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8 juillet 2024 9 h 59

De laine et de lin : le textile à Caplan

Camillia Buenestado Pilon est archiviste, consultante en histoire et en patrimoine et conservatrice au Bourg de Pabos. Elle a effectué des mandats pour des MRC, des municipalités, des organismes sans but lucratif, des musées et des institutions muséales. Passionnée d’histoire de la Gaspésie, de savoir-faire traditionnels et de botanique, elle vise à vulgariser et rendre accessible l’histoire. Elle signe aujourd’hui sa première chronique avec GRAFFICI.

CAPLAN | Avant l’ère industrielle, la fabrication textile était un champ d’activité principalement domestique et représentait également un outil de développement pour les autorités religieuses et propagandistes de la colonisation. Pour le village de Caplan, dans la Baie-des-Chaleurs, ce champ d’activité devient même l’un des plus structurants sur un plan économique. De la famille Garant qui opèrera pendant plus de 80 ans un moulin à carder, à la première et la deuxième filature – les seules usines gaspésiennes de ce genre – jusqu’à la linerie coopérative, les Caplinots se démarqueront dans la fabrication de lainage, de toile, de filasse et de cotonnades qui sera exportée partout dans le monde.

La première carderie de Caplan : quatre générations de « gars de moulin »

Les premiers moulins à carder à apparaître à Caplan sont ceux de la famille Garant, construits par l’ancêtre François-Xavier Garant entre 1853 et 1879. Par la suite, quatre générations de Garant se succèderont à la tête de la carderie.

François-Xavier Garant (1re génération) est né à Saint-Gervais-de-Bellechasse. Selon le livre Souvenirs d’autrefois, il arrive de la Beauce. François-Xavier Garant se marie à Anastasie Bujold le 10 janvier 1842 dans la paroisse des Saints-Anges de Cascapédia. Il acquiert des terres à Caplan en 1853, puis développe un important complexe de moulins – dont une carderie – et offre en donation tous ses biens en 1880 à son fils Joseph-François Garant. Le nom de François-Xavier apparait toutefois comme propriétaire du moulin jusqu’en 1891.

Joseph-François Garant (2e génération) est la seconde génération de meuniers à la tête de la carderie familiale qu’il opère pendant une quarantaine d’années. Il épouse Thaïs Gagné et aura entre autres pour fils François-Xavier Garant (simplement connu sous le nom de Xavier), à qui il fait don du moulin à carder en 1922.

François-Xavier Garant (3e génération), le fils de Joseph-François, gérera le moulin brièvement durant l’année 1922; celui-ci passera ensuite à son cousin Timothée.

Timothée Garant (3e génération) est le cousin de François-Xavier et le neveu de Joseph-François Garant. Son père André détient aussi un moulin à bois. Timothée épouse Rachel Bourdages en 1900. Il pilote la carderie familiale de 1925 aux années 1930.

La dernière génération à tenir le moulin est Léo Garant (4e génération), le fils de Timothée, qui s’en occupera de 1933 jusqu’à ce qu’il soit emporté par les flots, durant une tempête en 1954. Le moulin avait déjà perdu en popularité à la suite de l’ouverture de la filature. Il fut ainsi décidé de le fermer complètement.


La première filature de Caplan, aujourd’hui disparue. Photo : Municipalité de Caplan

La Filature Saint-Charles-de-Caplan (1946-1957) 

En parallèle aux moulins des Garant, dans les années 1940, une carderie industrielle émerge, la Filature Saint-Charles-de-Caplan Ltée (parfois simplement connue sous le nom de Caplan Woolen Mills). Elle est mise sur pied en 1945 par Lionel Poulin, un Beauceron, qui s’installe à Caplan en
août 1940. Elle est présente dans les Woolen Industry Reports de 1946 à 1957 sous la raison sociale La Filature Saint-Charles-de-Caplan enr.

De 1953 à 1957, la manufacture rencontre une série de problèmes. En 1953, elle est saisie de Lionel Poulin. En 1957, la filature de laine, « établie depuis 12 ans », est à vendre pour « cause de maladie ». Selon les dires des citoyens, elle aurait passé au feu entre 1957 et 1958. À la suite de cet épisode, une nouvelle filature est construite.

La Filature Gaspésienne Ltée (1958-1968)

Le 24 avril 1958 se constituent en corporation « Gérard Hudon, courtier d’assurance agréé, François-Xavier Godin, marchand général, et Victor LeBlanc, commerçant, tous de Caplan, pour les objets suivants : exercer l’industrie et le commerce de la toile, du coton, de la laine et autres substances fibreuses, sous le nom de La Filature Gaspésienne Ltée, avec un capital total de 15,000 $, divisé en 150 actions de 100 $ chacune ». Oeuvrant pendant une courte durée, la Filature Gaspésienne Ltée existera jusqu’en 1963, mais n’apparaît plus dans les bottins d’entreprises en 1964, ni au courant des années suivantes. En 1968, elle abandonne officiellement sa charte, et se dissout. À la suite de la dissolution de la filature, la municipalité de Caplan y aménage l’hôtel de ville, puis un garage pour les travaux publics, ce dernier usage étant toujours d’actualité aujourd’hui.


L’opération d’arrachage du lin au champ est effectuée ici sur la ferme d’Émilien Babin, à Rivière-Caplan. Photo : Bibliothèques et archives nationales du Québec.

Quelques arpents de lin

Mis à part la laine, on carde aussi le lin fibreux à Caplan. En effet, une trentaine de familles de Caplan font la culture du lin fibreux en 1937. En 1942, la Société coopérative agricole de lin de Saint-Charles-de-Caplan est créée. Celle-ci change de nom en 1943 pour la Société coopérative agricole de lin du comté de Bonaventure afin de rejoindre les cultivateurs des villages voisins, car on cultive également le lin à Saint-Siméon et à Bonaventure. À son apogée, elle totalisera près de 400 membres. À la première saison de récolte du lin à Caplan, on dit même qu’il s’agit du plus beau lin du Canada.

Dans le sillage de la popularisation du lin à la première moitié du XXe siècle, et les besoins de textile stimulés par les deux guerres, une linerie coopérative se construira au début des années 1940 – le bâtiment, toujours existant, est voisin de l’actuelle Coopérative Agrizone Unoria. À ses débuts, elle a le vent dans les voiles, puisque « l’État fédéral achète toute la production de lin nécessaire, entre autres objets, à la fabrication des bâches et des tentes », comme le rapporte un article du Nouvelliste daté de 1943(1).

Pour alimenter la linerie, l’on fait aussi de la propagande auprès des citoyens pour mousser la culture du lin. Malgré des efforts soutenus, en 1949, la chute de la demande pour le lin et la dévaluation de celui-ci ainsi que l’entrée en marché des fibres synthétiques mettent à mal le marché. On ne connait pas la date officielle de la fermeture de la linerie; celle-ci a probablement cessé ses opérations à la fin des années 1950.

La fin de l’industrie textile

La seconde moitié du XXe siècle donne le coup de grâce à l’industrie textile de Caplan. Le moulin à carder des Garant part à la dérive à la suite de la tempête de 1954. La dernière filature ferme ses portes entre 1963 et 1964 et dissout sa charte en 1968. La linerie cesse ses opérations à une date inconnue, probablement dans les années 1950 ou 1960. Malgré ces fermetures, Caplan a sans doute été la capitale textile de la Baie-des-Chaleurs dans le courant du XXe siècle.

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1 Le Nouvelliste. (18 décembre 1943). Il faut développer la Gaspésie. https ://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/3213020.