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Éditorial
7 juillet 2022 11 h 43

René Lévesque aurait 100 ans cet été

Gilles Gagné

Éditorialiste

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On l’entend depuis quelques mois : s’il avait vécu jusqu’à cet été, l’ex-premier ministre québécois René Lévesque aurait célébré ses 100 ans le 24 août. Il est décédé le 1er novembre 1987, il y a presque 35 ans. Les gens de moins de 45 ans n’ont donc pratiquement pas de souvenir précis de l’homme politique, sans doute le plus déterminant de l’histoire du Québec.

Il avait été un brillant écolier, à New Carlisle d’abord, où ses parents s’étaient établis, puis au Séminaire de Gaspé. Il avait une longueur d’avance sur la plupart de ses collègues étudiants grâce à la curiosité intellectuelle de ses parents, et de la bibliothèque de la maison familiale. Il n’était pas un ange à l’école. Jeune, il lui est arrivé de mépriser un étudiant moins doué, ou d’un autre l’ayant supplanté comme premier de classe. Il avait probablement causé la calvitie de deux ou trois de ses professeurs de Gaspé.

Il finissait toutefois par corriger la plupart de ses travers. Il a découvert la radio à 15 ans, sur les ondes de CHNC, où il lisait les bulletins de nouvelles, souvent après avoir traduit les dépêches anglaises.

Un choc

Après la mort de son père et idole, Dominique, en 1937, sa mère déménage les enfants à Québec en 1938. Le jeune René devient alors passablement moins studieux, au point d’être expulsé d’un collège avant d’être rescapé par
le Séminaire de Québec. Il passe au droit à l’Université Laval, droit qu’il ne termine pas, notamment parce qu’il retrouve un micro à Québec.

Adulte, il reste petit de taille, à 1 mètre 60. Il fume beaucoup. Il porte souvent un complet un peu chiffonné et son tabagisme dissipe vite toute fragrance de lavande qui aurait pu s’en dégager. Il court après les femmes.

Le contact avec l’anglais, pratiquement inévitable entre 1922 et 1938 à New Carlisle ou Gaspé, l’aidera sur plus d’un plan, notamment pour situer la place des dominants et des dominés au Québec d’alors, et à se tailler une place comme journaliste au Bureau de l’information de guerre des États-Unis en 1944.

Posté en Angleterre, ces fonctions lui feront ensuite voir les horreurs de la Deuxième Guerre mondiale en Europe. Elles changeront sa vie.

À son retour, il retourne à la radio. À partir de son entrée à Radio-Canada en 1945, il deviendra vite une vedette. Sa feuille de route comme annonceur, journaliste et réalisateur donne le tournis, tellement elle est éloquente.

Pragmatique et sentant qu’il ne peut changer les choses à Radio-Canada pour améliorer le sort de ce qu’on appelait alors les « Canadiens français », il passe à la politique en 1960 pour devenir le pivot du Parti libéral du Québec, où sa crédibilité gagnée comme journaliste le rend plus populaire que le premier ministre Jean Lesage.

La nationalisation de l’électricité, l’amélioration des redevances payées par les compagnies exploitant les richesses naturelles du Québec et du sort des travailleurs de ces firmes font notamment partie de son bilan libéral de 1960 à 1966.

Voulant aller plus loin que Jean Lesage en matière d’autonomie québécoise, il rompt avec les libéraux pour éventuellement fonder le Parti québécois en 1968. Il est fortement déçu par les résultats électoraux de 1970 et 1973, mais l’appui au PQ grimpe de 23 % à 30 % entre ces scrutins.

La réélection de Robert Bourassa en 1973 avec 102 députés sur 110 porte un second dur coup à René Lévesque. Second, parce que l’élection avait été déclenchée de façon anticipée pour profiter de l’insatisfaction d’une frange des membres du PQ à son endroit.

Le Parti libéral s’enlise toutefois dans les ennuis entre 1973 et 1976. Le Parti québécois gagne le scrutin de novembre 1976. La fièvre des débats constitutionnels sur la souveraineté entre 1976 et 1980 fait souvent oublier les avancées remarquables réalisées lors de ce mandat.

Le PQ adopte des réformes sur le financement des partis politiques, la langue française, l’assurance automobile, la consultation populaire, la protection du consommateur, l’abolition des clubs de pêche privés, la protection du territoire agricole, le réaménagement des municipalités régionales de comté, la fiscalité municipale, l’interdiction d’embaucher des briseurs de grève, le régime d’épargne-action et l’aide aux entreprises. Le Québec négocie aussi l’obtention de plusieurs pouvoirs en immigration.

Le second mandat du PQ est toutefois beaucoup plus ardu. Il est notamment caractérisé par le rapatriement unilatéral de la Constitution canadienne par son rival Pierre Elliot Trudeau et par la perte d’appui des syndicats d’employés de l’État après le reniement de conventions collectives, une conséquence de taux d’intérêt stratosphériques. M. Lévesque adopte aussi le « beau risque » après l’élection du gouvernement conservateur de Brian Mulroney, qui veut intégrer le Québec dans la Constitution.

On ne brosse ici qu’un tableau fort incomplet de la carrière de René Lévesque. Faut-il se surprendre qu’un homme profondément usé annonce son départ en juin 1985, usé par les attentes à son endroit, par ses propres rêves brisés, par un mode de vie loin d’être axé sur la santé?

Comment a-t-il pu, surtout quand il était au pouvoir, constituer un tel centre d’attention, pour ceux qui l’aimaient comme pour ceux qui le détestaient?

Ceux qui l’aimaient ou qui le respectaient s’ennuient de son extraordinaire éloquence. Son intelligence des mots, tant dans l’écrit qu’à l’oral, surprend encore aujourd’hui, notre époque étant largement caractérisée par les phrases vides de sens et par le français déficient de trop de politiciens.

Les opposants à ses politiques, lors de son passage au Parti libéral ou au Parti québécois, l’ont craint parce qu’ils le savaient doté d’un argumentaire incisif, réfléchi et dévastateur.

Lors des funérailles de René Lévesque en novembre 1987, Maurice Bellemare, ex-chef de l’Union nationale et fougueux adversaire du Parti québécois, résumait le fond de la pensée de bien du monde en disant, les yeux rougis, qu’il avait « bien braillé » en apprenant son décès. Il ajoutait qu’il « faudrait aller arracher des pages des discours des débats » pour effacer tout ce qui s’était dit d’irrespectueux à l’endroit de l’ex-premier ministre.

Des gens l’ont probablement aimé autant que d’autres l’ont détesté parce qu’il incarnait souvent un paradoxe, comme eux. Il a été une vedette du Parti libéral, puis du Parti québécois, un nom qu’il n’aimait pas. Il croyait à la prédominance du français au Québec mais il aurait souhaité que la situation de la langue évolue sans légiférer.

Il aurait aussi voulu que les immigrants choisissent d’emblée le français en arrivant au Québec, mais la tradition était tout autre, ce qui a aussi pavé la voie à la négociation d’ententes avec Ottawa. Souverainiste, il s’est néanmoins laissé tenter par le beau risque. Les gens l’appelaient « René », ce que très peu de péquistes faisaient à son endroit. Il vouvoyait d’ailleurs à peu près tout le monde.

Partisans et adversaires ont applaudi le passage de sa dépouille, sur la route et dans les rues entre Montréal et Québec en 1987, un fait rare. Lors de sondages, il obtient plus d’appréciation de ceux qui se souviennent de lui, depuis son décès que de son vivant.

Pour comprendre le Québec d’aujourd’hui, il faut nécessairement le lire, lire à son sujet et l’écouter, puisque la technologie le permet. La meilleure leçon d’histoire pour quiconque se sent largué consiste à se renseigner sur la vie de René Lévesque.

Félix Leclerc a dit qu’il fait partie de la courte liste des libérateurs de peuples. C’est vrai. La meilleure façon de souligner les 100 ans de René Lévesque, c’est d’en apprendre davantage à son sujet.