Pêche au homard : Jean Côté, un biologiste en renfort
GRANDE-RIVIÈRE | « Je dis toujours, ce ne sont pas les hirondelles qui font le printemps, c’est l’arrivée du homard ! », lance Jean Côté, directeur scientifique du Regroupement des pêcheurs professionnels du sud de la Gaspésie, interviewé à deux jours de l’ouverture de la pêche. Et il ne serait pas mal venu d’en convenir, particulièrement dans la région, où le crustacé occupe une place de choix autant dans l’économie que dans l’assiette des Gaspésiens.
Pourtant, si l’industrie est aujourd’hui florissante – les captures ont atteint un niveau record en 2021 – le portrait était beaucoup plus sombre il n’y a encore pas si longtemps. « Jusqu’à 2010, la pêcherie n’allait pas si bien, relate Jean Côté. Les pêcheurs sortaient d’une époque où il y avait eu une crise économique aux États-Unis, les populations de homard stagnaient et Pêches et Océans Canada disait que l’effort de pêche était trop grand, et que si on continuait comme ça, on risquait de frapper un mur », expose le biologiste de formation.
Ayant pour la plupart été directement touchés par l’imposition d’un moratoire sur la pêche à la morue, les membres du Regroupement des pêcheurs professionnels du sud de la Gaspésie avaient alors conçu un plan de conservation pour à la fois réduire l’effort de pêche et accroître la production d’oeufs, entre autres par la voie d’une écloserie aux fins d’ensemencement. « C’est à ce moment que le Regroupement et moi, on s’est croisés », raconte celui qui, en 2010, venait de passer une quinzaine d’années sur la Basse-Côte-Nord, où il y avait notamment opéré une écloserie de pétoncles géants.
De la terre à la mer
À présent rompu aux composantes de la vie marine, après des arrêts de part et d’autre du fleuve Saint-Laurent, l’air salin n’imprègnera toutefois le quotidien de Jean Côté qu’à partir de l’âge adulte. « Je viens des terres, du pays de la poutine et du fromage en grains, sème-t-il comme indices pour dévoiler le lieu qui le voit naître : Victoriaville. Mais j’ai toujours été attiré par la mer. »
Ainsi, comme il arrive couramment, les passions les plus prégnantes trouvent leurs origines dans l’enfance. « Quand j’étais jeune, j’ai été marqué par le commandant [Jacques-Yves] Cousteau, raconte le biologiste. Je me disais qu’un jour j’aimerais faire ça, plonger et travailler avec le milieu marin. C’est ce qui m’a d’abord amené à mes études. »
Jeune, celui qui est aujourd’hui biologiste a été marqué par le commandant Jacques-Yves Cousteau. Photo : Offerte par Jean Côté
Après avoir décroché un baccalauréat en biologie à l’Université Laval, le jeune homme prend la direction de Port-Daniel, où il y travaille pour une entreprise qui fait l’élevage de moules. Puis, au début des années 1990, alors qu’il réalise une maîtrise en biologie marine portant sur la culture du pétoncle géant, il effectue de la recherche, encore une fois, en Gaspésie.
« J’ai été dans la région entre 1987 et 1995, précise-t-il, évoquant dans la foulée les éléments qui président à son retour à Grande-Rivière, en 2010. Et ma belle-maman est originaire de Bonaventure, une raison de plus de se rapprocher. »
Projet novateur
Le 27 avril 2023, aux abords des quais disséminés sur le littoral gaspésien, les pêcheurs de homard s’activent avec fébrilité. Le 29, aux petites heures du matin, les bateaux effectueront leur première sortie de la saison. « C’est un moment extraordinaire et toujours festif », souligne Jean Côté.
Bien que le biologiste garde un oeil sur le déroulement de la pêche, son attention se porte dès lors davantage sur l’écloserie, où des milliers de larves naissent puis croissent dans des bassins. « De mai à août, je deviens un gérant d’écloserie, épaulé par une équipe de techniciens, de stagiaires et d’étudiants », indique-t-il.
L’infrastructure, aménagée dans les installations de Merinov à Grande-Rivière, s’appuie sur l’apport en femelles oeuvées – identifiables aux minuscules oeufs attachés sous la queue – recueillies par les pêcheurs dans le cadre d’un partenariat scientifique. Conservées dans une eau à température contrôlée, elles sont par la suite mises à l’écart juste avant la ponte. « L’équipe récolte les larves après l’éclosion et les élève en bassin pendant 12 jours, puis un autre 12 jours dans un système de pouponnière spécialement conçu pour les homards », explique celui qui détient une maîtrise en biologie marine. Au terme de l’élevage, les petits crustacés – plus de 200 000 annuellement – sont déposés sur des fonds rocheux. Ultimement, le Regroupement vise à compenser 3 à 5 % des captures commerciales.
« L’écloserie ne viendra jamais remplacer mère Nature, s’empresse de pondérer Jean Côté. Mais en même temps, je trouve que c’est un formidable outil de sensibilisation auprès de tous les pêcheurs. Quand ils voient un petit homard sur le bout de mon doigt, ils réalisent comment c’est fragile, que les efforts de conservation sont nécessaires », enchaîne-t-il.
Jean Côté tient dans sa main une larve de homard, produite en écloserie. Le but est de compenser 3 à 5 % des captures annuelles pour assurer la pérennité de la ressource. Photo : Offerte par Jean Côté
Enjeux d’hier et d’aujourd’hui
Conscient de la nécessité d’exercer une pêcherie pérenne, le Regroupement contribue périodiquement, en marge des mesures déjà en vigueur, à l’évaluation des populations de homard. « Une quinzaine de pêcheurs ont des casiers expérimentaux durant la saison, explique le biologiste. On doit compiler et analyser ces données avant de les envoyer aux biologistes de l’Institut Maurice-Lamontagne [un centre de recherche fédéral en sciences de la mer situé à Mont-Joli]. »
Par ailleurs, dans les deux premières semaines de septembre et en dehors du contexte commercial, des pêcheurs en provenance de huit secteurs utilisent des casiers modifiés dans l’objectif de collecter des données. « On réussit à aller chercher beaucoup d’informations, ça nous permet de savoir comment l’année suivante va être, poursuit-il. Ça fait maintenant 11 ans qu’on amasse des données d’automne et là on veut corréler celles-ci avec les données d’été pour être en mesure de savoir à l’avance l’état des stocks. »
Si l’état des populations du crustacé est d’abord corollaire de l’effort de pêche, d’autres déterminants, comme le réchauffement des océans, entrent désormais en ligne de compte, bien que celui-ci semble pour l’instant favoriser la position géographique de la Gaspésie.
« La région était au nord de son aire de distribution et les eaux froides faisaient que le recrutement des juvéniles s’arrêtait chez nous, expose le scientifique. Aujourd’hui, avec le réchauffement de l’eau, ces larves réussissent à survivre et à se déposer ici. Anticosti, la rive nord de la Gaspésie et la Côte-Nord ont désormais beaucoup de homards alors qu’il n’y en avait pas autrefois. » Quant à l’acidification de l’eau, due à l’augmentation des émissions de gaz carbonique et affectant notamment la formation de la carapace des crustacés, le biologiste soutient qu’il n’en constate toujours pas les impacts sur le terrain.
Enfin, l’évolution des sensibilités et des comportements du consommateur a amené le Regroupement à développer, à partir de 2012, un processus de traçabilité des homards. Se sont par la suite ajoutées des mesures reliées à l’atténuation des impacts environnementaux, dont la protection des cétacés comme la baleine noire. À terme, la somme de ces actions permet à la pêche au homard gaspésienne de répondre aux critères du Marine Stewardship Council (MSC), une écocertification attestant de sa durabilité. « On a même amélioré notre pointage lors de la dernière évaluation en 2021 », révèle avec fierté le biologiste.
Polyvalence
Mandaté initialement à la mise en oeuvre d’une écloserie, Jean Côté a, au fil des ans, porté différents chapeaux, contribuant à la réalisation de ces multiples projets initiés par le Regroupement, auxquels s’ajoutent la création d’un journal de bord électronique et l’aménagement de récifs artificiels. Une diversité des tâches et des environnements de travail qui, ultimement, sied le principal intéressé.
« J’ai toujours dit que j’étais soit un biologiste manqué, soit un technicien manqué!, observe-t-il avec humour. D’un côté, j’aime avoir les deux mains dans l’eau et de l’autre, faire parler les données, analyser et tirer des conclusions des projets qu’on a faits. Je trouve que j’ai le meilleur des deux mondes. »
Le travail se fait tant à l’extérieur qu’en laboratoire. Photo : Offerte par Jean Côté