Le projet de surtarification à l’aréna de Carleton-sur-Mer : une partie à finir…
MARIA | La nouvelle a fait grand bruit en janvier. L’intention de la Ville de Carleton-sur-Mer d’imposer une surtarification aux utilisateurs de l’aréna en provenance de Maria, Nouvelle et Escuminac a provoqué de la stupéfaction – même si la Ville en parlait depuis un bon bout de temps – de la grogne et de l’inquiétude auprès des adeptes des sports de glace sur le territoire dans l’est d’Avignon.
Il y a de quoi : 1200 $ à payer en plus des frais d’inscription pour un jeune au hockey mineur ou au patinage artistique et 300 $ de plus pour un adulte qui joue au hockey, c’est pour le moins un moyen draconien et persuasif pour amener les municipalités environnantes à négocier et signer une entente pour réduire le déficit de l’aréna. Un ancien entraîneur de hockey professionnel bien connu au Québec dirait que la Ville « n’y va pas avec le dos de la main morte » !
Ici, vous lirez des énoncés sur lesquels je vous ai déjà entretenu dans des chroniques précédentes, que vous avez lu ailleurs ou encore qui font l’objet de nombreuses discussions dans les réunions publiques, et surtout, dans les vestiaires d’arénas ! Mais je crois pertinent de faire le tour de la question le plus possible, au risque de me répéter.
Dans ce dossier, même si les réactions sont fortes, la Ville joue son rôle (je ne dis pas que je suis d’accord avec la stratégie) ; elle considère faire face à une situation inéquitable sur le plan fiscal, que celle-ci dure depuis trop longtemps et qu’il est temps de la régler. Elle souhaite signer des ententes avec les municipalités utilisatrices de son aréna pour éponger une partie du déficit, et à défaut de s’entendre, elle appliquera une surtarification pour les non-résidents.
Donc, la Ville fait un choix politique (contrairement à d’autres qui ne facturent pas les voisins), c’est son droit de le faire, et j’oserais même dire qu’il faut un certain courage pour s’engager dans une telle démarche. Même si en bout de ligne, les résultats obtenus ne sont pas ceux espérés, à tout le moins, il y aura eu un débat, parce qu’il en faut un sur le financement des équipements supralocaux. Si nous voulons demeurer une région bien desservie en fait d’équipements de loisir et de sport, il y a un prix à payer…
Les jeunes risquent de faire les frais du débat actuel. Photo : Jean-Philippe Thibault
Le problème selon la Ville
Pour la Ville, le contribuable de Carleton-sur-Mer paie pour les dépenses d’immobilisations de l’aréna et aussi pour le déficit annuel d’exploitation. Si ce même contribuable est aussi un utilisateur de l’aréna, il doit en plus rajouter les frais d’inscription pour son association, son club, sa ligue ou autres. L’usager qui demeure à l’extérieur – dans ce cas les résidents de Maria, Nouvelle et Escuminac – paie quant à lui seulement pour les frais d’inscription. En bons gestionnaires, les élus de Carleton-sur-Mer se disent, et ils ne sont pas les seuls à être confrontés à de telles situations, qu’il y a là une injustice pour leurs contribuables qui sont des utilisateurs de l’aréna et qui paient en double alors que ce n’est pas le cas pour les non-résidents. En principe c’est vrai, mais dans les faits, c’est plus complexe.
La solution avancée par la Ville
À première vue, on pourrait penser que l’intention de la Ville est logique et tout à fait légitime. L’aréna coûte cher et le déficit d’exploitation de 285 000 $ par année pèse lourd dans le budget ; ce montant risque d’augmenter au fil des ans. La Ville, comme toutes les autres, voit ses dépenses grimper et elle cherche à diversifier ses revenus pour réduire les impacts sur le compte de taxes, tout en demeurant raisonnable et équitable en tarification. Ainsi, elle souhaiterait refiler aux municipalités utilisatrices, par le biais d’ententes, 15 % du déficit annuel de l’aréna. Sans protocole, la Ville réclamera la surtarification.
Imposer une surtarification aux nonrésidents n’est certainement pas le premier choix, selon moi. Elle préfèrerait, et de loin, la signature d’ententes avec les parties concernées. En plus de la lourdeur de cette surtarification, elle envoie un bien mauvais signal d’accueil aux voisins, et elle affectera les inscriptions aux clubs et associations qui sont hébergés à l’aréna. Elle pourrait aussi les priver de parents bénévoles tels que des administrateurs et des entraîneurs. Ces contrecoups ne sont pas propres à Carleton-sur-Mer, ces effets négatifs ont été maintes fois observés ailleurs. Mais, elle juge probablement que pour l’instant, la surtarification est le seul moyen à sa portée pour exercer de la pression et en arriver à une entente.
La réaction des municipalités concernées
Évidemment, les élus des municipalités concernées et leurs citoyens sont mécontents. Jusqu’à cette année, ils ont profité de cet équipement sans pour autant payer de frais supplémentaires. Ainsi, ces mêmes élus peuvent s’engager dans une négociation en vue d’une entente ou bien laisser leurs citoyens utilisateurs de l’aréna payer la note. Les citoyens touchés n’ont pas d’autre choix que de faire pression sur leurs élus pour en arriver à une entente sinon, ils devront débourser de gros frais…Selon ce qui a été rapporté dans les médias, à la mi-mars, même si des discussions sont toujours en cours entre les parties, aucune entente n’est sur le point de se conclure.
J’imagine également que les élus de Maria, Nouvelle et Escuminac doivent se demander ce que ce sera après l’aréna ? À quel déficit d’équipements supralocaux va-t-on leur demander de contribuer par la suite, à Carleton-sur-Mer ou ailleurs ? Il y a bien eu la signature d’un protocole pour la piscine de New Richmond entre les municipalités de Caplan à Carleton-sur-Mer il y a quelques années. Toutefois, malgré le fait qu’il n’y ait qu’une seule piscine sur ce territoire, qu’elle soit géographiquement centrale, que ce soit un équipement relativement accessible et s’adressant à plusieurs clientèles, que l’apprentissage de la natation revêt un aspect sécuritaire important ; tout cela n’a pas nécessairement facilité les négociations et la signature de cette entente.
Si on fait le choix de s’établir dans une plus petite municipalité moins bien desservie pour, entre autres, payer moins cher de taxes et que tôt ou tard, on se fait tout de même imposer à cause des ententes intermunicipales qui se multiplient, a-t-on l’impression de se faire avoir ? Il est là le vrai enjeu dans tout ça ; pour quoi on devrait payer et combien ?
Voir le problème sous un autre angle
Dans l’analyse de l’injustice invoquée par la Ville, il faut tenir compte de plusieurs aspects dont l’historique de l’aréna, sa propriété, son type de gestion et ses retombées économiques. Supporter seule le déficit de l’aréna est certes un boulet financier pour la Ville, mais la présence de cet équipement sur son territoire comporte aussi des avantages.
Le choix de construire un aréna à Carleton-sur-Mer dans les années 70 était d’abord celui de ses citoyens. La Ville voulait offrir un équipement adéquat pour les sports de glace, être attractive auprès des nouveaux arrivants et bénéficier des retombées sociales et économiques des services, activités et événements découlant de sa présence. C’est encore vrai aujourd’hui même si le contexte a changé ; il y a plus d’arénas et de patinoires couvertes dans notre secteur et moins de monde. Mais pour les élus municipaux qui en sont propriétaires, les raisons qui ont justifié leurs constructions sont encore bonnes pour faire en sorte de les conserver et les restaurer.
Actuellement, la Ville gère seule son aréna ; elle a statué sur son avenir, et c’est son droit, elle décide des politiques de fonctionnement et elle en retire les principaux bénéfices. Même si dans la pratique l’aréna joue ce rôle d’un équipement supra-local, dans les faits, elle ne l’est pas, du moins pas encore.
L’autre débat
L’autre débat qu’on ne fait pas assez est celui du coût des sports de glace. Les dépenses d’exploitation des arénas sont élevées et les revenus sont faibles, ce qui occasionne des déficits importants. Il est vrai que les clientèles des arénas sont en baisse et ça affecte les revenus, mais peut-on aussi se questionner sur le tarif demandé à l’utilisateur ?
Les arénas ne sont pas rentables financièrement en région, mais peut-on exiger une plus grande contribution à l’utilisateur plutôt qu’aux payeurs de taxes ? Est-ce que la part versée par le premier et celle par le second est juste pour les sports de glace, en rapport avec d’autres activités publiques de sport et de loisir ? Peut-on revoir des principes de tarification qui, dans certains cas, datent des années 1970 alors que les arénas étaient pleines, et qu’à peu près tout le monde jouait au hockey ou faisait du patinage artistique ?
On ne peut certainement pas demander aux utilisateurs de payer la majorité des frais d’exploitation des arénas (n’oublions pas que ce sont des équipements publics de loisir), mais peut-on leur demander d’en faire un peu plus ? Est-il normal que certaines clientèles ne paient pas du tout pour utiliser l’aréna ? Pendant combien de temps encore les contribuables accepteront de ramasser le gros de la facture ? Il faudrait leur poser la question franchement…
Comment dénouer l’impasse ?
On parle beaucoup de l’aréna parce que l’enjeu financier est très important. Mais n’oublions pas qu’il existe d’autres équipements de loisir, de sport et de récréotourisme dans l’est de la MRC Avignon. Se concentrer uniquement sur l’aréna serait-il une erreur stratégique qui pourrait affecter l’harmonie dans le secteur ? Peut-être avons-nous en ce moment une opportunité de voir plus large, de se questionner sur toute l’offre de services en loisir et sport dans le secteur concerné, de voir à des partages, d’analyser les dédoublements s’il y en a, et de donner la possibilité à chaque partie de faire valoir ses forces, si petites soient-elles ? Il faut aussi définir ses besoins, ses attentes et ses craintes ; c’est une question de respect et une invitation à la négociation. Est-il possible de penser à une entente intermunicipale en loisir pour l’est d’Avignon ? Si ça marche pour la protection contre les incendies, pourquoi ça ne marcherait pour les loisirs et sports ? Tentons le coup !
En conclusion
La Ville de Carleton-sur-Mer est la plus importante de la MRC Avignon et sans contredit la plus dynamique avec son attractivité, ses institutions et ses organismes. Mais parfois, en politique, il faut prévoir les contrecoups de ses choix, ou encore tenir compte des possibles dommages collatéraux, un terme si cher à nos voisins du sud…
Oui, il faudra bien un jour régler la question des équipements supralocaux ici et ailleurs en région, mais le chemin pour y parvenir risque d’être long et ardu. La surtarification aux non-résidents n’est pas à mon avis le meilleur moyen pour y arriver, mais il aura à tout le moins le mérite de lancer le débat pour possiblement en venir à une solution une fois pour toutes !
Bonnes négociations !