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Blogue citoyen

28 avril 2016 13 h 35

MANGER DU PLASTIQUE À EN MOURIR

Lyne Morissette

Blogueuse et scientifique

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Ce genre de phénomène arrive fréquemment. La vraie question est pourquoi? Elle est importante parce que si nous comprenons pourquoi les baleines mangent du plastique jusqu’à en mourir, nous aurons peut-être une réponse à ce mystère des échouages massifs qui dure depuis des siècles. Le Capitaine David Williams, qui étudie le phénomène depuis les années 60, propose une explication à ce phénomène.

Le sac de plastique ressemble au calmar?

Le plastique flotte à la surface. Il tourne et bouge avec les vagues de façon similaire au calmar ou aux poissons. Les baleines affamées, blessées, désorientées et à la faible acuité visuelle penseront facilement que ce plastique est de la nourriture.

Certains croient qu’une baleine en santé peut faire la différence entre un ragoutant calmar et des déchets plastiques qui flottent à la surface en utilisant un système d’écholocation similaire aux rayon-X utilisés en médecine, mais en 1000 fois meilleur.

Ce merveilleux système de visualisation des cétacés à dents (odontocètes) est si fantastique qu’il peut aisément distinguer le plastique qui flotte à la surface et tout ce qui est comestible comme les poissons et les calmars. Le bec osseux des calmars, tout comme le squelette des poissons, apparaissent plus clair dans les images « bisonar » reçues par les cétacés. Alors pourquoi ne font-ils pas la différence?

Système acoustique défaillant?

Le cachalot en santé se nourrit de calmars géants vivant à quelques milliers de mètres de profondeur; pas à la surface. Il n’y a pas de calmars géants dans la Mer du Nord alors pourquoi un cachalot voudrait-il explorer ce plan d’eau si peu profond? Peut-être parce que son système de navigation acoustique a failli?

Si un cachalot souffre d’un traumatisme pouvant causer une dysfonction de son système d’écholocation, il serait aussi perdu en mer qu’un aveugle qu’on balancerait par dessus bord en plein nuit. Il serait incapable de plonger et de se nourrir.

Parce que l’eau est 832 fois plus dense que l’air, sa résistance retournerait sur le dos un cachalot perdu et le placerait la tête en bas vers l’aval de tout courant ou cours d’eau. Le cachalot poursuivrait sa dérive vers l’aval en mourant tranquillement de faim. Il deviendrait de plus en plus déshydraté parce que l’eau douce qui le maintient en santé provient des proies qu’il consomme.

De plus, le courant aval faisant dériver le cachalot perdu est le même qui transporte les grains de sable créant les plages, alors les chances sont très élevées que ces cachalots voyageant vers l’aval se retrouvent éventuellement guidés vers les plages.

Désidratation menant au délire?

L’un des symptômes majeurs de la déshydratation est une perte d’acuité visuelle. Étonnamment, même en milieu marin, les yeux sèchent littéralement lorsqu’ils perdent de l’eau. Ceci veut dire que lorsqu’une baleine ne mange pas en raison d’un trouble dans son système d’écholocation, elle devient déshydratée rapidement et peut même en venir à boire de l’eau salée, ce qui n’aide en rien sa déshydratation, menant parfois à des délires, convulsions, crises cardiaques et dommages cérébraux permanents.

Bouleversements sous-marins?

Environ 1500 bouleversements sous-marins (en anglais « seaquakes » ou tremblements de mer) se produisent annuellement dans l’habitat naturel des dauphins et baleines. Ces évènements naturels peuvent larguer une énergie équivalente à la bombe nucléaire lancée sur Hiroshima durant la deuxième Guerre Mondiale.

Ces perturbations brassent les fonds marins et génèrent ainsi d’immenses vagues de variations de pression pouvant créer des lésions crâniennes internes dans l’énorme tête de ces cétacés.

En fait, une seule de ses perturbations peut aisément désactiver le système d’écholocation d’une meute entière de cachalots se trouvant à proximité. Une telle blessure, appelée barotraumatisme, est la plus fréquente chez les plongeurs. Les exercices militaires mais surtout les activités d’exploration pétrolières – qui augmentent de plus en plus dans tous les océans du monde, à commencer par ici dans le Golfe – causent exactement le même type de séquelles aux odontocètes.

Des causes humaines suspectées

Le Capt. David Williams a une expérience de 52 ans en mer. En 1962, il a été bouleversé par les échouages de baleines et depuis il tente obsessivement de résoudre ce mystère. Il a passé toute sa vie adulte à étudier les océans et les mammifères qui y vivent. Il est maintenant à la tête du plus ancien groupe de conservation des baleines au monde.

Malheureusement, la recherche sur les sinus et barotraumatismes chez les cachalots est très peu encouragée car, selon le capitaine Williams, « la marine et l’industrie pétrolière (qui financent près de 97% de la recherche sur les cétacés dans le monde) n’a pas intérêt à transmettre l’information sur les blessures reliées à la pression chez le plus grand mammifère plongeur que la terre ait connue ».

Il poursuit en expliquant que « la raison pour laquelle on constate cette carence d’information est que les sonars et autres appareils à air comprimé que ces secteurs utilisent causent exactement les mêmes barotraumatismes que les perturbations naturelles.

Admettre que ces perturbations naturelles existent serait d’admettre que l’industrie pétrolière et les manœuvres militaires ont le même impact. Les scientifiques qui oseraient publier sur les barotraumatismes et problèmes de sinus chez les cachalots n’auraient jamais de financement et ils le savent! ».

Alors que certaines études, financées par la marine américaine (US navy) explorent le phénomène pour les baleines de Cuvier et les baleines bleues (qui s’échouent rarement en groupe pour des raisons inconnues), il existe en effet peu d’études portant sur les barotraumatismes chez les cachalots ou autres odontocètes.

Certains lirons ce texte en évoquant “la théorie du complot”, le justifieront par une aversion naturelle aux pétrolières, par un manque de savoir scientifique. Je répondrai qu’ils ont peut-être raison. Mais il s’agit là de la thèse d’un homme qui a passé des décennies à côtoyer ces animaux et à naviguer et étudier les océans.

« On protège ce qu’on aime, et on aime ce qu’on connait »… Cette phrase de Cousteau martèle tous mes textes à Graffici.

Le Capitaine David Williams voue une passion sans bornes aux cétacés auprès desquels il a navigué toute sa vie. Il est donc facile de comprendre sa grande envie de les protéger. Et la connaissance, elle n’est pas toujours dans les livres ou cachée derrière un diplôme de doctorat ou un gros poste académique. Loin d’expliquer tous les échouages qui surviennent ici, le dérangement acoustique et les activités pétrolières ont un impact réel sur les mammifères marins, peut-être encore plus sur les odontocètes. Évidemment, choisir le chemin facile serait d’éviter la question et ainsi de se mettre la tête dans le sable pour assurer le financement de nos activités de recherche.

Pour de plus amples renseignements sur les impacts potentiels du dérangement acoustique sur les cétacés, un dossier de Baleines en Direct : http://baleinesendirect.org/les-reactions-des-baleines-aux-sonars-actifs-ont-ete-mesurees/