État de la faune aviaire en Gaspésie : même nombre d’espèces pour moins d’individus
Gaspé | La Gaspésie bénéficie de conditions climatiques uniques et d’une variété de paysages propre à son territoire. En vertu de ce microclimat, la péninsule gaspésienne jouit aussi d’une richesse inégalée en matière de faune. Or, y a-t-il plus ou moins d'oiseaux qu'il y a 10 ou 20 ans en Gaspésie? Comment se portent nos oiseaux, d’une MRC à l’autre?
Très globalement, on peut dire qu’il y a moins d’oiseaux en Gaspésie qu’il y a 25 ans. On observe à peu près le même nombre d’espèces, mais moins d’individus », relate Pierre Poulin, vice-président du Club des ornithologues de la Gaspésie. Les oiseaux, dont les canards, se portent bien, excepté le canard pilet et le harle huppé, qui enregistrent de fortes baisses de 62 % et 67 % respectivement. Ces chiffres sont toutefois provinciaux.
De décembre à février, environ 90 espèces d’oiseaux ont été observées en Gaspésie. Les changements climatiques ont-ils aussi un lien avec cette réalité? « Cela est difficilement mesurable, disent de concert Bernard Arseneault, aussi du Club des ornithologues de la Gaspésie, et Pierre Poulin, car les effets du réchauffement climatique sont difficiles à évaluer ».
Toutefois, ils sont déjà perceptibles, notamment chez la colonie de fous de Bassan, oiseaux iconiques de la Gaspésie. Deuxième colonie en importance en Amérique du Nord, elle connaît une véritable diminution depuis 2012. Les adultes de la colonie du Parc de l’Île-Bonaventure-et-du-Rocher-Percé ont de la difficulté à rendre leurs rejetons aptes à acquérir leur autonomie, faute de nourriture.
« Leur nourriture est moins accessible, elle est trop loin de leur colonie, alors les adultes s’éloignent et les jeunes sont abandonnés », ajoute Pierre Poulin. Ainsi, ce manque de nourriture à des moments-clés du développement des fous de Bassan peut être causé par le réchauffement climatique des eaux et, par ricochet, le déplacement des poissons.
Chaque année, le Club des ornithologues du Québec fait un décompte durant la période des Fêtes. Intitulé RON, pour recensement des oiseaux de Noël, les résultats sont influencés par le nombre d’observateurs sur le terrain, l’état des glaces, la température et l’abondance de nourriture.
« En 2019, par exemple, à New Richmond, observe Pierre Poulin, la pluie était de la partie. Donc, les résultats ont été plus faibles. Il est difficile de voir de véritables tendances de population selon les RON à mon avis. »
Entre 2014 et 2019, le nombre d’espèces observées a légèrement chuté, passant de 59 à 53. Le nombre d’individus a lui aussi diminué, passant de 3710 à 2511. Il y a des espèces indigènes, c’est-à-dire qui sont observables depuis longtemps en Gaspésie. Les fous de Bassan font partie de cette catégorie. Le grand cormoran est également observé dans le secteur de Percé et se déplace jusque dans la baie des Chaleurs l’hiver.
Certaines espèces sont en croissance, d’autres en déclin. Les hirondelles, par exemple, connaissent un déclin dû à la présence des pesticides. « C’est vraiment à cause des pratiques agricoles, relate Bernard Arsenault. L’épandage de pesticides, c’est fait pour tuer les insectes. S’il y a moins d’insectes, il y a moins d’oiseaux qui s’en nourrissent, comme les hirondelles, étant donné que ce sont des insectivores. »
L’hirondelle de rivage et l’hirondelle rustique sont deux espèces qui ont été désignées comme espèce menacées. Leur population a baissé d’au moins 90 % au cours des 40 dernières années. Le martinet ramoneur est également une espèce que l’on observe moins dans la région.
« C’est une espèce qui est en chute libre, elle a beaucoup diminué, explique Pierre Poulin. À Chandler, on en avait un petit peu. Il utilisait les vieilles cheminées, mais celles-ci sont presque toutes disparues. » Ces chutes de population de plus de 90 % sont observables un peu partout au Québec.
Le pygargue toujours en hausse
Les plus petits oiseaux observables dans la région sont les colibris et les roitelets. On dénombre aussi une panoplie d’espèces de parulines dans la péninsule. Parmi les plus gros oiseaux, on remarque les oiseaux aquatiques tels que les bernaches du Canada, ce qui fait dire à Pierre Poulin que « nous sommes chanceux ». Aussi, « les fous de Bassan font également partie de la catégorie des gros oiseaux aquatiques. Les rapaces, comme le pygargue à tête blanche ou l’aigle royal aussi », dit-il.
« Le pygargue à tête blanche s’implante de plus en plus en Gaspésie, explique Bernard Arsenault. On a découvert au moins quatre, cinq nids. Il y en a un à Bonaventure que j’observe tous les ans. Il y a encore un pied de neige dedans à l’heure actuelle (à la mi-mars), mais bientôt les adultes vont revenir pour la période de couvaison. C’est toujours dans cette période-ci qu’ils s’installent. Il y en a aussi au Parc de la Gaspésie et à Forillon ».
Il explique de plus que s’il n’y a pas de nombreux nids connus, c’est parce qu’ils ne sont pas tous accessibles.
QU’EST-CE QUE LE RON?
Le recensement des oiseaux de Noël, ou RON, se fait à chaque année entre le 14 décembre et le 5 janvier. Les observations se font toujours dans un secteur préétabli, à savoir un cercle de 15 km de diamètre. Dans le territoire du Club des ornithologues de la Gaspésie, il y en a quatre : Forillon, Percé, New Richmond et Matapédia.
Cette augmentation s’explique par la disparition du DDT. « Ça a beaucoup aidé puisque cet insecticide était consommé dans la chaîne alimentaire et cela avait un effet sur les oeufs. La coquille devenait trop mince et n’arrivait pas à mener à terme les rejetons. Ça avait décliné beaucoup », affirme Pierre Poulin.
C’est également pour cette raison que l’on retrouve une augmentation de la population de faucons pèlerins. Un cas de nidification a été confirmé dans le coin de Percé avant 2015. Ceux-ci, de même que les pygargues, sont désormais observés un peu partout en Gaspésie.
Si de nouvelles espèces ont fait leur apparition dans la région, elles l’ont aussi fait de manière ponctuelle. La cause : elles se perdent, car elles suivent la direction du vent, explique Bernard Arsenault.
« Dans la Baie-des-Chaleurs, ce sont vraiment des espèces qu’on a peu l’habitude de voir fréquemment. L’année dernière, à Paspébiac, il y avait des oies à bec court. Elles sont arrivées, on ne sait pas d’où elles proviennent. Ce n’est vraiment pas une espèce de la région, ni même du Québec! », dit-il.
Il y a quelques années, M. Arsenault, un biologiste de formation, a également aperçu un vanier huppé à Hope Town, dans l’embouchure de la rivière. « Cela aussi a attiré beaucoup de gens, car c’est une espèce originaire d’Europe. Parfois, dans les tempêtes ou des forts vents, ils se retrouvent emportés et ils arrivent finalement en Gaspésie. »
Pierre Poulin a pour sa part remarqué un changement de statut chez l’espèce du coulicou à bec noir. « On se doutait qu’il nichait, maintenant nous en sommes certains. Ça ne veut pas dire qu’il soit plus abondant pour autant. C’est une espèce qui était déjà là, mais de façon discrète et peu commune. »
L’observation d’oiseaux gagne-telle de nouveaux adeptes?
Cette passion est en déclin selon Pierre Poulin. « Il n’y a pas assez d’adeptes à mon goût », dit-il.
Dans la Baie-des-Chaleurs, lorsque Bernard Arsenault organise des excursions d’observation, seulement six ou sept membres en moyenne sont au rendez-vous. « L’observation d’oiseaux est plus notable dans les MRC de Rocher-Percé et Gaspé », plaide-t-il.
La Haute-Gaspésie serait le parent pauvre depuis quelques années. Toutefois, puisque le Club des ornithologues de la Gaspésie fête son 40e anniversaire cette année, l’équipe compte sur cet événement pour déployer des activités afin d’attirer de nouvelles personnes et avoir plus de visibilité. Le club compte une quarantaine de membres dans toute la péninsule.
On pourrait conclure que la faune aviaire en Gaspésie se porte bien, mais avec un bémol. « Ça m’inquiète, confie Bernard Arsenault. Je vois les hirondelles d’hiver (de rivage) disparaître. Les hirondelles rustiques sont très, très rares… Je me pose des questions au niveau du goglu d’Amérique aussi. Tous les ans, dans ma cour, j’avais des goglus qui venaient nicher dans la friche qu’il y avait au long de mes clôtures. Mais les fermiers ont décidé de tout nettoyer. Ils ont enlevé les clôtures et la friche, bien entendu. Ce n’est plus un milieu pour eux autres. L’an dernier, je n’en ai pas vu. Ce sont des questions que je me pose, à propos des gestes qui sont posés par des gens qui ne se posent pas de questions sur l’impact de leurs gestes, justement. Pourtant, ces gestes ont une influence et un impact sur les oiseaux qui nous fréquentent. »
Hugues Deglaire, photographe et Olivier Deruelle, président du conseil d’administration du Club des ornithologues de la Gaspésie tempèrent : « La faune est bien spécifique en Gaspésie. Il faut toutefois rester vigilant en appliquant des précautions ».
M. Deglaire, qui est aussi biologiste de formation, conclut qu’il « faut s’adapter au changement, Le changement est un signe d’évolution, et parfois il peut aller très vite ».
Un bon outil pour en savoir plus sur les tendances de la faune aviaire du Québec est le Deuxième atlas des oiseaux nicheurs du Québec méridional. Les deux éditions de l’atlas, produites à 25 ans d’intervalle, permettent de déceler les différences notables.
Photos de Jacques Lamarche, en ordre d’apparition :
- Des fous de Bassan s’embrassent, à l’Île Bonaventure
- Une paruline à collier, à Caplan
- Un roitelet à couronne rubis à New Richmond
- Une paruline à tête cendrée, à Maria
- Un colibri à gorge rubis mâle
- Un colibri à gorge rubis femelle
- Des bébés fous de Bassan.
- Une paruline noir et blanc
- Plusieurs oiseaux étaient déjà vus en Gaspésie mais, comme l’expliquent les membres du Club des ornithologues, c’est leur statut qui change. Il peut être un nicheur, un migrateur ou seulement de passage. Le manque d’insectes est également la raison qui cause un déclin de présence chez une espèce, par exemple chez les hirondelles.
- Une paruline à collier à Bonaventure