Que font les Gaspésiennes ?
DEUXIÈME PARTIE : 1901 ET 1911
NEW CARLISLE | Quels métiers ont été pratiqués par les femmes gaspésiennes au cours de l’histoire ? C’est l’interrogation qui nous anime encore aujourd’hui. En novembre, nous avons fureté les recensements du XIXe siècle pour tâcher de repérer les traces écrites des métiers féminins. Nous reprenons cette quête. Voici ainsi un compte-rendu du travail des femmes du comté de Bonaventure, tel qu’il se présente dans les recensements de 1901 et de 1911.
Dans notre première partie, quelques grandes catégories de métiers féminins ont été relevées. Pour rappel, les recensements de 1861, 1871, 1881 et 1891 comportent surtout des métiers liés au service domestique, à l’enseignement et à la couture. Grosso modo, si les femmes travaillent au XIXe siècle, leurs choix sont particulièrement réduits. L’entrée dans le XXe siècle change quelque peu la donne. Examinons de plus près les recensements de 1901 et 1911 pour le comté de Bonaventure (de Gascons à Saint-Alexis), en gardant en tête que ceux-ci ne traduisent pas l’étendue du travail des femmes gaspésiennes.
Les recensements en question
Dans le recensement de 1901, les noms sont très difficiles à lire. Nous avons ainsi pu perdre la trace de certaines femmes en chemin. Notre lecture permet de conclure qu’elles sont majoritairement servantes, institutrices et couturières. Quelques-unes sont opératrices, maîtresses de poste ou cuisinières. Le portrait est peu diversifié, à l’instar du XIXe siècle.
Dans le recensement de 1911, ce portrait change beaucoup. D’abord, le recensement est beaucoup plus facile à lire. Les catégories dominantes sont les mêmes, mais on voit apparaître des postes plus diversifiés que dans les recensements précédents. En 1911, les Gaspésiennes sont plus nombreuses qu’auparavant à occuper des postes en relation avec l’industrie textile. Mais surtout, c’est la première fois qu’on les voit apparaître aussi nombreuses dans la vente au détail et dans la tenue de commerce. Ainsi, aucune femme ne semble gérer de magasin en 1901, et seulement une poignée dans les recensements précédents (environ trois). En 1911, elles sont plus de huit! Nos Gaspésiennes sont aussi commis ou vendeuses : on en compte plus de 25 en 1911 pour seulement 2 en 1901. Enfin, elles sont plusieurs à être télégraphistes, opératrices, sténographes et dactylotypistes.
Puisqu’elles sont si nombreuses à pratiquer des métiers de service et liés à l’éducation, nous avons choisi de ne pas les intégrer dans la liste suivante. Outre ces deux métiers, en voici d’autres où les femmes s’illustrent.
Une femme de la famille Gillis de Port-Daniel effectuant du travail de champ. En plus des métiers nommés dans cet article, les femmes prennent part au travail de ferme, s’occupent des enfants et du foyer, et occupent souvent une grande place dans la gestion de l’industrie familiale. Photo : Musée de la Gaspésie.
Couturières, tisserandes et compagnie
En ce qui a trait aux couturières, elles étaient assez nombreuses au XIXe siècle. En 1901, nous en comptons quelques-unes, dont Elizabeth Smith et Agnès McRae (toutes deux du canton de Hope), Angélina Leclerc (Carleton), Anna McKay (Hamilton), Marie-Anne Robichaud (New Richmond), Alice Gauthier (Nouvelle) et les Caplinoises Cédulie Leblanc, Angélique Bujold et Marie Bujold. En 1911, elles sont trois fois plus nombreuses : Délima Dugas, Julienne Leblanc, Joséphine Leblanc, Victoria Bernier, Élizabeth Cyr et Angélina Leclerc sont couturières à Carleton; Émilie Leblanc, Ida Wall, Charlotte Dimock et Edith Willett le sont à Maria-Est. La liste se poursuit avec Suzanne Mourant et Eugénie Morin (Gascons), Marie L. Labillois et Lucie Guité (Nouvelle), Délima Duguay (Port-Daniel), Margaret Irvine (Matapédia) et Marie-Anne Matte (St-Omer). À Bonaventure, village où elles sont les plus populeuses, nommons Claudia Bourdages, Sophie Bujold, Adeline Arsenault, Elmina Gaudreau, Philomène Poirier, Maria Poirier, Marguerite Poirier, Anna Arsenault et Emma Babin.
Le comté de Bonaventure compte quelques modistes. Elles sont trois en 1901 : Mariane Leblanc (Carleton), Maggie Allard et Marie Guillaume, toutes deux de Nouvelle. En 1911, elles sont plus nombreuses : Marie Barriau, Maud McBrearty, Emilia Day et Philomène Leblanc de Nouvelle. Farce ou pas, une dénommée Modiste Langlois de Port-Daniel-Est est… modiste! À Listuguj, Annie Vicaire pratique également ce métier. Puis, à Bonaventure, Wilhelmine Henry, Marie Caissy, Anna Arsenault et Marie Louise Côté le sont aussi.
Il y a bien quelques tailleuses, plus nombreuses en 1901 et toutes situées à Maria : Joséphine Mary Vézina, Anna Mary Johnson ( ?), Joséphine DeGrace, Mary Catherine Boudreau, Mary Flore Leblanc, Dianna Dion, Mary B. Audet, Mary Elizabeth Madigan, Ermena Landry, Mary Louisa Deslauriers, Mary Rose Audet et Mary (Desneiges ?) Audet. En 1911, on peut voir un couple de tailleurs à New Carlisle-Ouest : Malvina et John McDonald.
Contrairement aux recensements du XIXe siècle, il y a peu de tisserandes. En 1901, on les retrouve à Maria : Florence, Délima et Georgianna Normandeau. La seule tisserande repérée en 1911 est Catherine Vautier de Shigawake.
Puis viennent les dress makers, une expression désuète se référant généralement au métier de couturière. Elles sont quatre en 1901 : Ada et Ann Caldwell (New Carlisle), Sarah Gilker (New Richmond) et Georgiana Caldwell (Restigouche). La liste se rallonge en 1911 : Mary Tennier, Helen et Catherine McGeraghty (Mann), Ellen Leblanc (Maria-Ouest), une dénommée Mrs John Gilker (New Carlisle-Ouest), Annie Caldwell (New Carlisle-Est), Louise McLelland, Emma Cyr et Nellie Fallow (New Richmond), Mary Young (New Richmond-Ouest), Elizabeth Pollock, Emma Bélanger et Margaret Lyons (Matapédia), Monique Paul (Listuguj) et Sarah McRae (Hope).
Les cuisinières
Il y a davantage de cuisinières en 1901 et 1911 qu’au XIXe siècle. En 1901, Marie-Anne Plourde (Hamilton), Elizabeth Cyr (Maria), Rachel Roussy, Mary Frankure (?), Rosalie Castilloux et Sarah Hall (Port-Daniel) et Émélia Chrétien (Caplan) sont indiquées comme « cooks » ou « cuisinières ». En 1911, elles sont tout aussi nombreuses, ou presque. Rosanne Robineau (Mann), Edith Campbell (Black Cape), Émélie Hughes (Port-Daniel), Marie-Rose Charbonneau (Saint-André-de-Restigouche) et Catherine Dugas (Saint-Omer) pratiquent également ce métier.
Commis, vendeuses et propriétaires de magasins
Plusieurs femmes travaillent dans des magasins au détail ou des magasins généraux au XXe siècle. Peu nombreuses en 1901, elles intègrent le milieu progressivement en 1911. Les Gaspésiennes travaillent surtout dans les petits magasins, les magasins généraux et les industries familiales.
On les voit parfois comme commis. Seule une femme exerce cet emploi en 1901 : Cécile Landry de Carleton. En 1911, se rajoutent Marie Sophie Gallant (Matapédia), Eva Amély Bossy (Paspébiac-Ouest), Lydia Adams, Elvine Arsenault et Gertrude Lawlor (Matapédia), Létitia Allard (Saint-Omer), puis Rachelle Arsenault (Bonaventure).
Synonyme à la fonction de commis, on voit apparaître le métier de « vendeuse » pour la première fois en 1911. Pratiquent ce métier : Amély Le Gallais (Hope), Annie C. Harper (Mann), Gertrude Caldwell (New Carlisle-Est), Flore Poirier (Black Cape), Georgiana Parisé (Gascons), Ida May Duthie et sa soeur Eunice (New Richmond), Yvonne Frenette, Marianne Pornand (?), les soeurs Opal et Flore Guité (Nouvelle), les soeurs Laura et Sarah May Leblanc, Sarah Miller et (Port-Daniel-Ouest), « Obtena » Forest, Catherine Bujold et Joséphine Leblanc (Bonaventure). À Hamilton-Ouest, et plus précisément dans le 3e Rang, Victoire Roussel est vendeuse – probablement pour le commerce de son mari Émile.
D’autres sont carrément gérantes, propriétaires de magasins ou marchandes, comme Philomène Arsenault à Carleton, en 1901, la seule que nous avons pu retracer. En 1911, Anna Côte de Maria-Ouest est dite « st. manager ». Deux épicières sont recensées la même année : Maggie Hall de New Carlisle-Est et Mrs Frank Cooke à New Carlisle-Ouest. Émilie Lévesque (Paspébiac-Est), Angélique Cyr (Hamilton), Catherine Dacre (Matapédia), Mary Isaac et Marguerite Martin (Listuguj) tiennent toutes un commerce. C’est dire que les femmes se taillent bel et bien une place dans l’économie gaspésienne!
L’hôtellerie
Un nouveau domaine investi par les femmes au XXe siècle est celui de l’hôtellerie. Les Gaspésiennes gèrent surtout des lodging ou boarding houses, soit des maisons pour voyageurs ou des maisons de pension. En 1901, dans le canton de Mann, Mary Adams et Mary Day tiennent ce type de commerce. En 1911, à New Carlisle-Ouest, des maisons de pension sont tenues par Madame William Caldwell, Sarah Caldwell, et Jane L. Sheppard. À Matapédia, une Isabel Hokfer (?) tient une lodging house.
Enfin, en 1911, le métier de « serveuse » apparaît dans les recensements. Il est difficile d’établir leur lieu de travail, mais il est probable que les femmes travaillent dans des hôtels, car seulement un restaurant a pu être retracé dans les recensements. Régina Leblanc (Black Cape), Salomé Larocque (Port-Daniel-Est), Amelia Whittom, Malvina Horth, Marie P. Duguay, Elisabeth Aspirot, Marie L. Hocquard, Elizabeth Holmes, Marie F. Joseph et sa soeur Amélie, Marie Loisel et Marie Joseph sont également serveuses (Paspébiac-Ouest). Pourquoi tant de femmes « paspéyas » sont serveuses ? C’est à investiguer!
Autres métiers notés
Fidèle à nos habitudes, nous retraçons aussi les métiers curieux où les femmes s’illustrent en 1901 et 1911.
Les musiciennes : Virginie Leblanc en 1901 (Carleton); en 1911, on la dit organiste! En 1911, à Hope, Blanche Michaud est organiste; Julia Chedore de Gascons est professeure de musique et Rachel Brotherton, du même village, est organiste.
Les opératrices, télégraphistes, dactylotypistes et sténographes : En 1901, Marie Ida Cyr (Maria), Lilian Smollett (New Carlisle), Marie Michaud (Nouvelle), Isabella Herbert et Louise Brotherton (Port-Daniel) pratiquent
ces métiers. En 1911, on y voit Léopoldine Grenier et sa fille Lucie Grenier (Hope), Lilian Smollett (encore!) (New Carlisle-Est) et Louise Brotherton (Gascons). À New Richmond, Lydia Moore est téléphoniste. Il y a peut-être Octavie Berthelot de Nouvelle (télégraphiste). Marie-Jeanne Trachey et Myria Gavey (Paspébiac-Est), Isabella Sweetman (Port-Daniel-Ouest), Flora Marcotte et Lydia Grenier (New Carlisle-Est), Marion Dickson (Restigouche-Sud-Est), Stella Hall (New Carlisle-Ouest), Marie-Rose Cyr et Marie-Stella Poirier (Bonaventure) sont opératrices, télégraphistes, dactylotypistes ou sténographes.
Les maîtresses de poste : Jessie McDonald, de Restigouche, en 1901, est maîtresse de poste. En 1911, peut-être Henrietta Chouinard et Mrs Douglas Dobson de New Carlisle-Ouest (leurs professions semblent être Mskwomen), Ruth Kerr (Black Cape), Léonada Cyr (New Richmond) et Élisabeth Gagnon (Port-Daniel-Est) tiennent le bureau de poste de leur village.
Garde-malades et infirmières : Deux seules infirmières sont recencées en 1901. Il s’agit d’Annie Brocon, à New Richmond, et Annie Doherty, à Nouvelle. En 1911, il y en a davantage : Gladys Christie (New Carlisle-Est), Elsie McDonald et Louisa Gillis (Matapédia), les soeurs Ida Smith et Bertha Smith (Bonaventure), Jane ( ?) Almond (Shigawake).
Des book keepers: En 1911, Mamie ou Marnie McLeod, de Black Cape, et Christina Stewart à Matapédia tiennent la comptabilité pour des commerces.
Fancy work : À Listuguj, en 1911, Sophie Gedeon et Mary Dedam gagnent leur vie avec du « fancy work », soit du travail ornemental de perles, du cuir, la broderie, etc.
Vers la modernité
En avril, dans votre GRAFFICI, nous explorerons les deux derniers recensements disponibles, ceux de 1921 et 1931. Alors que la Première Guerre mondiale et le krach boursier de 1929 donnent successivement un essor, puis un frein important à l’industrie québécoise et gaspésienne, il sera intéressant de voir quelle place les femmes prendront dans ce nouveau cadre économique. À suivre…
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