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15 mai 2015 15 h 10

TRANSFERT DES QUAIS COMMERCIAUX : LES MUNICIPALITÉS FRILEUSES

Gilles Gagné

Journaliste

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PASPÉBIAC – Une majorité d’élus gaspésiens reçoit froidement la seconde vague de transfert de propriété des quais commerciaux de Transports Canada, en raison de ce qu’ils perçoivent généralement comme un désistement supplémentaire de responsabilités de l’État, sans somme suffisante pour rendre le programme attrayant.

Tous les quais commerciaux gaspésiens de Transports Canada apparaissent sur la liste de transfert de propriété, à savoir Mont-Louis, Gaspé, Chandler, Paspébiac, Carleton-sur-Mer et Miguasha. Deux de ces quais, Mont-Louis et Miguasha, sont inactifs depuis longtemps, le premier, en ruines, depuis au moins 25 ans, et le second depuis la fin des années 1990, alors que le service de traversier le liant à Dalhousie a cessé.
 
La Gaspésie ne fait pas exception, puisque les quais commerciaux de Transports Canada aux Îles-de-la-Madeleine, au Bas-Saint-Laurent, sur la Côte-Nord et sur la Basse-Côte-Nord sont offerts à d’autres autorités, qu’elles soient québécoises, municipales, privées ou autochtones.

Faibles moyens pour le transfert
 
Le député néo-démocrate de Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine à la Chambre de communes, Philip Toone, réalise après une recherche menée dans les documents budgétaires que Transports Canada poursuit son programme de cession des quais avec de faibles moyens.
 
« Quand le programme a été lancé, il était doté d’une enveloppe de 33 M$ pour 60 quais à la grandeur du Canada. Selon les documents obtenus par le NPD, Transports Canada a utilisé 9,2 M$ pour se débarrasser de 10 des 60 quais. Il reste 24 M$ pour 50 quais. C’est grandement insuffisant », dit M. Toone, qui ne voit de trace nulle part que le budget a été modifié.
 
Mélany Gauvin, de Transports Canada, ne confirme pas d’enveloppe budgétaire pour l’opération. « Les transferts d’installations portuaires et le financement applicable en vertu du Programme seront traités au cas par cas », écrit-elle.
 
Quai de Sandy Beach : Québec interpellé

À Gaspé, le maire Daniel Côté voit la volonté de transférer le quai de Sandy Beach comme « encore un abandon du fédéral vis-à-vis les régions. On l’annonce comme une bonne nouvelle alors que le fédéral se retire et veut nous envoyer [aux municipalités] la responsabilité de la gestion et de l’entretien des quais. »

« À la Ville, on demeure réticents [à acquérir le quai] parce que c’est une grosse infrastructure, coûteuse à entretenir pour une ville de 15 000 habitants », dit le maire.

Mais l’annonce du fédéral « pourrait devenir une bonne nouvelle si le gouvernement du Québec prenait le quai de Sandy Beach sous son aile », ajoute M. Côté. Ce serait la solution logique, estime-t-il, pour un port qui a « un potentiel d’importance nationale ».

Dans les années 1990, une corporation portuaire formée de gens d’affaires et de représentants de la Ville était prête à acquérir le quai, rappelle Henri Bernier, ancien directeur général de Gaspé. « Mines Gaspé était encore en opération [à Murdochville] et avait fait miroiter qu’avec la fin de l’exploitation de la mine, elle importerait plus de concentré de cuivre du Chili [pour alimenter la fonderie]. Une autre entreprise avait eu un permis pour exploiter une carrière de roc dans les côtes de Madeleine […]. Ça pouvait rendre le quai rentable. »

Le transfert du quai avait avorté à cause l’intervention de ministres libéraux fédéraux, qui voulaient le garder « parce que c’était un port stratégique », rapporte M. Bernier.

En 2002, la minière Noranda annonçait la fermeture de sa fonderie, entraînant la chute des tonnages transbordés à Sandy Beach. Avec le recul, M. Bernier prévoit qu’encore cette fois-ci, « le fédéral va constater qu’il en a besoin, de ce quai ».

Paspébiac : un quai négligé

Paul-Arthur Blais, maire de Paspébiac, souligne que la situation du quai de sa ville se complexifie du fait que sa propriété se divise entre Pêches et Océans Canada et Transports Canada.
 
« On sait que la partie commerciale du quai requiert de 150 000 $ à 200 000 $ d’entretien par an, et que Transports Canada ne le fait pas toujours. On ignore l’état du quai. On va initier une table des usagers pour discuter, mais nos 3 200 citoyens ne peuvent entretenir le quai. Ça ne peut pas durer comme ça », dit-il, au sujet du flou qui caractérise le quai commercial.
 
Même s’il s’agit d’une question différente, le maire Blais précise que l’autre ministère touché par la question du quai, Pêches et Océans Canada, a négligé à ce point le secteur d’accostage situé près de l’usine Unipêche MDM qu’il est maintenant inutilisable. « Une étude réalisée il y a quelques années situait la somme pour le remplacer ou l’enrocher autour de 6 à 8 M$. Ce pourrait être de 12 à 15 M$ actuellement », dit-il.

Chandler : remise à niveau coûteuse
 
À Chandler, la mairesse Louisette Langlois note que l’administration municipale, intéressée à devenir propriétaire du quai commercial, a discuté avec Transports Canada jusqu’en mars 2013. À ce moment, l’enveloppe vouée à la cession des quais était vide. Les pourparlers n’ont pas repris.
 
« Nous voulons conserver cet outil de développement. Le CTMA Vacancier [reliant Montréal aux Îles-de-la-Madeleine] accoste au quai deux fois par semaine, de juin à octobre. Il y a des projets pour d’autres utilisateurs. Nous voulons l’avoir à condition qu’il soit remis en bon état et qu’un budget d’entretien l’accompagne », dit Mme Langlois.
 
En 2013, la remise à niveau du quai de Chandler s’établissait à 13 M$, soit plus de 50 % du solde de l’enveloppe actuelle destinée à tout le Canada.

Carleton-sur-Mer : accueil favorable de la municipalité
 
À Carleton, l’administration municipale accueille le programme de cession des quais favorablement. Elle a monté un projet de 15 à 20 M$ en fonction de la marina et du quai de pêche, projet qui mène à l’enrochement du quai commercial. Un espace pour les promeneurs et les pêcheurs sportifs y est prévu. Dans la nouvelle mouture du projet, la Ville de Carleton serait propriétaire d’une partie des installations.
 
« Nous serions propriétaires de la partie la moins prenante en matière d’entretien, c’est-à-dire les plateaux à usage récréo-touristique comme les bancs et les sections de trottoir aménagés sur le quai », note le directeur général de la Ville de Carleton, Danick Boulay.
 
Il parle au conditionnel parce que la partie que posséderait la Ville reste à négocier. La Ville a eu à s’engager dans la propriété du quai, contrairement au plan initial, parce que c’était la seule façon « d’ouvrir le dossier avec [le ministère fédéral des] Pêches et Océans », ajoute M. Boulay.
 
Depuis l’hiver, le projet de la Ville de Carleton reçoit de l’opposition d’utilisateurs commerciaux potentiels. L’un d’eux, Romain Berthelot, un camionneur désireux de voir l’activité de transbordement continuer en raison de ses retombées, croit que le quai pourrait conserver sa vocation commerciale, tout en gardant une grande place aux autres usages plus légers.
 
« Refaire la palplanche sur la face extérieure coûterait 1,5 M$. J’ai vérifié avec des entrepreneurs. Ce serait plus beau que l’enrochement et ça permettrait l’utilisation commerciale, la seule source importante de revenus que peut générer le quai. Ce n’est pas raisonnable de penser que la partie enrochée n’aura pas besoin d’entretien coûteux avec les années, alors qu’une bonne protection cathodique va garder la palplanche en bon état pendant 40 ans au moins », signale M. Berthelot.
 
Il croit en outre que les municipalités de la Baie des Chaleurs prenant livraison de sel de déglaçage à partir du quai de Carleton verront leur facture augmenter significativement si d’autres quais sont utilisés, qu’ils soient à Paspébiac, Chandler, Gaspé ou Rimouski.
 
« Les camionneurs sont payés au kilomètre par tonne. Cascapédia est à 27 km de Carleton, mais à 68 km de Paspébiac. Matapédia est à 73 km de Carleton, mais à 155 km de Paspébiac, et à 177 km de Rimouski. On peut bénéficier d’une utilisation commerciale et l’arranger pour qu’elle ne nuise pas au tourisme. Ça, ce serait avancer », ajoute M. Berthelot.

Mont-Louis : « ne pas hypothéquer l’avenir »

Le maire de Mont-Louis, Serge Chrétien, n’est pas intéressé à ce que sa municipalité acquière le quai. Mais il n’ose pas prononcer un non définitif. « Je ne veux pas hypothéquer l’avenir. Il peut y avoir des projets dans dix ou quinze ans. On ne sait jamais, c’est un quai en eau profonde. »

Dans son état actuel, clôturé et partiellement enroché, le quai joue un rôle de protection de la route 132, indique le maire. « Une partie a été enrochée, et il y en a une autre qu’il faudra défaire. L’objectif du nouvel enrochement [planifié par Transports Canada], c’est de protéger la berge des grosses marées d’automne. »

Construit en 1954, le quai de Mont-Louis servait à transborder du pétrole à destination de la fonderie de Murdochville. « Il venait au moins cinq ou six gros pétroliers par année », se rappelle Gaston Poitras, un ancien employé de Mines Gaspé.

En période de dégel, les anodes de cuivre produites à Murdochville embarquaient sur des navires à partir de Mont-Louis vers la raffinerie CCR à Montréal. L’activité au quai de Mont-Louis a cessé dans les années 80.

Tonnages en dents de scie

Sandy Beach est de loin le port le plus actif de Transports Canada en Gaspésie, avec 114 709 tonnes transbordées en 2013, les plus récentes données disponibles au ministère. C’est beaucoup moins que les 600 000 tonnes annuelles transbordées jusqu’en 2001, alors que Mines Gaspé était en opération.

Une embellie est survenue en 2009 : le tonnage a atteint 433 315 tonnes en raison des activités de Construction DJL, qui avait exporté 280 000 tonnes de pierre concassée vers la Floride. Aujourd’hui, le quai sert surtout à recevoir des produits pétroliers et du sel de déglaçage.

Les tonnages manipulés aux autres quais de la Gaspésie sont plus modestes. En 2103, 17 429 tonnes ont été transbordées à Chandler, 8853 à Paspébiac et 6204 à Carleton.

Tonnage transbordé aux quais gaspésiens de Transports Canada
                          2008        2009             2010            2011        2012         2013
Sandy Beach  192 756     433 315        329 134      140 305   125 504   114 709
Chandler             4 274        4 051            4 921          4 413           78     17 429
Paspébiac            5 697        3 927         22 151           4 022      5 823       8 853
Carleton               6 977      17 053        13 565         13 086     13 187       6 204
Source : Transports Canada

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