QUAND LE POMPIER EST INCENDIAIRE
De plus, en étant proférés alors que le ministre des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire, Pierre Moreau, s’arrêtait en Gaspésie, les propos de M. Dorval ont eu l’effet pervers de faire passer ce ministre pour un défenseur des régions, alors qu’il coupe depuis des mois dans les organismes régionaux, incluant l’aide aux territoires dévitalisés!
En parlant ainsi devant une commission parlementaire dont les travaux portaient sur le développement durable, le président-directeur général du Conseil du patronat évoquait presque dans les mêmes termes le rapport Higgins-Raynauld-Martin de 1970, vantant les mérites de la concentration de population et de l’accent à mettre sur l’économie de Montréal.
Pourtant, la thèse de Benjamin Higgins, Fernand Martin et André Raynauld a prouvé que l’obsession du développement urbain avait débouché sur un retentissant échec, puisque la concentration de moyens donnés à Montréal n’a pas empêché son déclin vis-à-vis Toronto, et que le luxe de moyens conférés à la métropole du Québec n’a pas rejailli naturellement vers le Québec rural, comme le prévoyaient les trois «experts».
Si les 45 ans écoulés depuis ce rapport constituaient une trop longue période pour la mémoire de M. Dorval, il aurait pu se souvenir du tollé soulevé par l’ex-président de la Banque Nationale, André Bérard, qui avait suggéré, au printemps 1995, la fermeture de régions, dont la Gaspésie, n’offrant que du travail saisonnier à leur population. Il avait dû venir s’excuser peu après, à Paspébiac.
Yves-Thomas Dorval aurait pu se souvenir du tollé déclenché il y a 15 ans par l’ex-ministre péquiste David Cliche, qui avait suggéré aux Gaspésiens de prendre exemple sur Laval en matière de dynamisme en affaires. Comble de malheur pour lui, cette déclaration suivait de quelques heures une remise de prix du Concours québécois en entreprenariat au cours de laquelle de jeunes Gaspésiens avaient raflé plusieurs prix nationaux. La carrière politique de M. Cliche a stagné, pour se terminer avant même la fin de son mandat.
Ce qui sidère, et parfois mène à l’impuissance des citoyens ruraux quand ils entendent de pareilles balivernes, c’est qu’ils savent que les ignorants que sont MM. Higgins, Martin, Raynauld, Bérard, Cliche et Dorval ont des auditoires influents, et qu’ils sont des catalyseurs de recul, des agents de sous-développement.
Ils entraînent l’auditoire influençable dans leur ineptie, et provoquent des réactions contre-productives. Quand le Québec rural entend leur discours, il est tentant de proposer de couper les vivres à Montréal et à Québec, que ce soit en denrées agricoles, en produits marins, en bois d’œuvre, en électricité, en aluminium et autres métaux, notamment.
Qui, de Higgins, Bérard et Dorval, tient compte de la saisissante ponction financière et cérébrale pour les régions que représente chaque année l’envoi de dizaines de milliers d’étudiants vers Montréal et Québec, à 12 000 ou 15 000$ par an par «tête»? La note s’élève à quelques milliards de dollars annuellement. N’est-ce pas là une subvention des régions aux grandes villes?
Les produits marins pêchés en Gaspésie, aux Îles-de-la-Madeleine et sur la Côte-Nord alimentent des établissements urbains où ils créent aussi de la richesse.
Quand les régions du Québec accueillent des visiteurs, qu’ils soient nationaux ou internationaux, ils contribuent à la balance commerciale. Et quand des groupes d’Américains, de Français ou d’Italiens viennent en Gaspésie, ils séjournent généralement aussi à Québec et à Montréal.
Depuis 12 ans, la filière éolienne, une revendication de longue date des Gaspésiens, a créé 1 000 emplois dans la péninsule et dans l’est du Bas-Saint-Laurent, mais elle en a généré 3 500 de plus dans le reste du Québec! Ce n’est pas la première fois qu’une initiative gaspésienne profite davantage à l’extérieur de la région qu’ici.
Dans la «pensée Dorval», une logique comptable mal fagotée, comment quantifier le rôle de la culture, en musique notamment, où les Gaspésiens contribuent significativement plus que le suggère leur poids démographique? Faudra-t-il déterminer une échelle «d’unités de plaisir»?
Le fait qu’Yves-Thomas Dorval ait d’abord dit, sans nier l’essence de son message, que ses propos avaient été «maladroits», pour ensuite s’excuser et corriger le libellé de son mémoire, n’a que peu de poids. Il ne s’agissait pas d’une réaction spontanée mais d’un mémoire, écrit, lu, relu et corrigé. Le Conseil du patronat devra vivre longtemps avec ce boulet. Il ne mérite pas mieux.