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27 juillet 2015 11 h 29

UN GREFFÉ DU CŒUR PÉTANT DE SANTÉ

GASPÉ – Deux ans après sa greffe du cœur, Jean-Sébastien Synnott, de L’Anse-au-Griffon, respire la santé. Et le jeune homme, plaidoyer vivant en faveur du don d’organes, est en contact avec la mère du donneur.

Jean-Sébastien, 23 ans, a pris le temps de rencontrer GRAFFICI entre deux voyages de pêche à la crevette. Le teint coloré, les joues rondes, difficile de croire que le jeune homme de pont subissait une greffe du cœur il y a à peine deux ans.
« Je fais toutes les activités que je faisais avant : de la motoneige, du quatre-roues, la pêche. Il n’y a rien que je ne fais pas! », lance Jean-Sébastien. Sauf qu’il est plus conscient qu’avant de sa chance. « Des fois, on se plaint pour rien. Des problèmes, ça se règle. T’es bien mieux là que dans un lit d’hôpital. »

Son histoire
En novembre 2012, Jean-Sébastien est admis à l’hôpital de Gaspé en raison d’une péricardite, une inflammation de l’enveloppe du cœur. Des tests laissent croire qu’il y a plus complexe. Transféré à l’Hôpital Laval, à Québec (Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie), on lui diagnostique une cardiomyopathie, une dilatation du cœur, pour laquelle on essaie de le soigner. « Normalement, on prend des médicaments pour que le cœur rapetisse. Dans mon cas, ça a empiré. »
Au temps des fêtes 2012, Jean-Sébastien ne va pas bien du tout. « Me relever du lit, c’était comme courir le marathon. Mon cœur battait à 130 [coups à la minute] au repos, dans mon lit. » Le 28 décembre, on met Jean-Sébastien sur la liste des patients en attente d’une greffe du cœur.
« Des fois, j’étais déprimé parce que je ne pouvais rien faire. Mais premièrement, je n’ai jamais pensé que j’allais mourir, je suis positif. Et je savais que j’étais à la bonne place [à l’Hôpital Laval], je me sentais en confiance. »
L’état de santé de Jean-Sébastien ne lui permet pas de patienter en attendant un donneur. Le 9 janvier, on l’opère pour lui installer un cœur mécanique. « Un Heart Matte 2, souligne cet amateur de machines. Ils mettent une turbine en-dessous du cœur pour pomper le sang du ventricule gauche vers le système sanguin. Tu le sens virer et tu l’entends dans une pièce tranquille, c’est comme le bruit d’un clipper. »
Son corps s’adapte bien au cœur mécanique. Mais les inconvénients pratiques sont nombreux. Pour la moindre sortie, Jean-Sébastien doit s’encombrer d’un « sac banane » avec le contrôleur de son cœur mécanique. Dans son trois pièces et demie à Québec, il est constamment branché sur la machine par un fil qu’il traîne derrière lui dans toutes les pièces. Et le retour permanent à L’Anse-au-Griffon est impossible.
« J’étais encore jeune. Un cœur mécanique, c’est beaucoup d’entretien, tu dois aller à l’hôpital souvent, explique Jean-Sébastien. Je devais rester à Québec pour les changements de pansement, là où le fil rentre. Je suis retourné deux fois chez nous pendant deux ou trois jours. Ils avaient averti les ambulanciers pour ne pas qu’ils  utilisent le défibrillateur si j’avais un arrêt cardiaque. »
« Je ne voulais pas dépendre de ça », résume Jean-Sébastien. Après quatre mois de repos, on le remet sur la liste des patients en attente d’un cœur. Une démarche qui implique de demeurer à Québec, un téléavertisseur sur lui en tout temps. Et d’avertir lorsqu’il s’éloigne de la ville.

La Gaspésie derrière lui
Quand Jean-Sébastien est tombé malade, l’une de ses tantes, Carolyne Legresley, crée la page Facebook « Un cœur pour toi Jean-Sébastien », qui compte plus de 13 000 membres à un certain moment. Les gens envoient des dons, mais aussi, des messages de soutien. « J’avais l’impression d’avoir toute la Gaspésie en arrière de moi », dit Jean-Sébastien.
« Mes amis, surtout mes amis proches, ont trouvé ça dur de me voir malade. On est cinq, toujours ensemble. Et c’était moi le plus énergique. Quand j’ai été opéré pour mon cœur mécanique, ils s’en allaient à Cancún [au Mexique] et ça a presque gâché leur voyage! »

Le grand jour
 Le 15 août 2013, en fin de journée, Jean-Sébastien revient de faire les magasins de Québec avec des membres de sa famille. Il est dans l’auto quand son téléavertisseur sonne. « L’infirmière-chef me dit : comment ça va? Es-tu prêt? »
À ce moment, Jean-Sébastien ne le sait pas, mais un jeune homme de 19 ans vient de mourir des suites d’un accident d’auto. C’est son cœur qu’il recevra le lendemain.
Jean-Sébastien parle de la greffe presque comme d’une formalité. « Ils coupent les gros tuyaux puis ils les rebranchent. Ça prend à peine quatre heures. La seule affaire, c’est que le médecin a eu du mal à sortir le cœur mécanique! Mon corps l’avait bien accepté. »
Au réveil, qu’est-ce que ça fait de penser qu’on porte le cœur d’un autre? « C’est vraiment spécial. Au fond, il est mort pour moi. »
Jean-Sébastien se remet à vitesse grand V. Moins de deux semaines plus tard, il sort de l’hôpital. Et cet automne-là, « j’ai fait ma chasse au chevreuil », dit-il.
Dès le mois d’avril suivant, il recommence à travailler comme homme de pont sur le crevettier l’Eaux-Vives. Le capitaine Eddie Joncas fait confiance au jeune greffé, qui a déjà une expérience comme pêcheur de poisson de fond. « Il savait que j’étais vaillant. Mais il m’a quand même demandé un billet du médecin! », lance Jean-Sébastien en riant. Il n’y a aucune contre-indication à travailler, sauf que « les muscles n’étaient plus là. J’ai manqué perdre connaissance dans la cale la première fois. »
L’hiver suivant, Jean-Sébastien se tient en forme grâce à un entraînement de boxe. Le printemps dernier, retour sur un crevettier, le Manic 5, pour sa deuxième saison de pêche avec son cœur greffé.
Jean-Sébastien doit prendre des immunosuppresseurs (médicaments anti-rejet] soir et matin, un traitement dont il s’accommode sans problème. Et il consulte à Québec aux six mois « pour une prise de sang et parler au médecin ».

Des contacts avec la mère du donneur
Entre-temps, Jean-Sébastien a reçu une demande d’amitié bien spéciale sur Facebook : la mère du donneur, Manon Pagé, voulait savoir comment allait le cœur de son fils et surtout, celui qui le porte.
Pour des raisons éthiques, l’hôpital garde confidentielles l’identité du donneur et celle du receveur, mais avec Facebook, les deux familles ont tôt fait de se retracer. « Caroline Legresley, qui s’occupait de la page Facebook, a parlé à Manon Pagé. Elles étaient certaines presque à 100 % que c’était moi. Il n’y a pas eu d’autre greffe ce jour-là », explique Jean-Sébastien.
Depuis, Mme Pagé, qui habite les Laurentides, prend des nouvelles de Jean-Sébastien via Internet.  « Elle me demande comment va le cœur, elle me dit de faire attention, d’en prendre soin », rapporte Jean-Sébastien.
Le fils de Manon Pagé a fait don d’autres organes, dont ses poumons et ses reins. « Elle me dit, si c’était les poumons ou une greffe de moelle, ce serait différent, mais c’est le cœur. »
Manon Pagé et Jean-Sébastien pourraient se voir bientôt en personne. « Je monte à Québec début août. Je vais lui proposer de me rencontrer. »
Le cœur du fils de Mme Pagé, qui s’appelait Jean-François, va comme un gant à Jean-Sébastien. « Les médecins m’ont dit : si tu avais eu le choix entre dix cœurs, tu aurais pris celui-là. Il faut trouver un cœur du même gabarit. Celui-là, pour ma grandeur, mon poids, il était parfait. »
A-t-il signé sa carte de dons d’organes? « Non! Ça a l’air fou, sauf que mes parents et amis savent que je serais d’accord, répond Jean-Sébastien. Je dis souvent aux gens d’essayer de convaincre leurs parents d’être d’accord avec le don d’organes. Parce que même si tu signes ta carte, si la famille dit non, c’est non! »

Au tour de la mère de Jean-Sébastien
La cardiomyopathie dont souffrait Jean-Sébastien est héréditaire. Sa mère, Lucie Trudel, a passé des tests à son tour. « Elle a été diagnostiquée elle aussi, rapporte Jean-Sébastien. Elle attend un cœur à Québec depuis deux-trois mois. C’est elle qui s’est occupée de moi quand j’étais malade. Je lui souhaite de recevoir un cœur et que ça aille aussi bien pour elle que pour moi. »