APPLAUDIR MON DÉPUTÉ
L’allocution du député local ne m’apparait pas comme étant incontournablement nécessaire au bon déroulement de l’événement. Encore, s’eut il illustré par son dévouement, ou au moins son ouverture à la cause environnementale. J’aurais pu consentir à lui prêter mon oreille.
Ce n’est assez tristement pas le cas.
J’habite un comté où, comme dans les comptes de fées, est actuellement en construction, sans aucune consultation publique, la plus grosse cimenterie du Québec. Quand on lui en parle, sa cassette s’appuie sur les cadavres des suicidés du même modèle dépassé, qui a récemment fermé, la Gaspésia pour ne pas la nommer.
Il semble bien à l’aise avec le rôle joué dans la négation à une population le droit de s’exprimer avant de parler en son nom, comme un roi nègre de salon. Tu vas monter, fiston. Il avait promis, oui je me souviens, d’être le porte-parole de tous les citoyens. J’y ai cru quelque instants mais c’est passé depuis longtemps maintenant. Je suis mieux de porter ma parole moi-même, car ce sera très louche si j’entends quelque chose qui y ressemble dans sa bouche.
C’est donc avec ma décoction de naïveté perdue, de grogne légitime et de déception d’en arriver là, que je me suis rendu à la cérémonie d’ouverture du jour de la terre, où il devait faire son allocution. J’étais bien décidé à faire deux choses. La première fut la plus difficile pour moi car nombreux le souhaitent : me taire. La seconde était de lui donner exactement ce qu’il est venu chercher et que l’on me reprochera; des applaudissements.
Je peux difficilement lui imaginer une autre motivation, n’étant clairement pas là par conviction, mais plutôt par intérêt. Or, il est très périlleux de souhaiter car il arrive que l’on obtienne plus que ce qu’on avait espéré, comme l’histoire va le démontrer.
Si les applaudissements sont souvent la gratification instantanée à l’égo de celui qui a bien parlé, ils ont exactement l’effet contraire lorsqu’ils s’étirent au dela d’une limite implicite et tacite. À très forte dose et au dela du convenu, ils génèrent une sorte de grand malaise collectif, comme un pet bruyant dans un ascenseur. L’orateur impatient, habitué à être obéi quand il réclame le silence, se trouve contraint de tenter différentes tactiques; des supplications à l’intimidation, en passant par la calomnie et la provocation, il ne peut que constater comme nous tous, son absolue inefficacité à faire cesser ce qu’il était venu, confiant, chercher.
S’il m’a qualifié d’intégriste et d’extrémiste pour l’avoir applaudi à tout rompre, j’ai bien hâte des voir les épithètes dont il m’affublera à la lecture de ce texte.
Bien convaincu que j’étais de l’absence d’offense de nature criminelle que constitue l’ovation debout prolongée, et malgré l’évident manque de décorum et de respect des convenances que cette tactique constitue, j’ai ostentatoirement persisté jusqu’à ce qu’il quitte la salle sans avoir prononcé sa si nécessaire intervention. Piètre petite victoire sur un grand système malade que d’avoir pu refuser mon écoute à celui qui m’a tant manqué de la sienne. Un peu comme quand on baisse le son des publicités quand on regarde la télé : ça n’empêche et leur commanditaires de concocter, pour m’inciter, d’audacieux messages rivalisant de frivolité.
Entre le générateur de bonheur collectif et la passion fruitée, il n’y a pas de place pour questionner ou douter. Alors je leur refuse mon oreille, ce qui les prive d’une grande part de leur pouvoir. Zappé! Merci aux complices bruyants, et aux silencieux. J’ai puisé la détermination dans vos yeux pour nourrir mon feu.
Je voudrais quand même prendre quelque mots pour le remercier pour l’inspiration, et pour sa collaboration bien involontaire à cet exercice d’éducation populaire. Le pouvoir est à qui sait en user et l’assumer. Si « Qui ne dit mot consent! » : je suis responsable autant de ma parole que de mon oreille, et de ce qu’y déverse le tout-venant. Se réserver le droit et le moyen de ne pas entendre les fabricants de consentement qui se lubrifient l’image dans nos orifices oriculaires, ça devient nécessaire pour couper court au verbiage tentaculaire. Le dialogue est évidemment préférable à une polarisation campée, mais il est plus difficile de l’obtenir que de le souhaiter.
Enfin, en guise d’épilogue je me permets une plogue, une ligne d’un auteur que vous connaissez surement, un slameur avant son temps à côté de qui je fais figure de nain borgne en mitaines. Il s’agit, vous l’aurez deviné, de Jean de La Fontaine, qui inscrivait à la fin d’une ode à la gourmandise et à la trahison d’une forêt par son bucheron:
« Hélas, j’ai beau crier et me rendre incommode, l’ingratitude et l’abus n’en seront pas moins à la mode. »