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6 avril 2016 18 h 14

MOURIR AU HONDURAS

Cette fois aussi, trente ans plus tard, les policiers conclurent à une tentative de vol; mais les proches de la victime ainsi que celles et ceux qui connaissaient l’ampleur de son engagement comprirent qu’on venait sciemment de l’éliminer (Voir le site Mémoire des Luttes). À cause de son action, elle s’était mérité le prestigieux prix Goldman « Nobel Vert (qui) lui avait été décerné l’année dernière pour son opposition à la construction d’un des plus importants projets hydroélectrique de l’Amérique Latine… ». (Guy Taillefer, Le Devoir 21 mars 2016)

MOURIR POUR SES IDÉES ET SES ENGAGEMENTS
Cette nouvelle récente comme celle d’un passé encore présent nous rappelle qu’au Honduras, petit pays de 8 M d’habitants d’Amérique Centrale, comme dans tant d’autres dans le monde hélas, on meurt encore à cause de ses idées et de ses engagements.

Willie Arsenault, comme madame Caceres, s’était engagé dans une cause visant à transformer le monde, à le rendre meilleur. Avec une équipe de collaborateurs et collaboratrices de ce pays, il créa la Société Amis des Enfants du Honduras dont la mission était dédiée aux enfants abandonnés. Il y a consacré les vingt dernières années de sa vie.

Il faut savoir qu’à cette époque, la situation des enfants était assez catastrophique dans ce pays (comme dans de nombreux autres d’Amérique Latine): selon une évaluation réalisée en 1986 par la Société Amis des Enfants du Honduras, on notait que 85% des familles étaient désunies, près de 60% des enfants étaient dans l’abandon, sans compter le taux d’analphabétisme qui dépassait les 50%.

Cette Société, par son action, créa en vingt ans, six villages comptant entre 100 et 400 enfants chacun, des projets de fermes et d’ateliers pour les adolescents, un village pour mères abandonnées avec leurs enfants ainsi qu’un Centre de Formation pour tous les collaborateurs et collaboratrices à ces projets. Ainsi, plus de dix mille honduriens et honduriennes ont pu pendant cette période se bâtir un avenir meilleur avec le secours de cette organisation. Une œuvre gigantesque.

Voilà pour le rappel historique.

Regardons maintenant brièvement les contextes d’alors et d’aujourd’hui qui ont permis cette pauvreté et cette violence.

Dans les années 80, il faut se souvenir que l’Amérique Centrale était aux prises avec des guerres de « libération nationale » où, particulièrement au Nicaragua, le gouvernement américain soutenait un groupe contrerévolutionnaire (La Contra) afin de renverser le gouvernement du Front Sandiniste de Libération Nationale récemment élu démocratiquement et qui avait auparavant, délogé du pouvoir par la force, le dictateur Anastasio Somoza. La crainte des américains était que la révolution nicaraguayenne se répande dans les autres pays limitrophes où des groupes révolutionnaires menaçaient les oligarchies locales. Cette guerre avait de grosses répercussions au Honduras où les américains avaient aménagé une base militaire ayant pour rôle de former les soldats de la contrerévolution. Cela créait un climat de violence qui avait pour effet de fragiliser la sécurité des personnes.

Pour nous donner une idée de ce qu’était politiquement le Honduras dans les années 80 – 90, un document du Centre de Documentation du Honduras (1993), soulignait que le « Honduras (était) passé de République de banane à Porte-avions des États-Unis ». Cela en dit long surtout sur son indépendance par rapport aux américains.

Dans un pays doté d’une économie presque exclusivement axée sur l’exportation où les grandes compagnies bananières principalement, avaient une influence et un poids énorme sur la réalité sociale, politique et économique , les paysans n’avaient souvent d’autre choix que de quitter leurs cultures et s’en aller travailler pour ces géants exportateurs et ce , pour des salaires de misère. À cette époque particulièrement, il était très dangereux dans ce pays de revendiquer ses droits. Des groupes armés paramilitaires à la solde de grands intérêts financiers se chargeaient d’éliminer les personnes gênantes. Nombreux sont les syndicalistes, paysans, prêtres, étudiants qui ont payé de leur vie leur engagement à défendre les droits humains. Des cas sont rapportés régulièrement dans les journaux et particulièrement dans les publications du Comité pour la Défense des Droits Humains au Honduras (CODEH). En juin 1991, cet organisme lança une accusation contre un colonel de l’armée pour « assassinat et tentative d’assassinat de cinq paysans ». Dans le bulletin d’information du Centre de Documentation du Honduras ( 1992), un article traitant de la violence dans le conflit agraire, rapporte l’assassinat de deux paysans lors d’une attaque dans le but de les expulser de leur terre . Dans le même bulletin, ce petit extrait d’un texte intitulé « Le drame de la réalité nationale » rédigé à l’occasion de la fête des travailleurs, illustre bien le propos : « En ce premier mai, les travailleurs, nous nous mobilisons pour commémorer l’héritage de ces hommes et ces femmes qui, par le sacrifice de leur vie, nous ont montré le chemin que nous aurons à parcourir pour construire une société où il y a la patrie et la liberté pour tous. »

Aujourd’hui, selon les statistiques des Nations-Unies, la pauvreté aurait légèrement diminué au Honduras, mais 30% de la population vit encore avec moins de deux dollars par jour et 62% est considérée pauvre selon l’Observatoire Politique de l’Amérique Latine et des Caraïbes de la Banque Mondiale. Quant à la violence, elle a fait un bond en avant. Les situations de guerre ne sont plus là depuis le début des années 1990, mais le narcotrafic semble avoir pris la place. Selon la Drug Enforcement Administration ( Police fédérale Américaine) « 95% du trafic de drogue qui voyage de l’Amérique du sud jusqu’en Amérique du nord passe par le Honduras.» Dans le journal El Heraldo du Honduras, on souligne que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) n’hésite pas à parler d’épidémie en parlant de violence dans ce pays. On y rapporte, selon le même organisme, que la situation de la violence y est particulièrement préoccupante avec un taux de 85 homicides par 100 mille habitants annuellement. En comparaison, le taux au Canada, selon statistique Canada, est de 1.5 et aux États-Unis, d’après les relevés de l’Office des Nations-Unies contre la drogue et le crime, il serait (malgré tout ce qu’on entend dans les médias) de 5 et la moyenne mondiale de 9. Le journal El Pais de Colombie quant à lui, en rajoute en affirmant que, des pays qui ne sont pas en guerre, le Honduras a le taux d’homicides le plus élevé au monde.

Sur le site Mémoire des Luttes, on parle de violations toujours actuelles des droits humains au Honduras. On mentionne que « Dans un rapport rendu public le 11 juillet(2011) et présenté devant différentes instances de la société hondurienne et du Parlement européen, une mission internationale d’observation attire l’attention sur les violences qui, depuis le coup d’état du 28 juin 2009, se sont multipliées contre les paysans du Bas Aguas au Honduras. »

Quant à la situation politique, après toutes ces années, s’est-elle améliorée? Considérant ce coup d’état militaire perpétré en 2009 et qui a conduit à la destitution du président démocratiquement élu M.Manuel Zelaya , nous pouvons nous permettre d’en douter.

Dans un article publié également sur ce même site, le journaliste et ex-rédacteur en chef du Monde Diplomatique, M. Maurice Lemoine souligne que le motif de cette destitution avait été la permission demandée par monsieur Zelaya de convoquer « une Assemblée nationale constituante destinée à élaborer une nouvelle Constitution politique » qui aurait permis a tout président de se présenter pour un deuxième mandat. Dans cet article, un paragraphe est particulièrement éclairant pour répondre à la question posée plus haut :

« On passera rapidement sur la répression du mouvement populaire et le désastre social – narcotrafic, corruption, insécurité, limitation des droits individuels, militarisation – qui, au fil des évènements « post golpe », ont transformé le Honduras en un État littéralement failli. Précisons simplement que, le 8 avril 2010, une nouvelle base militaire américaine a été inaugurée ( ) et que deux cent cinquante marines vont prochainement renforcer les cinq cents militaires toujours présents dans l’imposante base de Palmerola, créée sous Ronald Reagan pour appuyer les contre-révolutionnaires nicaraguayens. ( ). »

Si elle ne se répète pas, l’histoire semble pour le moins poursuivre son bonhomme de chemin tout comme avant.

À la lumière de ces quelques données bien partielles j’en conviens, nous pouvons peut-être mieux comprendre pourquoi, même encore aujourd’hui tout comme hier, s’engager à amorcer un changement social dans un pays comme le Honduras ou la pauvreté est un outil de sous-développement au profit de quelques-uns, ne peut se faire malheureusement qu’au péril de va vie.