Vox pop sur l’austérité : les Gaspésiens préoccupés
GASPÉ – Les Gaspésiens sont préoccupés par les mesures d’austérité du gouvernement Couillard, qui les touchent ou les toucheront sur différents plans. Toutefois, si certains comptent protester, plusieurs éprouvent un sentiment d’impuissance.
GRAFFICI a mené un vox pop auprès d’environ 45 personnes à Gaspé et en Haute-Gaspésie, via des entrevues dans un centre commercial, par Facebook, par courriel et par téléphone.
Nous demandions aux interviewés : « êtes-vous préoccupés par les coupes actuelles pour l’atteinte du déficit zéro? Si oui, avez-vous l’intention d’agir ou de vous mobiliser? »
René Faulkner, un artiste de 62 ans de La Martre se dit préoccupé par « tout ce tintamarre étourdissant et déprimant ». Les réformes dans le domaine de la santé sont souvent évoquées dans les réponses. Johanne Côté, infirmière de 49 ans de Gaspé, ne voit pas comment les fusions promues par le ministre de la Santé amélioreront les soins. « [Le projet de] loi fusionne les établissements, mais ils ne mettent pas les personnes à la bonne place sur le plancher. »
« J’ai travaillé dans le domaine de la santé, je vois ce que M. [Gaétan] Barrette [ministre de la Santé] veut faire et je trouve ça terrible. On s’en va vers la déshumanisation des soins », croit Ginette Fraser, une retraitée de Sainte-Anne-des-Monts.
« L’abolition des agences de santé est une bonne idée, à condition qu’elles ne disparaissent pas toutes en même temps », considère Daniel Marceau, 60 ans, un commerçant de Sainte-Anne-des-Monts.
Certains Gaspésiens mentionnent l’abolition d’organismes de développement régional. « Il y a un élément qui n’a pas de bon sens : l’abolition des CLD [centres locaux de développement], dit Jean-Sébastien Cloutier, entrepreneur de Mont-Saint-Pierre et ex-maire. Toute entreprise, qu’elle soit petite, moyenne ou grande, est passée entre les mains du CLD […]. Il y a des choix difficiles à faire, mais pas de tuer la structure principale de développement sur le terrain! »
« On va démolir pour reconstruire quelque chose de nouveau en pensant qu’on a la solution miracle », estime un fonctionnaire provincial de Gaspé, qui préfère ne pas se nommer et s’inquiète de la disparition d’acquis comme la Conférence régionale des élus (CRÉ) et les CLD.
La crainte de l’exil
Au moins autant que l’abolition d’organismes, les interviewés craignent de voir des jeunes s’exiler. « Ça m’inquiète de voir que de jeunes familles vont devoir repenser leur installation en Gaspésie, dit Mireille Caron, enseignante de 44 ans de Gaspé. On coupe beaucoup, mais on ne voit pas où sont les solutions, où on s’en va. »
« Comment ne pas être préoccupés en vivant en région, dans la MRC la plus pauvre, qui peine déjà à retenir et à attirer de jeunes familles? », lance Anne Sohier, 52 ans, agente culturelle à Marsoui. « Ces coupes vont paralyser les efforts déployés depuis quelques années! »
Plusieurs appréhendent une diminution des services dispensés par l’État. « On va perdre beaucoup de services publics, pas nécessairement en entier, mais en partie et perdre de l’efficacité », estime un étudiant du Cégep âgé de 23 ans qui souhaite demeurer anonyme.
Kevin Bouchard, agent de relations humaines à Sainte-Anne-des-Monts, craint que « les services directs à la population soient touchés » alors même que la clientèle desservie par l’État a « des besoins de plus en plus complexes ». « On pourrait voir [la] problématique [de cette clientèle] se complexifier davantage si [ses] besoins ne sont pas suffisamment comblés. »
Couper dans le gras, oui, mais…
Sylvie Pelletier, une gestionnaire de Cap-Chat, se dit « consciente que nous devons stopper l’hémorragie de la dette. » « Le Québec vit au-dessus de ses moyens et cela depuis longtemps », dit-elle. Par contre, « couper dans le gras ne veut pas dire couper les plus pauvres, poursuit Mme Pelletier. Les emplois perdus dans les CLD, les CJE [Carrefours Jeunesse-Emploi] et, à la limite, dans les CRÉ, sont de bons emplois bien rémunérés, ce qui aura une incidence sur les emplois indirects, tels les commis de magasin, emballeurs, étalagistes, etc. »
Paul-André Beaulieu, 43 ans, un blogueur de Sainte-Anne-des-Monts, trouve que « les coupes ne vont pas assez loin ». « Compte tenu de la piètre situation économique du Québec et de notre haut niveau d’endettement, il faudrait faire plus […]. Les opposants aux mesures d’austérité […] oublient vite qu’en pelletant dans la cour des générations futures pour assurer leur propre confort, à crédit en plus, ils compromettent cet avenir qu’ils disent tant chérir. »
Plusieurs interviewés estiment que Québec devrait trouver d’autres moyens de couper, ailleurs qu’en Gaspésie. « C’est de valeur qu’ils ne fassent pas ça à eux autres même [les compressions], lance Claude Béliveau de Gaspé, un retraité de 66 ans. Surtout les coupures en santé, ça ne devrait pas exister. »
Martin Lepage, un ambulancier de Sainte-Anne-des-Monts, juge qu’il « serait bon de regarder la façon de gérer nos impôts de plus près. J’estime qu’un ménage effectué dans le système de gestion du système gouvernemental serait un meilleur atout que de demander aux gens les plus pauvres du système de se serrer la ceinture. »
Manifester, un coup d’épée dans l’eau?
Les Gaspésiens sont partagés entre une volonté de protester et un questionnement sur le réel impact des manifestations et pétitions.
Martine Roy, 51 ans, technicienne informatique à Sainte-Anne-des-Monts, exprime ainsi son sentiment d’impuissance : « J’aimerais bien faire quelque chose pour mon beau coin de pays, mais comment? En me promenant dans les rues de Sainte-Anne-des-Monts avec une pancarte sur laquelle est inscrit : « On ne veut pas mourir de faim, pitié? » La majorité des habitants de la MRC de la Haute-Gaspésie ne croient plus et ne font plus confiance aux gouvernements passés, présents et futurs. Ils ont abdiqué, non sans avoir essayé de se faire entendre. Tout ce que l’on nous promet, c’est à la veille des élections. »
« Non, ils sont plus forts que nous », répond Raynald Queenton, un chauffeur d’autobus de 48 ans, lorsque questionné sur son intention de se mobiliser ou pas. « Ici, les Québécois, on se laisse manger la laine sur le dos », estime pour sa part Valmore Dunn, un retraité de 65 ans.
Plusieurs personnes ont néanmoins témoigné des actions qu’ils posent ou souhaitent poser. « S’il y a des manifestations, pétitions ou autres, j’y participerai pour montrer au gouvernement Couillard que nous sommes en désaccord avec ses lois qui écrasent la société et, encore une fois, la classe moyenne » fait savoir Valérie Pelletier, 28 ans, une coiffeuse de Sainte-Anne-des-Monts. « Ma mobilisation passe par des suggestions de jeunes sur Facebook, écouter Radio-Canada, RDI et LCN, analyser et retourner sur Facebook, dialoguer avec les jeunes et les encourager », dit Claire Fortin, une retraitée de 67 ans de Cap-Chat.
« La mobilisation, aujourd’hui, passe par les réseaux sociaux. Je signe, j’incite les autres [à signer] et j’appuie », indique Anne Sohier.
« J’aimerais bien participer plus activement à des marches ou des manifestations, indique Louiselle Dupuis, 63 ans, de Sainte-Anne-des-Monts, mais n’ayant pas ou peu de moyens, je participe par Internet pour dire à notre gouvernement actuel mon désaccord dans sa façon de vouloir atteindre le déficit zéro. »
Dernière heure… 2015 sous le signe de la mobilisation?
Dans un communiqué émis ce mardi 16 décembre, un mouvement citoyen gaspésien en appelle carrément à la mobilisation de la société civile pour contrer les mesures d’austérité imposées par le gouvernement Couillard et développer un plan d’action pour la sauvegarde de la région et annoncent que des activités de mobilisation seront annoncées au début de la nouvelle année, notamment la tenue d’assemblées citoyennes dans les cinq MRC.
D’une seule voix, les porte-paroles de « Touche pas à ma région » dénoncent « l’absence totale de concertation dans cette course au démantèlement qui se fait sans aucune analyse d’impacts – qui seront nombreux et importants ».
Déjà, depuis le début novembre, des activités de mobilisation réunissant près de 1 000 personnes se sont tenues dans la péninsule. De plus, des citoyens ont fait parvenir des lettres ouvertes aux médias régionaux et nationaux et ont participé en grand nombre – plus de 400 Gaspésiens et Gaspésiennes — à la manifestation contre l’austérité à Québec le 29 novembre dernier.
(En collaboration avec Johanne Fournier en Haute-Gaspésie et Karyne Boudreau dans la Baie-des-Chaleurs)