• vendredi 06 décembre 2024 12 h 07

  • Météo

    -2°C

  • Marées

Actualités

Histoire
14 novembre 2024 16 h 18

Que font les Gaspésiennes?

PREMIÈRE PARTIE : LE XIXE SIÈCLE

NEW CARLISLE | Pour une archiviste – et une passionnée de généalogie, de surcroît – l’une des sources les plus précieuses pour documenter des individus est sans conteste le recensement nominatif. Or, nous le savons, la réalité des femmes gaspésiennes du XIXe siècle est très peu connue. Dérobées de leur nom de fille une fois mariées, contraintes à la sphère domestique et à la vie familiale, il n’est pas exagéré de dire qu’à l’exception des actes d’état civil et religieux que sont le baptême, le mariage, les actes qui concernent leurs enfants et leur propre sépulture, très peu d’écrits subsistent permettant de documenter l’histoire des femmes. Les recensements ajoutent une plus-value dans cette tentative de recherche, car ils indiquent les métiers des habitantes. Voici quelques-unes des sphères professionnelles investies par les femmes gaspésiennes que nous révèlent ces précieux documents1.

À la lecture des recensements du comté de Bonaventure du XIXe siècle, on constate d’emblée que les femmes gaspésiennes mariées sont, sans surprise, qualifiées d’épouses à la maison (housewives), de mères, de matrones, de rentières ou de spinsters, c’est-à-dire de vieilles filles. Cependant, nombre de femmes majeures exerceront un métier avant de se marier et ce, aussi tôt qu’en 1861. Les métiers recensés en 1861, 1871, 1881 et 1891 sont de divers ordres : les métiers domestiques (servantes, ménagères, etc.), le travail textile (couturières, tisserandes, etc.), celui de la terre (fermières), la cuisine dans les chantiers, la tenue de magasins, les métiers d’éducation, ceux liés à la santé, et plusieurs autres. À cette liste s’ajoutent quelques curiosités traitées à la fin de cet article.

Le travail domestique

Tout recensement confondu, la profession apparaissant le plus fréquemment pour les femmes est celle de servante, emploi parfois décliné sous d’autres noms : domestiques, house servants, house maids, femmes de chambre, gouvernantes, bonnes d’enfants, ménagères, etc. Le travail domestique sied en effet à merveille aux femmes issues de familles plus modestes qui désirent faire un peu d’argent avant de se marier. Ces jeunes filles sont employées chez les familles nobles de la Baie-des-Chaleurs. Par exemple, en 1861 à New Carlisle, les noms de Rose Castilloux et de John Woods, tous deux serviteurs, figurent au foyer de la famille Lebel, dont le chef de famille est notaire et le fils, indiqué comme « député régistrateur ». Un autre exemple : la famille du juge Winter, à New Carlisle, a trois servants vivant sous son toit : un farm servant (serviteur de ferme), Jos. A. Poirier, et deux house servants (serviteurs de maisons), Bridget Carroll et Ann Humphrey. Aussi est-il courant de croiser dans les recensements des hommes serviteurs ou domestiques, souvent assignés au travail de la terre et notés sous les expressions « garçons de ferme » et « farm help » (aide de ferme).

À tout prendre, on voit aussi, toutes années confondues, des femmes qui accomplissent un travail de buanderie, peut-être pour les clubs de pêche sportive : des launderesses (blanchisseuses), wash girls (commis de buanderie), etc. ; quelques-unes sont présentes à Listuguj. Enfin, le travail domestique se réalise souvent dans des maisons privées, mais pas exclusivement. En 1891, à New Carlisle, Elma Gosselin voit son métier indiqué comme celui de « keeping boarding home » (littéralement « tient la maison de pension »), probablement la maison de pension des enseignantes, bâtiment qui abrite aujourd’hui les bureaux de la MRC de Bonaventure.


Femme au rouet à St-Omer au XXe siècle. Photo : BaNQ

Couturières, tisserandes et compagnie

Dès le premier recensement nominatif de femmes par village, elles sont couturières, tisserandes, et l’on voit parfois apparaître des métiers spécialisés. La fréquence du métier de couturière se maintient entre 1861 et 1891. Peut-être recrute-t-on des femmes de l’extérieur pour des besoins spécifiques. C’est ainsi qu’en 1861, à New Carlisle, les trois soeurs Bean, toutes couturières, ont probablement immigré de l’île Jersey en même temps que leur père John Bean, charpentier. Fait surprenant, en 1871, l’un des endroits qui compte le plus de couturières dans le comté de Bonaventure est Listuguj.

Somme toute, il y aura peu de tisserandes recensées au XIXe siècle. La cause est possiblement qu’il s’agit d’un travail surtout domestique et moins commercial. Entre 1861 et 1891, Catharine Kennedy est tisserande (on rajoute la précision « loom hand », qui désigne probablement un métier à main, dans le recensement de 1891) à New Richmond. En 1871, Elizabeth Young de Nouvelle et Mary Brackett de Ristigouche (Sud-Est) pratiquent aussi ce métier. Étonnamment, on assiste à un accroissement de cette fonction dans le recensement de 1891. De ce fait, à Nouvelle-Est, on lit les noms de Mary Ann Parent, Catherine Susie, Félimoine (?) Landry, Marguerite et Margreta (?) Allard, Emma Gough, Catherine Dombois (probablement Damboise), Harriett Bois, Mary Allard, Mary Parent, Félimine (?) Savoie, Louise Kenny, Flavie Doiron et Mary Dugas comme tisserandes. Pourquoi le recenseur de Nouvelle en compte-t-il autant, alors que les recenseurs des autres villages, nettement moins? La question est ouverte.

En ce qui a trait aux métiers spécialisés, plusieurs femmes méritent d’être soulignées. En 1861, il y a une cordonnière (la seule que nous ayons vue dans les quatre recensements), Marie Degrase (probablement Degrâce) à Maria. En 1891, on relève une pants maker (tailleuse de pantalons) Margaret McLeod, à Nouvelle. La même année, Léa Moreau de Matapédia et Sophie Viel de Paspébiac sont modistes, un métier apparenté à celui de chapelière. Les recensements comptent aussi quelques dress makers (tailleuse de robes) dont Eunice Craig et les soeurs Millar, originaires du canton de Cox. Il ne semble pas y avoir de tailleuses de robes en 1871, mais en 1881, Rebecca Taylor de New Richmond exerce cette profession. En 1891, les soeurs Ada et Amy Caldwell de New Carlisle confectionnent également des robes, tout comme les Nouvelloises Janey Mann, Almira Gaudin, Mary Leblanc et Annie McNair, ainsi qu’une dénommée Elizabeth McGregor de Restigouche (Sud-Est). Enfin, mentionnons que le métier de tailleur est généralement assigné aux hommes, mais en 1891, Mary Leblanc est dite « tailoress » (tailleuse), la seule que nous avons répertoriée dans ces recensements.

Institutrices et enseignantes

Les métiers d’éducation sont limités à quelques femmes en 1861. La majorité des postes sont pourvus, à ce moment, par des hommes, qui sont « maîtres instituteurs ». Davantage d’enseignantes se rajoutent au fur et à mesure que l’on avance dans le siècle. Déjà, en 1871, on voit apparaître des soeurs religieuses à Carleton et des institutrices laïques dans les autres villages. Ce phénomène ne fera que s’intensifier jusqu’à la fin du siècle, et chaque localité comprend en 1891 jusqu’à une dizaine d’enseignantes.

Garde-malades et sages-femmes

Curieusement, les métiers liés à la santé ne font pas légion dans les recensements, ni pour les hommes, ni pour les femmes. Geneviève Jerome est sage-femme à Gesgapegiag en 1871. Nous avons relevé seulement deux sages-femmes en 1881, toutes deux de Saint-Jean-L’Évangéliste (Nouvelle) : Marie Lavoie et Zoé Leblanc. En 1891, on voit aussi apparaître le nom Ann Dumville (ou Pommville) comme sage-femme à Nouvelle.

De même, peu d’infirmières sont mises au jour dans les recensements. La première garde-malade que l’on peut voir dans ceux-ci est la veuve Jean Loubert, à Maria-Est, en 1891. La même année, la sage-femme Zoé Leblanc est dite « sick nurse » (expression désignant probablement la profession d’infirmière), tout comme Margaret Young et Barbary Dickie de Nouvelle.


Dame inconnue, possiblement au quai de Bonaventure. Nous ne l’abordons pas ici, mais les femmes ont travaillé à l’industrie des pêches de diverses façons : en salant la morue, en la tranchant, en vendant le poisson, etc. Photo : Musée de la Gaspésie

Autres métiers notés

Les cuisinières : Quelques cuisinières sont relevées dans les recensements de 1861. Il y a fort à parier que ces femmes cuisinent dans les chantiers forestiers. La profession est à peu près absente en 1871 et 1881, mais en 1891, de nombreuses femmes sont des cuisinières.
Les gérantes de magasins : En 1861, il n’y a pas de tenancières de magasins recensées dans le comté de Bonaventure. En 1871, cependant, une première femme apparaît, Rachel Forest, qui exploite probablement un magasin à l’ouest de Caplan, mais classé dans la division de recensement de New Richmond. De plus, une dénommée Angélique Cyr tient un commerce à Caplan dans les recensements de 1881 et 1891, en plus d’être fermière. Dès 1891, le nom de quelques autres femmes apparaissent, comme Henriette Cloutier à Carleton. Également, en 1881, on recense pour la première fois des femmes commis (par exemple, Émélie Peltier à Port-Daniel et Émélie Poirier à Saint-Jean-L’Évangéliste).
Une hôtelière : La première hôtelière que l’on voit apparaître dans les recensements est en 1891 à Carleton : il s’agit de Florence Meagher.
Les télégraphistes : Le télégraphe arrive en Gaspésie dans les années 1870. Conséquemment, de nombreuses femmes occuperont le poste d’opératrice ou de télégraphiste. À Ristigouche (Sud-Est), on compte au moins Martha MacGregor comme opératrice de télégraphe en 1871. En 1881, elles sont plus nombreuses : à Carleton, Esther Lefebvre ; dans le canton de Mann, Hellen Phalan ; à Paspébiac, Adèle (Bisson?) et à Saint-Jean-L’Évangeliste, Marie (Marchand?). En 1891, de nouveaux noms se rajoutent : Catherine Young et Laura Young de familles différentes de Hope-Est, Bridget et sa soeur Helen Quinn du canton de Mann, Lilian Smollett de New Carlisle, Clara Montgomery de New Richmond-Ouest, Marie Michaud de Nouvelle-Ouest ainsi que Bate (?) Young de Paspébiac-Ouest sont dites opératrices, télégraphistes ou « tel operator ».
Des maîtresses de postes : En 1881, Annie Cyr de Maria est maîtresse de poste. En 1891, on peut lire que dans le canton de Mann, Eliza Young pratique aussi ces fonctions. À la même année, à Matapédia, Sarah Smith est « commis bureau de poste et magasin ».
Une dactylotypiste : À notre connaissance, c’est en 1891 que l’on croise la première dactylotypiste (typewriter). Il s’agit d’Agnès Thompson de New Carlisle.
Tresseuses de paniers : En 1891, Rosalie Vicaire de Listuguj confectionne des paniers et des raquettes et Betsey Dedam, aussi de Listuguj, fait des paniers, des raquettes et des mocassins.

Toujours là

Cette petite incursion dans les recensements du XIXe siècle visait à rétablir des faits importants dans la recherche historique. D’abord, documenter l’histoire des femmes gaspésiennes n’est pas aisé. Il faut les sortir des archives. Pourtant, elles sont bien présentes, et leur métier ne représente qu’un des chapeaux qu’elles portent. Ce petit essai visait à leur redonner leur digne place dans l’histoire.

________________________

1. Nous avons choisi de garder plusieurs mots en anglais par absence de traduction littérale de certaines expressions. Les recensements sont tantôt en français, tantôt en anglais, selon la langue dominante dans les villages.

 

À venir
DEUXIÈME PARTIE