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2 juin 2016 16 h 33

PETIT SEGMENT DE LA VIE DE GEORGE

Georges est un lève-tôt. D’habitude, il se fait un café qu’il boit dans une tasse récupérée à même l’amoncellement de vaisselle qui traine près de l’évier depuis plusieurs jours. En fait, il ne fait que très rarement sa vaisselle. C’est comme ça. Le quotidien de Georges se résume souvent à fumer, boire du café, écouter la radio. Il aime bien la musique, les vieux airs des années 70-80 qu’il écoute à la journée quand il se sent bien.

Quand il était plus jeune, adolescent même, il aimait beaucoup jouer de la guitare, il était même excellent musicien, mais depuis très longtemps, il n’en joue plus. En fait, il ne fait plus rien de ce qu’il faisait auparavant quand il excellait dans presque tout ce dans quoi il s’investissait, particulièrement dans le sport.

Un ami de passage

Une ou deux fois par semaine, George reçoit la visite de son intervenant qui vient l’aider à faire ses courses, jeter un œil sur la tenue de son logement, parfois simplement « piquer une jase ». Même si Georges ne parle pas beaucoup, il semble bien apprécier la présence de son « ami de passage ». C’est d’ailleurs comme ça qu’il l’appelle. À l’occasion, il lui téléphone le soir, pour jaser un peu, comme pour se rappeler qu’il n’est pas tout à fait seul, et ainsi calmer son angoisse.

Famille inquiète

Les seules personnes à visiter George, à part son intervenant, sont ses parents et son frère. Ces derniers sont souvent inquiets à son sujet, surtout sa mère qui dit se sentir vieillir dans l’impuissance d’aider son fils comme elle le voudrait. Elle aussi a besoin à l’occasion du support de l’intervenant. Elle l’appelle des fois pour lui demander des nouvelles et lui confier ses inquiétudes, cela la réconforte. Quant à son père, il dit s’être résigné.

Cela fait de nombreuses années que Georges vit reclus dans un petit appartement. Des logements, il en a eu beaucoup. Il a souvent dû les quitter, soit parce qu’ils étaient insalubres ou encore tout simplement parce qu’on l’expulsait pour toutes sortes de raisons, la plus fréquente étant la détérioration des lieux. Selon Georges, c’est l’armée ou la mafia qui s’acharnent sur lui et lui veulent du mal.

Des voix dans la tête

Georges dit entendre des voix méchantes dans sa tête qui le menacent continuellement. Une fois par mois, Mario (son internant) vient le chercher pour l’emener à l’hôpital recevoir son injection. C’est un médicament que son psychiatre lui a prescrit et lui administre pour l’aider à faire taire ses voix, dit Georges. Parfois, ces visites doivent se prolonger, se transformeent en séjour. Ça c’est quand il est plus agité, ne dort presque plus et que les voix en viennent à prendre le dessus sur lui. Durant ces périodes, en plus de ne pas dormir, il ne mange presque pas et très mal. Et il vocifère pour faire fuir « ceux qui lui veulent du mal ». C’est en ces termes qu’il s’exprime.

Marcher sur un fil de fer

Dans de telles situations, ses voisins se plaignent du bruit et disent avoir peur de lui. Quand cela se produit, afin de les rassurer, de façon à ce que tout se calme et que Georges ne soit pas expulsé, Mario va les rencontrer ainsi que le propriétaire. Habituellement, ces interventions portent fruits, mais la situation demeure toujours fragile. C’est comme marcher sur un fil de fer selon Mario.

Certains jours où il va un peu mieux, Georges sort prendre un café dans un restaurant pas loin de chez lui. Même s’il ne fait rien de dérangeant, qu’il ne parle à personne, juste à son allure un peu négligée, de gars-qui- a-passé- la-nuit-sur-la-corde-à- linge, à son air bizarre aux dires de certains clients, sa présence finit presque toujours par susciter des réactions de crainte et de rejet. Ayant été vu à cet endroit à quelques occasions avec son protégé, Mario est parfois interpellé par le propriétaire ou une employée dans le but de se faire rassurer. Habituellement, ces personnes collaborent très bien avec lui, jusqu’à devenir-même des aidants à leur tour.

La nature à la rescousse

À de rares occasions, c’est en pleine nature que Georges et Mario vont se promener. Lors de ces balades, pour un court temps, la personnalité de notre ami se transforme, il devient plus calme, détendu, accepte de converser un peu. Lors d’un pique-nique au bord de l’eau, c’est avec émotion que Mario entendit ces simples paroles : « Tu peux pas t’imaginer comment je suis bien avec toi ici, aujourd’hui ». Un petit miracle pour Mario, ces éclats de lumière qui se présentent parfois, sans préavis.

Un matin, quand Mario se présenta chez Georges, ce dernier l’attendait avec son sac à dos, prêt à partir pour de bon. Il ne voulait plus demeurer dans son logement, il disait en avoir assez d’avoir peur, de se faire battre la nuit, de risquer d’être envahi par des êtres étranges.

Par ces propos qui étaient ni plus ni moins qu’un appel à l’aide, Mario comprenait que rien n’allait plus avec son ami.

Depuis quelque temps maintenant, Georges vit dans un foyer de groupe, pas très loin de là où il demeurait avant d’aller faire un court séjour à l’hôpital. Dans cette ressource, les résidents vivent comme en famille où, sous la supervision d’un intervenant, chacun est appelé à accomplir ses tâches pour le bon fonctionnement de la maison.

Georges semble bien se plaire dans cette formule de vie, il est un peu plus souriant, converse à l’occasion avec ses compagnons même s’il dit se méfier de quelques-uns pour des raisons qu’il a de la difficulté à expliquer. Mario continue de le visiter régulièrement et ne manque pas de remarquer qu’un certain calme s’est installé dans le quotidien de son ami.

Aujourd’hui, Ils s’en vont tous les deux dîner autour d’un bon feu de camp, au bord d’un cours d’eau. C’est l’activité préférée de Georges. On annonce même une journée radieuse…