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Culture
17 mai 2016 13 h 57

QUAND LA VIE BASCULE

David Lonergan

Blogueur culturel

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Il est Polonais, ingénieur spécialisé dans l’éolien. D’où sa présence à Carleton pour un travail dont on ne saura rien si ce n’est qu’il s’agit d’un très court séjour. Marié depuis neuf ans avec Zofia. Le couple n’a pas d’enfant, non pas par choix, mais par absence de fertilité.

Elle est célibataire un peu malgré elle : ses amours sont éphémères, jamais satisfaisantes et à 32 ans, elle s’interroge. Il est beau, il a 33 ans. Une rencontre fortuite à mettre au compte des soirées du jeudi à la microbrasserie que Marie fréquente, avec la même assiduité que d’autres le faisaient avec la messe. Un cérémonial où rien d’excitant ne peut arriver. Et pourtant, ce jeudi soir de novembre, l’improbable s’abat sur Marie. Un coup de foudre? Pas vraiment, une aventure d’un soir qui n’engage aucun des partenaires. Le plaisir, c’est tout.

Ce ne sera pas tout. Ils vivront les huit jours et nuits suivants une relation qui dépassera largement l’épisodique. Malgré eux l’amour naîtra, impossible, tragique, intense. Pourtant, il retournera à sa femme qu’il aime d’une certaine façon, vivra d’autres aventures à l’occasion de ses prochains voyages dans des pays qui ne ressemblent guère à sa Pologne. Un intermède pourrait-on croire. Pour Marek, sans doute, mais pas pour Marie. Elle en ressortira transformée à plus d’un titre.

C’est à cause de cette transformation qu’elle décide d’écrire à Zofia. De tout lui dire. En détail. Les joies, les peines, les conversations, les relations sexuelles, la température, sa vie de fleuriste, sa vie de Gaspésienne dans un village où tout se sait, où il est impossible de garder secrète une aventure comme celle qu’elle a vécue avec son mari. En toute simplicité, un peu comme si elle se confiait à son journal intime, à une confidente.

Elle se défend d’être méchante. Pourtant Marek lui a dit que Zofia ignore tout de ses escapades extraconjugales. Alors, pourquoi tenir tant à lui dire ce qu’elle a vécu? On ne le saura qu’à la fin et vous devrez lire le roman pour le savoir.

Marie a structuré sa « lettre » autour des jours vécus avec Marek du jeudi 6 au vendredi 14 novembre 2014. Neuf jours, neuf chapitres encadrés par une mise en situation et une conclusion qui dévoile ce que vous ne saurez pas dans mon texte. Le tout placé sous la valeur qu’elle apprend à découvrir avec Marek : la vérité ou dans la langue de Marek, « prawda ».

La timide, réservée et, selon ses propres mots, la jeune femme « ordinaire » qui ne se trouve pas très jolie (opinion que ses proches et Marek ne partagent pas) doit faire face au miroir que lui tend Marek. Elle n’ose croire qu’il l’aime, elle ne comprend pas l’intérêt qu’il lui porte. Pour elle, il s’agit d’une amourette qui ne la mènera nulle part. Sauf que… Il lui fait l’amour comme personne ne le lui avait fait, lui « apprenant » son corps, vainquant ses réticences. Et elle raconte tout ce cheminement dans une langue simple, précise qui ne se prend pas pour autre chose que ce qu’elle est : celle d’une jolie fleuriste, peut-être encore un peu fleur bleue, qui adore son métier, qui se contentait d’une douce vie qu’elle n’osait pas nommer médiocrité. Marie prend Zofia à témoin, se l’imaginant à partir de la photo que Marek lui a montrée, lui prêtant des sentiments, des émotions, des réactions, partageant avec elle son mari.

Le lecteur (moi dans ce cas) développe une complicité avec Marie

Il se prend au jeu et en oublie que la convention d’écriture supposait une mémoire éléphantesque : qui se souvient un an plus tard du détail des conversations, des vêtements qu’il portait, des mets qu’il a mangés? À moins que Marie, prévoyante, ait eu la sage idée de consigner au fur et à mesure ce qu’elle vivait dans son journal intime, ce que nous ne savons pas. Mais qu’importe, le roman se lit aisément et nous accroche du début à la fin. En partie à cause de l’histoire d’amour et en partie par la façon dont Marie décrit cette Gaspésie qu’elle aime et qu’elle ne quitterait pour rien au monde.