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Éditorial
16 avril 2018 14 h 47

Ristigouche-Sud-Est: une victoire sans équivoque, mais à achever

Gilles Gagné

Éditorialiste

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L’utilisation des mots « défendre » et « mauvaises orientations » est réfléchie ici. Comment désigner autrement l’extraordinaire faiblesse des règlements, des lois et des projets de règlement adoptés ou proposés par les gouvernements de Jean Charest, de Pauline Marois et de Philippe Couillard depuis le début de la décennie 2010?

Comment ne pas écarquiller les yeux de dépit devant le laxisme démontré par ces gouvernements dans la délivrance de permis d’exploration?

Comment ne pas s’incliner, pour vomir, devant la décision du ministre Pierre Moreau, alors qu’il était aux Affaires municipales en septembre 2014, de ne pas appuyer financièrement un village de 160 personnes aux prises avec la firme Gastem, alors que l’État avait déjà appuyé une ville visée par une action en justice initiée par une compagnie de pâtes et papiers?

Gastem appuyé par un état pétrolier ?
Gastem est un petit joueur certes, mais il était appuyé par une gigantesque industrie et même, il est permis de le penser, par le gouvernement Couillard, qui se comporte en état pétrolier depuis avril 2014, quoiqu’il se targue d’être vert.

La poursuite de Gastem était abusive, une évidence dès la signification de l’avis d’action en justice de 2013, alors porteuse d’une intention de réclamer 2 millions $ en dommages et intérêts à un village qui voulait protéger son eau potable. La somme a été révisée à 1,5 million $ en 2014, et de nouveau à 1 million $ en septembre 2017.

Sur la question des hydrocarbures, le gouvernement Couillard, en déposant des projets de règlement ou des projets de loi qu’on croirait dictés par l’industrie pétrolière, se comporte comme s’il croyait que les citoyens allaient finir par s’endormir ou abandonner la partie.

Le rôle déterminant de Ristigouche-Sud-Est
Quoi qu’il en soit, dans 5, 10 ou 20 ans, des gens se souviendront qu’un village gaspésien, mené par François Boulay, un maire courageux, inspiré et inspirant, a joué un rôle déterminant dans l’évolution des mentalités. On parlera de Ristigouche-Sud-Est pour la protection de l’eau comme on parle de Petite-Vallée pour la chanson.

En gagnant sa cause contre Gastem, la municipalité a prouvé une fois de plus à la face du Québec que la Gaspésie, loin de traîner en fin de classement en matière de vision moderne, se situe dans le peloton de tête. Elle l’avait déjà prouvé en énergie éolienne, en transport en commun et en ceinturant son territoire d’un réseau internet à haute vitesse avant bien d’autres régions.
La bataille pour la protection de l’eau potable et la prévalence du bon sens est toutefois loin d’être gagnée.

Dans son verdict, la juge Nicole Tremblay rejette l’indemnisation demandée par Gastem, condamne la firme à rembourser 164 000 $ à Ristigouche-Sud-Est, soit la moitié de ses frais légaux, et précise qu’une municipalité a non seulement le droit mais le devoir de protéger ses champs de juridiction, comme l’eau potable.

Pas encore de la jurisprudence
Ce n’est toutefois pas encore un jugement qu’on peut classer comme de la jurisprudence, c’est-à-dire établissant des balises complètes, parce qu’à l’origine de la cause, en 2013, le gouvernement du Québec n’avait pas encore adopté de règlement de protection de l’eau potable. Un tel règlement a été entériné en 2015. La juge Tremblay ne pouvait donc statuer en fonction d’un règlement qui n’existait pas quand la cause a été instituée. Bref, pour renforcer la jurisprudence, il faudrait un nouveau différend avec une firme exigeant une indemnisation à cause d’un projet supposément avorté par un règlement municipal.

Le règlement québécois de 2015, jugé nettement insuffisant par les experts en protection de l’eau, limite à 500 mètres la distance entre un puits de forage pétrolier et une source d’eau potable. Le règlement de Ristigouche-Sud-Est établit cette distance à deux kilomètres.
On ne sait donc pas comment un tribunal réagirait s’il avait à choisir entre une préséance québécoise ou une préséance municipale, mais le sillon tracé par la juge Tremblay donne beaucoup de poids aux municipalités.

Élection au Québec : espoir et menace
Le contexte électoral représente à la fois un espoir et une menace pour les défenseurs de l’eau. D’une part, près de 340 municipalités représentant 4 millions de personnes, la moitié des Québécois, demandent au ministère de l’Environnement une dérogation pour faire respecter une distance séparatrice de deux kilomètres sans risquer d’aller en cour. D’autre part, s’il fallait que le Parti libéral soit réélu ou que la Coalition avenir Québec accède au pouvoir, les défenseurs de l’eau auront à faire face à un gouvernement agissant en état pétrolier.

Des gens sursautent à la mention d’état pétrolier pour désigner le comportement du gouvernement québécois en matière de règlementation d’hydrocarbures. Pourtant, l’expression est pleinement justifiée : avec un potentiel que les géologues éclairés jugent faible, le cabinet du gouvernement Couillard maximise le risque de dégâts. La CAQ trouve d’autre part que l’accent sur le pétrole devrait être renforcé. Quant au Parti québécois, il a tellement louvoyé en matière de pétrole au cours des dernières années qu’il est difficile de se fier à son programme.

C’est le gouvernement Couillard qui traîne le plus lourd bilan. On l’a vu avec le règlement sur la protection de l’eau potable, avec l’ignoble loi sur la transition énergétique d’avril 2016, qui se présente en réalité comme une ouverture au pétrole, et en septembre 2017 avec les quatre projets de règlement en matière d’exploration et d’exploitation d’hydrocarbures, une invitation à la fracturation.

Allumettes et kérosène
Tout semble taillé sur mesure pour bénéficier à des compagnies pétrolières ayant par contre peine à trouver un embryon de gisement prometteur.

C’est comme si on permettait à des promoteurs de se promener en craquant des allumettes dans une maison où on aurait répandu ici et là quelques litres de kérosène.

Si ce gouvernement était vert, il soumettrait des projets de loi et de règlements modernes, au lieu de brouillons qu’on croirait sortis d’un tiroir fermé en 1950. À six mois du scrutin, c’est une situation difficile à rattraper.

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