Une réciprocité régionale bien timide
Le transport de passagers par rail entre Matapédia et New Carlisle est suspendu depuis 12 ans. Entre New Carlisle et Gaspé, la suspension du service approche les 14 ans. On l’a déjà dit, mais des pays du Tiers-Monde sont mieux pourvus dans ce domaine que la Gaspésie, le Québec et le Canada.
Quand l’ex-ministre québécois des Transports, Robert Poëti, a mis en dormance le chemin de fer entre Caplan et Percé en mars 2015, puis entre Percé et Gaspé en septembre suivant, il a créé une division potentielle entre la Baie-des-Chaleurs, qui conservait une partie fonctionnelle de son chemin de fer, et les secteurs à l’est de Caplan, division qui aurait bien pu être fatale au réseau ferroviaire régional. M. Poëti a notamment offert 36 millions de dollars (M$) pour transformer la voie ferrée dans une bonne partie de la MRC du Rocher-Percé en piste cyclable.
Cette proposition stupide revenait à enclaver pour toujours l’axe ferroviaire entre Percé et Gaspé. En 2015, l’usine de fabrication de pales éoliennes de LM Wind Power à Gaspé était sur le point de signer un gigantesque contrat de fourniture à des parcs au sud des États-Unis. La cimenterie de Port-Daniel était à deux ans de son ouverture. Les dirigeants de la société mère de LM, General Electric, en annonçant ce contrat en août 2016, se demandaient pourquoi ils ne pouvaient se servir du chemin de fer à partir de Gaspé pour exporter les pales.
La position de Robert Poëti a été reconduite par son successeur Jacques Daoust, au grand dam des meneurs socioéconomiques de Gaspé, dont le maire Daniel Côté, qui n’acceptaient toujours pas, avec raison, la mise en dormance du réseau dans leur coin.
À l’automne 2016, le nouveau ministre des Transports, Laurent Lessard, a failli exacerber cette division potentielle, en proposant de réparer la voie ferrée entre Matapédia et New Carlisle. Il tentait le pari que la Gaspésie allait se contenter de 50 M$ pour une mise à niveau de cet axe. Il laissait alors la section New Carlisle-Gaspé en dormance, ce qui la condamnait à plus ou moins brève échéance. Un chemin de fer sans entretien n’a pas d’avenir.
Seulement voilà : la Baie-des-Chaleurs a soutenu les secteurs de Rocher-Percé et de la Côte-de-Gaspé en refusant la proposition du ministre Lessard. Il était impératif de remettre en bon état tout le réseau Matapédia-Gaspé.
Il y a bien eu une ou deux failles mineures dans l’armure de la solidarité régionale, mais le point de vue ayant prévalu était clair : Matapédia-Gaspé sans compromis!
Ce facteur, à l’approche de l’élection de 2018, et l’incompréhension du secteur éolien devant l’impossibilité de se servir de la voie ferrée pour exporter les pales à partir de Gaspé au lieu de New Richmond, a convaincu le premier ministre Philippe Couillard d’annoncer la réfection complète du réseau gaspésien le 5 mai 2017.
Mais que de temps et d’argent perdus dans l’attente! Certaines études réalisées en 2011 sur la réfection du tronçon étaient caduques en 2017, donc à refaire. Le temps de les refaire, Transports Québec s’est retrouvé en pleine pandémie, avec une difficulté de trouver des entrepreneurs et des coûts en explosion.
C’était sans compter que la tâche dépassait les compétences de la division ferroviaire de ce ministère. Philippe Couillard en a confié la responsabilité au « bureau des grands projets », la Société québécoise des infrastructures, une entité mésadaptée à la réalisation d’un ensemble de réfections étendues sur 325 kilomètres. Ça prend donc du temps et ça coûte cher.
Un peu plus de réciprocité, s’il vous plaît, M. Côté
En marge des efforts de la Coalition des Gaspésiens pour le retour du train de passagers de ramener VIA Rail dans la péninsule, la Ville de Gaspé et la MRC de la Côte-de-Gaspé ont adopté une résolution au printemps 2023 pour spécifier qu’elles veulent ce retour quand la voie ferrée sera réparée jusqu’à Gaspé.
Le maire de Gaspé et préfet de la MRC Daniel Côté a maintenu ce point de vue jusqu’au 2 juin 2025 inclusivement, en entrevue à Radio-Canada.
Or, ce refus de l’étapisme vient jusqu’à un certain point en contradiction avec la position défendue avec vigueur par la Coalition depuis des années, à savoir qu’en raison du parachèvement tardif du chemin de fer jusqu’à Gaspé, revenir dans cette ville est un objectif primordial. Mais il faut d’abord ramener le train de passagers là où le réseau est réparé, et il l’est pratiquement jusqu’à New Carlisle puis, moyennant une inspection, bientôt jusqu’à la gare de Port-Daniel.
Le 3 juin, Daniel Côté était enfin signataire d’une résolution de la Table des préfets de la Gaspésie appuyant le point de vue de la Coalition. Il aura fallu 27 mois pour que cet appui se matérialise et depuis, il est revenu à la charge en maintenant que c’est Matapédia-Gaspé.
En adoptant cette position, Daniel Côté, qui a beaucoup d’influence à l’extrémité est de la péninsule, a omis de rendre à la Baie-des-Chaleurs la solidarité dont son secteur a bénéficié de 2015 à 2017.
Le 6 septembre, lors des manifestations dans les gares menées par la Coalition, il a cessé ce jeu stérile de VIA Rail qui s’accroche à cette idée que son train de passagers ne peut revenir par étapes. Pourtant, ce train a été suspendu par étapes. Il peut revenir en phases. Le transporteur public multiplie les arguments fallacieux pour retarder son retour : manque de matériel, état des gares, recrutement de personnel, vitesse de circulation de ses trains, inquiétude sur la sécurité, nécessité de desservir son plus gros marché, Gaspé.
Mais tout le monde en Gaspésie s’entend pour que le train revienne au plus sacrant à Gaspé!
M. Côté justifiait son point de vue par la crainte qu’un retour par étapes du train de passagers, avec des autocars pour compléter le périple, donne le signal à l’abandon de la réfection du chemin de fer quelque part à l’ouest de Gaspé. Il y a un peu de poids rattaché à cette crainte, mais l’obstruction de VIA Rail est pas mal plus lourde.
En « bonne » société publique, VIA Rail joue un rôle de désengagement qui ponctue le plus clair des 48 ans de son existence; 56 ans après qu’un humain ait marché sur la Lune, ramener un train de passagers dans la péninsule semble plus compliqué qu’en 1911, quand le chemin de fer est arrivé à Gaspé et qu’un tel service a été institué.
Actuellement, la Gaspésie paie chèrement la mise en dormance de 2015 socialement et économiquement, tant pour le service de passagers que pour le transport de marchandises.
Il serait dommage que le maire de Gaspé embarque de nouveau dans la stratégie de désolidarisation de VIA Rail. Il faut ramener rapidement un convoi de passagers en Gaspésie, qu’il vienne de VIA Rail ou d’un autre palier de gouvernement.
Si la solution vient de VIA Rail, le temps presse. Le gouvernement libéral est minoritaire. L’avènement possible d’un gouvernement conservateur sonnera à plus ou moins brève échéance le glas des trains régionaux du transporteur fédéral. Il restera des solutions, mais pourquoi se couperait-on de celle qui semble encore la plus probable?


