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Blogue citoyen

20 août 2017 12 h 05

Un personnage qu’on ne peut s’empêcher d’aimer

David Lonergan

Blogueur culturel

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Qui est-elle, cette narratrice au verbe coloré et toujours surprenant qui tente de comprendre le monde dans lequel on l’a mise sans qu’elle comprenne trop pourquoi. On ne saura jamais son nom, mais au fil des pages on découvrira qui elle est dans ses espoirs, ses crises et ses limites. Le monde qu’elle perçoit et qu’elle nous décrit se teinte de sa façon de l’appréhender : « C’est pas facile d’être à l’intérieur de moi et des fois je préférerais plutôt être à côté pour pouvoir me sauver en criant » (p. 29).

Le roman s’ouvre sur un automne marqué par les premières transformations du corps de la narratrice qu’elle juge curieuse : « Mon corps fait des choses que je ne lui dis pas de faire comme grossir à certains endroits, poiler à certains endroits et manger beaucoup » (p. 53). Il se termine un an et demi plus tard alors qu’elle a vécu sa première peine d’amour et qu’elle a compris, dans la mesure de ses moyens, qui elle est : « J’ai réussi à faire communiquer mes deux âmes, mes deux personnes, et à me calmer quand je suis vivante du corps » (p. 151). Entre les deux, elle aura vécu une démarche initiatique.

On l’aura compris, la narratrice échappe à ce qu’on appelle la normalité. Elle sait qu’elle ne vivra jamais seule, qu’elle a besoin d’un encadrement, qu’elle n’obtiendra jamais un diplôme scolaire. Mais elle apprend aussi qu’elle a une richesse intérieure à nulle autre pareille et qu’elle peut se débattre et affirmer ses désirs et ses besoins. Ce mouvement vers une forme d’indépendance anime sa démarche, si chaotique soit-elle, elle qui est aux prises avec des crises qui surgissent des profondeurs de son être dès qu’elle ressent une injustice.

Elle est innocente dans le plus beau sens du mot et cette innocence se heurte au monde qui l’entoure et parfois l’étouffe. Elle vit avec Titi dont elle ne sait trop qui elle est par rapport à elle (elle finira par l’apprendre), dans une maison isolée. Petit animal sauvage et fragile, bousculé par ce qui l’entoure et qu’elle doit apprendre à gérer.

La grande qualité de l’œuvre tient dans la langue que Stéphanie Boulay a donnée à sa narratrice. Un verbe d’une grande poésie qui se joue des contraintes du français, tout en étant normatif, une façon de donner des ailes à sa façon de percevoir le monde. Ainsi, comme lui a suggéré sa thérapeute Élène : « Il fallait que j’ouvre mes barrières spirituelles et corporelles pour laisser entrer les personnes et donc la lumière, et la confiance » (p. 98). Là sont le cœur et le sens de sa démarche.