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11 février 2021 10 h 00

Le caribou, au-delà des chiffres / partie 2

GASPÉ | Si les causes du déclin démographique du caribou gaspésien sont désormais évidentes, la mise en oeuvre des mesures de rétablissement l’est beaucoup moins. Le redressement de la harde, essentiellement tributaire de la qualité de son habitat, implique nombre d’acteurs aux intérêts souvent divergents. De part et d’autre, le caribou s’efface derrière les données servant à soutenir les points de vue. Mais au fond, peu de gens peuvent se targuer de l’avoir un jour fréquenté. GRAFFICI brosse ici le portrait de l’emblématique cervidé à travers le regard d’une citoyenne engagée, d’un photographe de nature sauvage et d’une chercheuse universitaire.

Photo : offerte par Hugues Deglaire

Le photographe

Mont Jacques-Cartier. Septembre. Hugues Deglaire observe aux jumelles une quinzaine d’individus lorsqu’un aigle royal, surgissant de nulle part, commence à tournoyer au-dessus de la harde. Symboliquement, le mâle, après s’être rendu compte de la présence du rapace, se met à donner des coups de tête vers le ciel comme pour lui signifier de ne pas s’approcher davantage. « Je me rappellerai toujours de ce moment, expose le photographe nature et ancien guide naturaliste au Parc national de la Gaspésie. Ce sont des rencontres magiques avec un animal qui esthétiquement est magnifique avec ses bois et ses grosses pattes pour la neige », rajoute celui qui, jusqu’à tout récemment, était établi à Gaspé.

Bien que cette rencontre avec le caribou demeure marquante encore aujourd’hui, ce n’est certes pas la première, ni la dernière. C’est en Laponie, en 2004, qu’il croise pour la première fois la route des rennes (nom du caribou sur le continent européen), puis au Yukon, où à cette occasion, la prolifique harde Porcupine (218 000 têtes) s’offre à lui. « C’est un animal qui s’est imposé à moi, avec tout ce que j’ai fait dans la vie, indique Hugues Deglaire. J’ai toujours adoré la nordicité, les grands espaces, ce côté nomade et insaisissable des caribous, aussi. »

C’est au moment où il combine l’emploi de guide naturaliste, à cet à-côté qu’est alors la photographie, que Hugues Deglaire parvient à résoudre ce caractère insaisissable du caribou montagnard. « Souvent, je partais à 4 h du matin et à 6 h, au lever du soleil, j’étais en haut de la montagne, et si j’avais de la chance, je pouvais les observer pendant quelques heures avant mon quart de travail, expose-t-il. Ce sont des animaux très attachants qui, naturellement, ne sont pas farouches. On se sent faire partie de la nature avec eux. »

Amoureux de l’espèce et particulièrement des individus qu’il côtoie en forêt, l’homme ne se fait toutefois pas d’illusion : la harde de la Gaspésie est dans un piètre état. Le dernier inventaire, réalisé à l’automne 2019 et à l’hiver 2020, fait état d’une quarantaine de caribous. « C’est une population qui n’est plus adaptée au milieu qu’on lui sert et qui est très peu adaptable à des changements aussi rapides, explique-t-il. Dans le sens où le caribou, c’est une espèce nordique qui est capable de résister à des conditions comme peu d’animaux peuvent, mais du coup, il s’est hautement spécialisé », conclut-il.


Ce caribou revêtant son pelage blanc de printemps a été photographié dans les montagnes McGerrigle. Photo : Hugues Deglaire

 


Photo : offerte par Fanie Pelletier

 

La chercheuse

Originaire de Matane, Fanie Pelletier est professeure en biologie à l’Université de Sherbrooke. Son expertise : les grands mammifères et l’effet de l’activité humaine sur les populations sauvages. « Je vais dans le parc de la Gaspésie depuis longtemps, alors quand j’ai eu l’opportunité de collaborer à ces travaux-là [sur le caribou de la Gaspésie], ça m’intéressait personnellement », dévoile la biologiste. L’une de ces études, dont les résultats ont été publiés en 2018, cherchait à déterminer la structure génétique des troupeaux du Parc de la Gaspésie. « C’est une question importante, sachant que si c’est un grand groupe, on peut le gérer comme une population, mais dans ce cas-ci ce sont deux sous-groupes, explique Mme Pelletier. Donc, ça amplifie les effets de petite taille de population. »

Les données analysées démontrent en effet que les caribous gaspésiens se sont scindés en deux groupes génétiquement différents, ceux des monts Logan et Albert d’un côté, ceux du mont McGerrigle, de l’autre. Autrement dit, les individus de ces deux sous-groupes ne se reproduisent pas entre eux, réduisant le nombre de naissances possibles.

Une seconde étude, celle-là publiée l’an dernier, a évalué le lien entre l’habitat, les prédateurs et la présence d’autres proies dans le recrutement du caribou. Dirigée par Martin-Hugues St-Laurent, professeur à l’Université du Québec à Rimouski et spécialiste de la harde gaspésienne, l’étude démontre que les jeunes forêts induites par les coupes forestières favorisent la population d’orignaux, qui à son tour bénéficie aux populations de coyotes et d’ours noir. Ces deux prédateurs sont responsables du faible taux de survie des faons, l’une des principales causes du déclin du caribou montagnard de la Gaspésie.

Au-delà de l’enjeu régional que constitue le déclin de la harde, Fanie Pelletier soutient que le redressement du caribou gaspésien doit être jaugé sous l’angle de la diversité biologique. « La question plus large c’est : est-ce qu’on devrait favoriser le maintien de la biodiversité ? À mon avis, oui, affirme-t-elle. Le caribou est une espèce associée aux écosystèmes non dérangés. Il faut protéger

 

Estimation du nombre total d’individus de la population de caribous de la Gaspésie

1950   
entre 700 et 1500 caribous

1983*
223 caribous
*(année de création du programme d’inventaire aérien annuel)

2003
131 caribous

2007
189 caribous

2013
104 caribous

2017
75 caribous

2019
40 caribous

Source : Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs.

Le caribou, au-delà des chiffres / partie 1

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