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Éditorial
31 mars 2022 11 h 18

Les petits coups d’épée dans l’eau

Gilles Gagné

Éditorialiste

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Sept ans après la disparition de la Conférence régionale des élus, la Gaspésie et les Îles-de-la-Madeleine gagneraient immensément à compter de nouveau sur un organisme de concertation et de planification du développement social et économique.

L’absence d’une telle entité se fait cruellement sentir dans les secteurs où les enjeux régionaux stagnent à Québec et parfois à Ottawa, comme le manque de places en garderie, la pénurie de logements, les multiples lacunes en transport de même que l’évaluation des projets bénéficiant d’un appui gouvernemental largement insuffisant, ceux du programme FARR, le Fonds d’aide au rayonnement des régions.

Qu’elle se soit nommée Conseil régional de concertation et de développement (CRCD), ou Conférence régionale des élus (CRÉ), cette instance jouait un rôle utile, bien que parfois ingrat; elle prêtait flanc à la critique en se mêlant de presque tout.

Nous oublions parfois que la CRÉ a planifié et participé à l’instauration du Réseau collectif de communications électroniques et d’outils de gestion, de la Société du chemin de fer de la Gaspésie, de la Régie intermunicipale de l’énergie ainsi que de la Régie intermunicipale de transport de la Gaspésie et des Îles (RéGIM).

Le Réseau collectif a été déterminant dans l’arrivée de l’Internet à haute vitesse dans la région. La Gaspésie aurait par ailleurs perdu une bonne partie de son réseau ferroviaire entre Matapédia et Gaspé n’eût été de la CRÉ pour coordonner les démarches assurant le financement de cette acquisition.

La Régie intermunicipale de l’énergie joue le rôle de chef d’orchestre au sein des municipalités de la région ayant choisi de posséder une partie des parcs éoliens installés dans la péninsule, dans l’archipel, de même qu’au Bas-Saint-Laurent, en vertu d’une entente avec nos voisins à l’ouest. Entre 2019 et 2021, cette régie a globalement redistribué entre 4 et 6 millions de dollars (M$) par an aux municipalités participantes.

Avant la pandémie, la RéGIM transportait plus de 100 000 personnes par an, afin que les gens sans voiture, ou désireux de se laisser conduire au travail ou pour faire leurs courses, puissent se déplacer sans souci.

Un remplaçant débordé

La Table des préfets s’exprime sur les enjeux régionaux comme la pénurie de logements, de places en services de garde et la faiblesse de nos moyens de transport, mais ces soubresauts manquent de vigueur et de profondeur.

D’une part, cette table travaille avec des moyens très limités comparativement à ceux de la CRÉ lors des bonnes années, alors que le budget annuel se situait à environ 13 M$. Ce budget permettait de faire de la recherche, de documenter les enjeux avant d’exprimer un avis ou une revendication. La taille des municipalités régionales de comté (MRC) et des municipalités de la région ne leur donne pas souvent les moyens d’étoffer l’argumentaire des maires et des préfets.

On l’a vu récemment en transport aérien; le pouvoir municipal ne déploie pas la vigueur nécessaire pour faire bouger les choses. L’imminence d’une campagne électorale québécoise devrait constituer une occasion déterminante pour revendiquer obstinément les changements nécessaires dans cet enjeu, comme dans le logement, les services de garde et l’environnement.

Pourtant, le ton est mièvre. Trop de maires et de préfets protègent leurs revendications locales sans risquer de déplaire au gouvernement. Considérant la forte position dans laquelle se trouve la Coalition avenir Québec, si on se fie aux sondages, qui osera défier une formation ayant bien des chances d’exercer le pouvoir entre 2022 et 2026?

Ici, l’absence d’un organisme pan-régional, comptant sa part de personnes non-élues et un budget récurrent, se fait sentir.

En 2014, lors d’une poussée subite d’austérité, le gouvernement libéral de Philippe Couillard a fait table rase dans les organismes de développement régional pour épargner entre 75 et 100 M$ par an à la grandeur du Québec. L’ignoble loi 28 a aussi rebattu les cartes afin d’avantager la métropole et la capitale en matière de financement municipal.

Ne croyant pas à une planification coordonnée régionalement, le régime Couillard a tout misé sur les élus municipaux, comme s’ils étaient les seuls dépositaires du savoir économique et social. Les MRC sont devenues les interlocutrices privilégiées de l’État québécois, qui a laissé des miettes pour des projets pan-gaspésiens et madelinots. Imaginez : lors de la première année du programme FARR, la région disposait de 1,66 M$, une somme anémique, pour des initiatives dépassant l’envergure d’une MRC!

En divisant pour régner, le gouvernement libéral a affaibli le pouvoir régional, donc la capacité de nos meneurs socioéconomiques de revendiquer des projets et des orientations essentielles à la progression de leur population. Si on remonte aux vieux conseils régionaux de développement, les CRD, ancêtres des CRCD, ce sont 45 ans de travail de cohésion et d’atténuation de guerres de clochers qui ont volé en éclats.

Le temps

Le facteur temps, une source d’impatience quand ça va mal dans une région, a souvent joué contre les instances régionales. Quand la situation est devenue angoissante, comme c’est arrivé entre le moratoire sur la morue en 1993 et la fermeture de la cartonnerie Smurfit-Stone en 2005, l’action ne vient jamais assez rapidement.

C’est notamment ce qui a mené en 2000 à la création de l’Action des patriotes gaspésiens, un mouvement populaire ayant exprimé de fortes critiques à l’endroit du CRCD et de la CRÉ, soupçonnés de pelleter des nuages. Dans les faits, les revendications des deux courants disaient essentiellement la même chose, mais avec un discours différent : il était urgent d’appuyer la Gaspésie!

La CAQ n’a rien fait pour refonder une instance régionale. Les CRCD et les CRÉ ont souvent représenté des cailloux dans le soulier de l’État, soulignant ses lacunes et jouissant d’un statut de gouvernement régional. Sauf que si le but de l’État consiste à renforcer le Québec, il devrait accepter les éléments susceptibles de stimuler les régions, comme les villes. L’histoire des dernières années démontre toutefois que les mandarins du pouvoir ne semblent vraiment pas unanimes sur cette question.

Si on relance une instance pan-régionale de développement, quelle forme doit-elle prendre et combien de personnes doivent y siéger? Peuton démarrer avec un groupe ayant réfléchi à la nécessité d’un tel organisme, comme Solidarité Gaspésie?

Entre les années 1987 et 2004, le Conseil régional de concertation et de développement, le CRCD, fonctionnait avec une cinquantaine de participants, un nombre irritant certains observateurs jugeant cette taille trop lourde sur le plan décisionnel.

Quand le gouvernement de Jean Charest a modifié les CRCD pour en faire les conférences régionales des élus, banalisant d’emblée la « société civile », les représentants d’organismes ou de secteurs d’activités ne fonctionnant pas en mode électoral, plusieurs voix se sont élevées, avec raison. Il restait moins de 20 personnes autour de la table. Le gouvernement libéral instaurait alors ce modèle conférant bien trop d’importance aux élus municipaux et québécois, modèle accentué par Philippe Couillard.

Plus tard, quelques ajustements plutôt cosmétiques ont accordé un peu plus de place à la société civile, mais pas suffisamment. Relancer une instance de développement régional ne soulève pas les passions. La Gaspésie et les Îles traversent une période stimulante, marquée par une hausse du solde migratoire et par une forte disponibilité d’emplois intéressants.

On oublie que cette embellie découle largement d’orientations prises il y a 15, 20 ou 25 ans, alors que plusieurs organismes de développement veillaient au grain. Qui planifie les orientations de 2030 ou 2040, pour que la région demeure attrayante et bien alignée sur les futures réalités?

C’est incontestablement le temps d’y voir.