite en exemple deux travailleurs de la santé qui ont dû faire du camping durant tout l’été 2020.

Et les personnes immigrantes?

Julie Ruest oeuvre au Service d’accueil des nouveaux arrivants (SANA) dans la MRC de La Haute-Gaspésie. Ce service s’adresse aux personnes âgées de 35 ans et plus, incluant la clientèle immigrante. Ces personnes qui viennent souvent de loin ne jouissent pas, rappelle Mme Ruest, d’un réseau de contacts déjà sur place.

Ces nouveaux venus ont ainsi moins de chance de bénéficier du bouche-à-oreille qui prévaut souvent sur l’affichage. « […] ils finissent par trouver, mais c’est plus long, ardu et stressant », souligne Mme Ruest. Une récente étude publiée par le CIRADD révèle par ailleurs que près de 47 % des répondants habitent un logement trouvé grâce au bouche-à-oreille.


Stéphanie Roy oeuvre pour Place aux jeunes en région (PAJR) dans la MRC du Rocher-Percé depuis environ huit ans. Photo : Offerte par Stéphanie Roy

Proportion de locataires devant quitter leur logement pour la saison estivale (par MRC)

*L’échantillon pour ce secteur est de seulement 16 répondants, ce qui est significativement moins élevé que pour les autres MRC (la moyenne est de 31,25).

CÔTE-DE-GASPÉ 19,23 %
HAUTE-GASPÉSIE* 18,75 %
AVIGNON 11,1 %
BONAVENTURE 10,2 %
ROCHER-PERCÉ 8,23 %

Source : Perceptions des acteurs privés et des nouveaux arrivants sur les enjeux du logement locatif résidentiel en Gaspésie, rapport produit par le CIRADD pour le compte du Regroupement des MRC de la Gaspésie, mars 2021

Forcés de quitter leur logement pour l’été…

Selon une étude menée par le CIRADD et réalisée en mars 2021, environ 13,2 % des locataires gaspésiens sont contraints de quitter leur logement « en raison de la saisonnalité touristique ». Ceux-ci habitent majoritairement (53,57 %) des maisons. Ces personnes sont dans une grande proportion des migrants internationaux (24 %) et dans une plus faible proportion (14,29 %), des migrants interrégionaux.

Un problème qui devient aussi celui des employeurs

CARLETON-SUR-MER | Si la pénurie de logements est l’affaire des travailleurs, elle devient facilement aussi, un problème pour les employeurs.

Faute de trouver de la main-d’oeuvre qualifiée en région, la boulangerie La Pétrie de Bonaventure n’a d’autre choix que de recruter à l’extérieur; deux employés sont arrivés au cours des derniers mois et ont pu trouver une chambre temporaire chez des connaissances de leurs nouveaux patrons. Un très attendu boulanger et sa famille quitteront aussi la France vers la fin juillet pour s’établir à Bonaventure.

Si elles ont finalement été concluantes, d’innombrables démarches ont été faites pour s’assurer que les Européens, sans contact sur place, aient un endroit où vivre une fois arrivés en Gaspésie. « Ça a été très difficile. Des fois, je n’en dormais pas la nuit », mentionne la copropriétaire de La Pétrie, Véronique Beauchamp.

« On est pleins de bonne volonté. On veut faire rouler l’économie, travailler, ouvrir durant plus de jours, avoir plus d’employés et créer de l’emploi, mais quand les gens viennent [d’ailleurs] parce qu’on ne trouve pas la main-d’oeuvre ici, on ne trouve pas d’endroit pour les loger », déplore l’entrepreneure.

La directrice générale du Carrefour jeunesse emploi (CJE) Option Emploi, Annie Tapp, va dans le même sens. L’organisation qui dessert la MRC du Rocher-Percé avait opté pour une recrue de l’extérieur afin de combler un tout nouveau poste de conseillère à l’emploi. Celle-ci devait prêter main-forte pour contrer la pénurie de main-d’oeuvre. Comble de l’ironie : c’est finalement la pénurie de logements qui a en quelque sorte dissuadé la candidate de migrer en région.

Constatant que dénicher une location à l’année n’est pas chose facile, l’heureuse élue qui devait entrer en poste à la fin du mois de mai, tout juste avant la haute saison touristique, a opté pour l’achat d’une propriété. Quand la résidence convoitée lui a glissé entre les doigts, elle s’est tout simplement désistée.

« C’est dommage! On avait vraiment trouvé une ressource qui correspondait à nos attentes. Les candidatures ne se bousculent plus quand on ouvre un poste en raison de la rareté de la main d’oeuvre. On avait passé trois personnes en entrevue, et c’est elle qui était ressortie du lot, avec une bonne longueur d’avance. Elle avait vraiment le profil parfait », déplore Mme Tapp.

Avant même l’entrevue

Avant même de convoquer une personne en entrevue, Annie Tapp explique qu’elle lui demande désormais si elle a déjà des possibilités quant à son hébergement. « Il y a un candidat qui m’a dit qu’avant de lui poser cette question-là, je devrais d’abord le passer en entrevue. Je lui ai répondu que non, que c’était plus important qu’il pensait, qu’il avait beau être le meilleur candidat et celui qui se démarque le plus, qu’il risquait de ne pas être capable de trouver s’il n’avait pas déjà un pied à terre ici à ce temps-ci de l’année », résume la gestionnaire.


Comme d’autres entreprises de la région, la boulangerie La Pétrie de Bonaventure doit recruter à l’extérieur. Or, les choses se corsent lorsqu’il est question de loger ces nouveaux employés. Photo : Offerte par Véronique Beauchamp

 

Source : Perceptions des acteurs privés et des nouveaux arrivants sur les enjeux du logement locatif résidentiel en Gaspésie, rapport produit par le CIRADD pour le compte du Regroupement des MRC de la Gaspésie, mars 2021

Source : Perceptions des acteurs privés et des nouveaux arrivants sur les enjeux du logement locatif résidentiel
en Gaspésie, rapport produit par le CIRADD pour le compte du Regroupement des MRC de la Gaspésie, mars 2021

 

Lire PÉNURIE DE LOGEMENTS : UNE ROCHE DANS LE SOULIER DE LA GASPÉSIE (texte 1/4)

Lire QUELLES SOLUTIONS POUR CONTRER LA PÉNURIE? (texte 3/4)

Lire QUELLES SOLUTIONS POUR CONTRER LA PÉNURIE? (texte 4/4)