UNE RELATION ESSENTIELLE, MAIS ÉPUISANTE ET COMPLEXE
NEW RICHMOND, 26 avril 2017 – Le ton monte ces jours-ci entre le Canada et les États-Unis sur la question du bois d’œuvre. Depuis le début des années 80, les deux pays se sont affrontés à quatre reprises dans ce dossier. Donald-Mathieu Robichaud, de l’Association forestière de la Gaspésie, revient sur 35 ans de lutte et explique les enjeux actuels, alors que les boxeurs sortent à nouveau leurs gants.
Grosso modo, les Américains accusent toujours le Canada de subventionner l’industrie forestière et de créer une concurrence déloyale envers leurs propres producteurs. De notre côté, nous avons réussi à gagner plusieurs dossiers en démontrant qu’il est faux de considérer le bois canadien comme un produit subventionné. Malgré tout, nous avons été forcés de céder sur plusieurs points, notamment par l’instauration de systèmes de quotas.
Résumé de 35 ans de lutte…1
Première bataille
7 octobre 1982 : Dépôt d’une requête de la Coalition for Fair Lumber Imports (CFLI). Les producteurs américains accusent le Canada de subventionner l’industrie en vendant des droits de coupe à un prix avantageux.
31 mai 1983 : L’International Trade Administration (ITA) rend un verdict favorable aux Canadiens en déclarant que le bois n’est pas subventionné.
Deuxième bataille
19 mai 1986 : Deuxième requête de la CFLI. Cette fois, elle reçoit l’appui de l’ITA qui juge désormais que les droits de coupes sont offerts à un taux préférentiel.
Décembre 1986 : Devant la menace de se voir imposer des droits compensatoires de 35 %, le Canada propose d’imposer une taxe de 15 % sur ses exportations. Les États-Unis acceptent et signent un protocole d’entente.
Troisième bataille
1991 : Ottawa décide de se retirer du protocole puisque le prix des droits de coupe a augmenté. Les politiciens estiment alors que la taxe de 15 % ne doit plus être appliquée. Les autorités américaines répondent en prélevant des tarifs douaniers pour compenser le retrait du Canada du protocole.
16 août 1994 : Washington doit rembourser 800 millions au Canada. Le tribunal juge que les tarifs douaniers exigés par les États-Unis depuis 1991 n’étaient pas légitimes.
29 mai 1996 : Signature d’un accord de 5 ans sur le bois d’œuvre, un système de quotas est mis en place pour limiter l’entrée de bois canadien aux États-Unis. Un certain volume de bois est autorisé à entrer sans être taxé, mais Ottawa doit prélever une taxe lorsque ce volume dépasse 14,7 milliards de pieds-planche.
Quatrième bataille
2 avril 2001 : Dépôt d’une autre requête de la CFLI qui accuse le Canada de subventionner son industrie et de faire du dumping.
19 juillet 2002 : L’Organisation mondiale du commerce se prononce en faveur du Canada.
Septembre 2006 : Signature d’un deuxième accord sur le bois d’œuvre. L’accord a permis au Canada de récupérer 5 milliards versés en droits compensatoires durant les négociations, mais le Canada s’est engagé à respecter un système de taxes et de quotas.
Cinquième bataille
L’entente de 2006 est échue depuis septembre 2015 et les États-Unis recommencent à durcir le ton. La coalition américaine du bois d’œuvre a notamment déposé une autre plainte contre l’industrie canadienne en novembre dernier. C’est la raison pour laquelle nous entendons énormément parler du conflit dans les médias dernièrement. Les prochains mois s’annoncent difficiles et il y a encore beaucoup d’incertitude quant à l’entente qui ressortira de ces négociations.
Effet des négociations dans les communautés
Comme vous avez pu le voir, les États-Unis peuvent imposer une taxe sur les entrées de bois, même si le dossier n’est pas réglé devant la Cour. Ainsi, pendant les mois, voire les années où le dossier traîne, les entreprises doivent gruger dans leur marge de profit et leur fonds de roulement pour acquitter les sommes réclamées par le gouvernement américain.
L’effet est assez instantané et des entreprises doivent ralentir leurs activités ou même les abandonner temporairement. Inévitablement, cela entraîne des pertes d’emplois et fragilise le milieu. Éventuellement, si le verdict est favorable au Canada, l’argent revient aux entreprises.
Dans un monde idéal, tout le monde a survécu et les activités reprennent, mais ce n’est pas si simple. Essoufflées et à court de ressources, certaines entreprises tombent et font faillite avant la résolution des conflits, d’où l’importance d’avoir un plan pour soutenir économiquement notre industrie forestière qui, rappelons-le, génère plus de 60 000 emplois au Québec2. C’est pour cette raison que les forestiers réclament des garanties de prêts et des engagements de la part du gouvernement. Ce système permettrait de subvenir aux besoins des entreprises pendant les prochaines négociations et minimiserait les pertes d’emplois et les fermetures.
Réalité différente d’une province à l’autre
Chaque province possède son système de gestion de la forêt, ce qui influence sa position par rapport au conflit3. Au Nouveau-Brunswick, la forêt est beaucoup plus privée et la province se défendra ainsi de vendre un bois subventionné.
En Colombie-Britannique, la production est très élevée et l’exportation est très importante. En 2006, c’est 63 % du bois d’œuvre exporté qui provenait de cette province4. La Colombie-Britannique est donc plus favorable à l’imposition d’une taxe qu’à l’imposition d’un quota.
Au Québec, en 2006, notre part des exportations s’élevait à 16 %, nous sommes donc plus favorables à un système de quotas qu’à une taxe puisque globalement, le quota d’exportation nous affecte moins. Bref, tout ça démontre que le dossier est complexe à gérer, même à l’intérieur de notre pays.
Contexte politique : l’effet Donald Trump
Donald Trump peut sembler plus difficile en négociation que ses prédécesseurs, mais il faut se souvenir d’une chose, le conflit a plus de 30 ans. L’approche protectionniste des Américains dans ce dossier n’est donc pas quelque chose de nouveau et Trump n’a rien inventé. Nous serions dans la même situation avec un autre président. Bien qu’il puisse tenter de faire des pressions supplémentaires, il faut garder en tête que c’est la Cour internationale qui aura le dernier mot dans ce conflit.
Situation économique
Lors de la dernière confrontation, les États-Unis étaient en récession, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Le conflit devrait donc prendre une allure différente cette fois puisqu’en période de croissance économique, la demande en bois risque d’augmenter. Or, si les États-Unis imposent une taxe, les exportations diminueront, ce qui aura pour effet de créer une rareté et une hausse des prix en sol américain. Les constructeurs pourraient alors faire pression pour avoir un bois à meilleur prix, ce qui favoriserait une ouverture du marché pour le Canada.
Environ le tiers du bois utilisé aux États-Unis provient d’ici. Les constructeurs américains ne peuvent donc pas se passer de nous, surtout en période de reprise économique. La baisse du dollar canadien pourrait aussi jouer un rôle dans le conflit puisqu’il peut favoriser les exportations.
Il ne faut cependant pas crier victoire. Malgré le fait que l’industrie forestière soit en bonne position pour négocier, la dernière crise forestière a laissé sa trace au sein des entreprises. Il n’y a pas eu suffisamment de temps entre la fin de la crise précédente et le début du présent conflit pour que les coffres se regarnissent. Nous devons donc souhaiter qu’une entente soit signée rapidement pour diminuer les impacts. C’est là que les États-Unis pourraient nous faire mal, car ils ont tendance à étirer les négociations et à épuiser petit à petit nos joueurs. Le danger qui nous guette est donc de devoir signer une entente qui nous ferait perdre certains avantages.
Emplois en Gaspésie
En Gaspésie, plus de 2000 emplois directs proviennent du secteur forestier5. En ajoutant à cela l’ensemble des entreprises qui gravitent et survivent grâce à l’exploitation de nos forêts, on comprend que tout conflit peut nous affecter grandement. Il est donc important de s’exprimer auprès des différents paliers de gouvernement et de manifester notre appui envers les travailleurs de la forêt.
L’Association forestière de la Gaspésie salue les efforts qui sont déployés de la part des groupes de travailleurs et des élus pour tenter de régler ce dossier. Au Québec, c’est le Bureau de mise en marché des bois qui s’occupe des droits de coupe6. Le bois est mis aux enchères et tout individu, organisme ou entreprise peut se porter acquéreur d’un volume de bois à récolter. Ce système respecte les règles du commerce international, c’est pourquoi nous sommes confiants de voir les tribunaux se ranger derrière nous si le conflit s’y rendait. Soyons fiers de notre monde forestier !
-30-
Références
1) Wikipédia, « Conflit du bois d’œuvre », https://fr.wikipedia.org/wiki/Conflit_du_bois_d%27%C5%93uvre, consulté le 4 avril 2017.
2) Alliance forêt boréale, « Nouveau conflit sur le bois », http://www.allianceforetboreale.org/fr/nouveau-conflit-sur-le-bois-doeuvre-entre-le-canad-page/, consulté le 4 avril 2017.
3) Bourque, Jérôme, « Le Nouveau-Brunswick et le conflit du bois d’oeuvre: Analyse en équilibre général calculable de l’imposition des tarifs compensatoires et anti-dumping », http://theses.ulaval.ca/archimede/fichiers/21558/21558.html, consulté le 4 avril 2017.
4) Statistique Canada, « L’industrie canadienne du bois d’œuvre : tendances récentes », http://www.statcan.gc.ca/pub/11-621-m/11-621-m2007055-fra.htm, consulté le 4 avril 2017.
5) Trépanier, Benoît, « Printemps forestier en Gaspésie ? », Graffici Entrepreneuriat, hiver 2015.
6) Bureau de mise en marché des bois, « Agissements anticoncurrentiels », https://bmmb.gouv.qc.ca/ventes/agissements-anticoncurrentiels/, consulté le 4 avril 2017.
Note sur l’auteur :
Donald-Mathieu Robichaud est naturaliste à l’Association forestière de la Gaspésie, un organisme sans but lucratif qui poursuit son mandat d’éducation et de sensibilisation au monde forestier depuis plus de 70 ans. Œuvrant principalement dans le milieu scolaire, elle s’assure de démystifier les aménagements forestiers, présente l’ensemble des enjeux reliés à l’exploitation de la ressource et promeut les métiers forestiers. Elle encourage aussi la population à participer à la conservation des arbres et à utiliser la forêt de manière responsable.