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Culture
31 juillet 2015 9 h 33

PRENDRE LA PAROLE

David Lonergan

Blogueur culturel

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Le titre est volontairement provocateur, mais le contenu est beaucoup plus mesuré. Les auteurs cherchent et parfois proposent des moyens qui permettraient de mettre en valeur — tout en respectant l’environnement — au maximum les nombreuses richesses de la Gaspésie, mais trop souvent exploitées abusivement.

Philippe Garon adopte dans le premier chapitre le ton du pamphlétaire. Il ne s’embarrasse pas des détails, il fesse dans le tas des exploitants qu’il met dans le sac des capitalistes. Tout y passe. La flamme qui anime sa phrase finit par nous rejoindre : oui, ce qu’il raconte fait sens, même si les nuances sont tout à fait absentes. Les autres  réajusteront le tir. Lui, sa job c’est de réveiller, de brasser la cage, de rêver. Les autres, c’est de questionner, de proposer, d’envisager. Ça rappelle les beaux jours des Patriotes gaspésiens animés par Gaston Langlais. Même le très mesuré Jules Bélanger avait affirmé quelques années plus tôt que « les Gaspésiens acceptent trop facilement, comme naturellement, par habitude, leur immémoriale situation de parents pauvres. Notre histoire, dit-il, montre bien que nos richesses naturelles ont toujours été exploitées au profit des autres et qu’ainsi nos gens ont à peu près toujours été réduits et maintenus dans la pénible condition de « cheap labour », de servitude et de pauvreté, sinon de réel servage » (Ma Gaspésie, le combat d’un éducateur, Fides, 1993, p. 61.).

Alors Pascal Alain revient sur l’histoire, rappelle le constat pessimiste d’Esdras Minville en 1927, le fameux rapport Higgins-Raynauld-Martin de 1970, s’arrête un peu sur le BAEQ (Bureau d’aménagement de l’Est-du-Québec), termine sur la nécessaire résistance et un souhait d’autonomie. Martin Zibeau et Philippe Derruder abordent l’économie et proposent de créer une monnaie complémentaire comme cela existe dans d’autres pays : c’est par la solidarité que nous réussirons à contrôler au moins une partie de notre économie. David Bourdages fait suite en affirmant qu’il n’y aura pas d’amélioration sans volonté de faire cause commune. De là, il se demande sans offrir de réponse si la solidarité pourrait mener la Gaspésie à son indépendance.

Myreille Allard fait le bilan de la vitalité culturelle de la Gaspésie et tente de définir ce qui caractérise la culture gaspésienne. Intéressante en soi, sa réflexion reprend des éléments connus et ne répond pas vraiment à la question posée par Philippe.

Daniel Côté se penche sur le politique. Pour lui, la première étape est dans l’autosuffisance, ce qui aurait été possible si les compagnies n’avaient pas pillé « nos » ressources. Il faut donc reconstruire et pour cela le gouvernement doit investir, car la Gaspésie n’a plus les moyens de le faire. Sa thèse est intéressante : qu’en serait-il de la Gaspésie si son développement économique avait été dès le départ fondé sur le renouvellement des ressources et non pas leur épuisement? Le gouvernement a la responsabilité du désastre et c’est à lui de réparer. Le raisonnement, pour raisonnable qu’il est, ne suscitera sans doute pas un grand enthousiasme chez nos politiciens…

De courts chapitres viennent ensuite nourrir la réflexion par un hymne à la Gaspésie (Roxanne Langlois), la recherche de l’alternative (Gérard Mathar), le questionnement philosophique (Roseline Lemire-Cadieux), l’utopie (Philippe Garon) et même la fiction (une nouvelle de Daniel Rondeau). Enfin, Philippe vient clore l’ouvrage en souhaitant que tous se posent les questions soulevées et tentent d’y répondre.

Le tout est accompagné de très signifiantes caricatures d’Orbie.

En lisant, je me suis rappelé d’autres lectures, toujours actuelles, toujours intéressantes, qui racontaient certaines luttes. Des poèmes, des romans, des essais, des pièces de théâtre. En voici quelques-unes. La révolte des pêcheurs (Lanctôt éditeur, 1996) de Jacques Keable raconte d’une façon romancée, mais combien véridique, la révolte de 1909 à Rivière-au-Renard. Journaliste de métier, Keable utilise la technique du reportage et entremêle fiction et sources documentaires. À l’origine de la révolte, la demande des pêcheurs d’obtenir une augmentation très raisonnable du prix de la morue. Une demande qui leur fut refusée et qui a entraîné des manifestations réprimées par l’armée. Maurice Joncas s’est inspiré du livre de Keable pour écrire Le temps d’une révolte (2001), un grand jeu dramatique qui n’est pas sans évoquer le théâtre grec.

Lionel Bernier fut l’avocat des expropriés de Forillon, lui dont les parents étaient touchés par les expropriations. Dans son roman, La bataille de Forillon (Fides, 2001), il reconstitue la tragédie et la lutte des expropriés pour faire reconnaître leurs droits et avoir une compensation qui soit plus qu’une aumône à défaut de pouvoir récupérer leurs terres. Une autre lutte épique comme il y en a eu (et en aura) d’autres. Un jour, il faudrait écrire la révolte de 1886 à Paspébiac (un des événements du roman La belle embarquée de Rivière), les luttes menées par les Opérations Dignité pour contrer les fermetures des « paroisses marginales », la contrebande d’alcool (le gendarme Lacasse en a fait le cœur de son autobiographie, Un vrai de vrai, compte d’auteur, 1985) et bien d’autres.

Témoignant de son choix de devenir écrivain, Sylvain Rivière (dont toute l’œuvre chante la Gaspésie) écrit : « J’ai commencé à écrire pour me libérer de la révolte qui couvait à l’étroit de moi. Aussi parce que je prenais conscience que les véritables héros n’étaient pas ceux qu’on nous vendait de force […], mais qu’ils habitaient plutôt autour de moi, pêcheurs de métier, mère de famille de quatorze enfants, lumberjacks, quêteux, ramancheux, sages-femmes ou simplets issus de la plus belle pureté qui soit » (Prendre langue, Éditions Trois-Pistoles, 2002, p. 84).

L’autonomie commence par la prise de parole.