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21 juin 2023 8 h 35

Un pas de plus vers l’autonomie alimentaire de La Haute-Gaspésie

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SAINTE-ANNE-DES-MONTS – Le mouvement Nourrir notre monde, qui existe dans toutes les MRC de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine, a une particularité en Haute-Gaspésie. Il a soutenu le LAB Nourrir notre monde afin d’explorer des pistes vers une plus grande autonomie alimentaire, d’expérimenter de nouvelles techniques de production et de protéger des savoirs locaux. Après trois ans, le projet pilote est rendu à terme.

L’initiative a été financée à une hauteur de 619 000 $ par le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, avec la participation de la MRC. « On a choisi l’innovation sociale par la participation citoyenne, précise la co-coordonnatrice du LAB, Marie-Ève Paquette. Donc, on a inventé le LAB pour les besoins du milieu parce qu’on savait que les citoyens étaient prêts à se mobiliser pour des infrastructures nourricières. »

Pour clôturer le LAB, ses protagonistes et des bénévoles ont dévoilé les résultats de leurs démarches, le 12 juin à Sainte-Anne-des-Monts. Un total de 13 infrastructures nourricières ont vu le jour ou le verront bientôt au sein d’autant de localités de La Haute-Gaspésie.

Les responsables du LAB, Marie-Ève Paquette et Rosie-Roch L’Allier, évaluent le projet à 7 500 heures d’engagement investies par 180 bénévoles, ce qui représente au moins 112 500 $ au salaire minimum, sans compter la contribution du milieu et des municipalités.

Le LAB a produit le balado « Terreau fertile », réalisé par Guillaume Campion, sur une musique de Klô Pelgag et la voix de Valérie Bertrand-Lemay à la narration. Aussi, les vidéos « Chroniques du LAB », réalisées par le cinéaste Moïse Marcoux-Chabot, permettent de documenter les projets nourriciers.

Pour un bénévole de Mont-Louis, « le LAB représente ce qu’on a perdu sur le territoire dans les années 1960 et 1970 avec les fermetures de villages ». Selon Laurent Normand, des savoirs se sont également perdus. « La chose la plus simple qui se faisait en Gaspésie était de trancher une morue en coupe papillon pour la saler. On est en train de perdre ça. Il faut reprendre notre territoire. C’est à nous! » Marie-Ève Paquette suggère d’ailleurs que ces techniques soient documentées et filmées pour ensuite rendre ces capsules vidéo disponibles à tous.


La serre communautaire de la halte nourricière de Cap-Seize figure parmi les 13 projets du LAB Nourrir notre monde. Photo : fournie par le LAB Nourrir notre monde

Prolongement souhaité

Les responsables du projet pilote et certains citoyens bénévoles espèrent un prolongement du financement du LAB. Une fois les projets déterminés, le soutien est nécessaire afin de les mettre en marche, croit l’une des membres du comité de Mont-Louis. « S’il n’y a pas d’accompagnement, j’ai peur que le dynamisme du moment ne parte », exprime Hélène Ouellet.

« Qui va s’occuper de faire le lien avec les citoyens qui ne sont pas autour des comités? », s’interroge Marie-Ève Paquette, en précisant qu’il n’y a pas encore d’initiatives en autonomie alimentaire permettant de favoriser un accès aux personnes les plus vulnérables.


Les deux responsables du LAB Nourrir notre monde et des membres des comités de Mont-Louis et de Cap-Chat. Dans l’ordre : Jean-Philippe Baillargeon, Rosie-Roch L’Allier, Marie-Ève Paquette, Hélène Ouellet et Laurent Normand. Photo : Johanne Fournier

Autosuffisance alimentaire irréaliste?

L’objectif d’une telle démarche n’est-il pas de rendre les communautés autonomes pour une plus grande autosuffisance alimentaire? « C’est l’objectif ultime, admet Rosie-Roch L’Allier. Mais, autonomiser un projet qui est issu d’un comité citoyen peut prendre des années parce que ce sont tous des bénévoles. Ça peut même être irréaliste parce que, s’il y a des changements dans le comité, il y a toujours un travail à refaire. » À son avis, le chemin vers l’autonomie est difficile parce que les bénévoles finissent par s’essouffler. « L’accompagnement est essentiel pour que ce soit pérenne. »

Marie-Ève Paquette ajoute : « Ça prend une volonté locale et elle n’est pas là ». L’agente de mobilisation fournit notamment comme exemple les inventaires de terrains qui ont été faits par des citoyens. « Quand ils se sont rendus compte qu’il n’y avait plus de terrains, ils sont allé cogner à la porte de leur municipalité pour avoir un terrain. Ça a dérangé! Le LAB, c’est un apprentissage. Ça n’a pas super bien passé quand les comités se sont mis en place. »

Elle estime néanmoins que des pas de géant ont été faits et qu’il serait dommage que, faute d’un nouveau financement, les actions mises de l’avant fassent des pas de recul.

Rosie-Roch L’Allier martèle : le LAB Nourrir notre monde n’est pas un projet; c’est une démarche nourricière. « Ça prend un financement récurrent. » M. Normand abonde : « Il faut se donner cinq ans encore; on est sur la ligne de départ. Les retombées économiques n’existent pas tout de suite! »


Bénévoles et responsables du LAB Nourrir notre monde se sont réunis lors de l’événement de clôture du projet d’expérimentation à Sainte-Anne-des-Monts. Photo : Johanne Fournier

Exemple de projet collectif

À Cap-Chat, le choix de créer un jardin communautaire est venu d’un sondage. « La municipalité n’avait pas de lot à nous céder, raconte l’un des membres du comité, Jean-Philippe Baillargeon. On a su qu’il y avait un couple qui était intéressé à céder un espace de sa propriété. À partir de là, tout s’est ouvert. Des gens sont venus se greffer : des gens prêts à jardiner, qui avaient des plants, qui voulaient investir dans un lot. »

À l’an 2 du jardin communautaire, 10 personnes cultivent des légumes. À elles s’en ajoutent d’autres qui mènent des expériences de permaculture ou qui donnent seulement un coup de main. M. Baillargeon fait partie de ces personnes. Membre du comité depuis le début, il n’est pas un usager du jardin. « Le projet m’intéresse. C’est porteur de quelque chose qui va rester. » Pour lui, l’initiative va bien au-delà de l’expérience de monter un projet. « C’est mettre en commun des savoirs, des talents, des manières de vivre. »

Autre particularité de La Haute-Gaspésie

Une autre particularité de la MRC de La Haute-Gaspésie est de compter, dans son personnel, sur un conseiller en développement économique pour la filière bioalimentaire. Il est cependant difficile de faire un lien entre ce poste et le LAB, selon Rosie-Roch L’Allier. « La MRC fait souvent le lien de l’autonomie alimentaire avec le poste à Yannick [Ouellet]. Mais, c’est l’autonomie alimentaire d’un point de vue économique. Nous, on développe l’alimentation des citoyens. »

En revanche, l’émergence d’une nouvelle agriculture attire plusieurs maraîchers de proximité en Haute-Gaspésie. « On a une relève incroyable de petits producteurs de légumes bio qui ont envie d’être ensemble dans des marchés publics, dans des circuits courts », souligne Marie-Ève Paquette. C’est notamment là qu’elle croit que le conseiller dédié à la filière bioalimentaire peut soutenir une telle organisation collective orientée vers l’autonomie alimentaire.

Bien que Yannick Ouellet confirme que son rôle est voué au développement économique, il rappelle qu’en tant que citoyen, il est l’un des cofondateurs de l’organisme Nourrir notre monde. « J’y crois personnellement! »


Dans une exposition intitulée « La Haute-Gaspésie d’hier à aujourd’hui », le LAB Nourrir notre monde a recueilli des archives photographiques auprès d’institutions et de familles de La Haute-Gaspésie afin de revisiter le passé d’autonomie alimentaire du territoire. Photo : Johanne Fournier

Tensions

Lors de l’événement de clôture du 12 juin auquel ont participé une soixantaine de personnes, dont certains élus, des tensions entre des acteurs communautaires et politiques étaient palpables, ne serait-ce que par des questions provenant de certains participants qui ont été adressées au préfet de La Haute-Gaspésie, Guy Bernatchez.

« Je trouve ça triste, laisse tomber Yannick Ouellet. Je suis la personne la plus dévouée à Nourrir notre monde. Je suis leur meilleur allié. Il y a une zone floue entre le monde des élus et celui du communautaire. Je vais mettre toute mon énergie là. »