Roch «Moïse» Thériault : comment oublier ?
SAINT-JOGUES, octobre 2018 – Il y a 40 ans cette année, Roch Thériault arrivait en Gaspésie, après un séjour en Beauce, afin d’installer son groupe en retrait de la société, en prévision de la fin du monde. Appelé Moïse par ses disciples, il les traitera avec supériorité et une sauvagerie croissante, à mesure qu’il assoira son pouvoir. Des Gaspésiens se souviennent de son séjour.
Roch Thériault disait être en contact avec le Tout-Puissant, et de ce lien émanait la prédiction de l’apocalypse pour février 1979. Ex-adventiste, l’homme avait quitté cette religion et il dirigeait sa secte en s’appuyant, disait-il, sur ses propres interprétations de la bible. Une liste de ses exactions est décrite dans L’alliance de la brebis, un livre rédigé par Gabrielle Lavallée, qui a suivi Moïse pendant 12 ans.
De nombreuses personnes de la Baie-des-Chaleurs sont entrées en contact avec Roch « Moïse » Thériault et ses disciples entre leur arrivée à Bonaventure, le 5 juin 1978, et leur départ, en février 1984.
Au début, les réactions allaient de l’incrédulité à la sympathie, en passant par les railleries, les encouragements, les relations d’affaires et une solide dose de curiosité. La secte avait bénéficié d’appuis pour atteindre le lac Sec, le 11 juillet 1978, à 15 kilomètres au nord de Saint-Jogues, communauté située au nord-est de Paspébiac.
« À la mode » d’aller au mont de l’Éternel
André Babin, de Bonaventure, s’est retrouvé en contact avec le groupe en 1979 pour son boulot.
« Je travaillais au ministère des Ressources naturelles, section forêt. Il avait fallu l’aviser de sortir. Il était illégal de s’installer sur les terres publiques sans bail mais il répondait que quand tu tiens feu et lieu, tu as des droits […]. Il était saoul une fois et il avait chiffonné la lettre du ministère […]. Le ministère n’était pas intervenu au début de l’occupation de la secte, il faut dire », note M. Babin.
Il se souvient qu’en 1978-1979, « ça devenait à la mode d’aller au mont de l’Éternel. Cétait à qui allait les visiter. Le patron, au bureau, y allait les fins de semaine. On ne savait pas trop pourquoi. Des policiers aussi allaient là pendant leur congé. Des gens allaient livrer du poisson. Ce n’était pas bête, ce que Moïse faisait. Il manipulait les gens. Il était déifié par certaines personnes. Les interventions sont venues à partir du moment où il y a eu des abus. Le centre jeunesse surveillait la situation des enfants. Il [Moïse] a été sorti. »
Saint-Jogues « sur la carte »
Johanne Larocque, de Saint-Jogues, se souvient du premier été de Moïse au lac Sec.
« Il était venu faire scier du bois chez mon père, qui était allé livrer ses planches. Les gens du groupe obéissaient à Moïse. Il y avait une grosse barrière avant leur maison. Mon père n’était pas impressionné par Moïse. Il le déprenait quand son véhicule était embourbé mais des gens l’étaient, impressionnés. Il était allé à la polyvalente de Paspébiac et le directeur avait accepté qu’il bénisse les enfants. Une voisine avait été bénie pour réussir son examen et Moïse lui avait dit qu’elle passerait. Elle a échoué », note Mme Larocque.
Moïse a aussi fait des interventions à CHNC. « Des gens donnaient de la nourriture. La police apportait le courrier. C’était une façon de surveiller. Il [Moïse] battait un de ses disciples ; on l’avait su. Mon père a cessé de faire affaire avec lui. Des gens allaient boire là, au mont de l’Éternel. Au Cégep, à Montréal, l’automne suivant, une amie me demandait d’où je venais et je répondais : « Tu ne sauras pas où c’est, Saint-Jogues », mais tout le monde savait, à cause de cette histoire », ajoute Mme Larocque.
Une commerçante retraitée de la Baie des Chaleurs se souvient bien du groupe. Elle préfère rester anonyme. « Ils venaient au magasin. Ils montaient des factures. Il fallait insister pour se faire payer […]. Celui qui s’est fait castrer est arrivé en pleine nuit, avec une cruche en grès, pesante. « Je m’en vais chez moi ». Je montais à Maria le lendemain, à l’hôpital. Il est monté avec moi. Il m’a raconté toutes sortes de choses. J’en ai cru la moitié. Même parti, il racontait ce que Moïse lui disait de dire », dit-elle.
Son conjoint les embauchait parfois, notamment pour corder le bois. « Je suis arrivée une fois. Ils étaient accotés sur la corde de bois, en attendant le retour de mon mari […]. Ils avaient faim. J’ai fait de la soupe. Si je demandais quelque chose, comme « voulez-vous reprendre de la soupe ? », comme un ressort, leurs têtes se tournaient vers Moïse. On voyait qu’ils avaient peur de lui », ajoute-t-elle.
Le couple n’a jamais pu récupérer les 3000 $ de créances de la secte. C’était toute une somme il y a 34 ans.
Incarcéré à New Carlisle
Salomon Grenier, de Saint-Godefroi, était gardien à la prison de New Carlisle quand Moïse y était incarcéré. « Au début, il était avec Nathan [un disciple]. Les deux hommes avaient été emprisonnés. Il [Moïse] avait été longtemps en attente de procès [de décembre 1981 et avril 1982]. Il recevait un paquet d’argent de sa gang de femmes. Ce n’était pas un prisonnier difficile. Il avait reçu une peine de deux ans moins un jour ; en comptant le temps en prévention [quatre mois], il avait été relâché avant ses deux ans [à Québec] », se souvient-il.