Contribution de l’éolien à la transition énergétique du Québec : des repères intéressants
Un important rapporti publié par l’IRÉC (Institut de recherche en économie contemporaine) portant sur la transition énergétique du Québec vient de paraître. Divisé en cinq chapitres, chacun cible respectivement 1- l’état des lieux, 2- l’efficacité et la sobriété énergétique, 3- l’énergie éolienne, 4- la biomasse forestière et 5- les biocarburants. Le rapport présente d’ambitieuses mais très stimulantes propositions qu’il serait nécessaire de reprendre une par une . L’espace manquant, nous prenons ici quelques lignes pour résumer les aspects couvrant principalement la filière éolienne qui charpente désormais une partie de l’économie gaspésienne. Du rapport, il s’agit des pages 38 à 53.
Éolien : le résultat de politiques publiques
La filière a été implantée début 2000 par une série de politiques publiques accélérant son développement. Les principales étant : une politique industrielle ciblant l’éolien, une politique de développement régional assurant la transition industrielle d’une Gaspésie en plein déclin et une politique de développement économique forgée sur la base de la transition vers les énergies renouvelables qu’envisageaient les États-Unis vers la fin des années 90. De l’ensemble de ces mesures, il semble que celle relative au positionnement du complexe industriel et économique, forgée dans l’idée d’exporter énergie et technologie vers le pays voisin, soit celle ayant le plus pesé dans la balance.
C’était cependant avant que les États-Unis de l’ère Bush soient frappés par les attaques du 11 septembre 2001 et se replient, stratégiquement, en cherchant à assurer la sécurité de leurs approvisionnements énergétiques. Le développement rapide des techniques d’extraction du gaz et pétrole de schiste par fracturation et les imposantes capacités d’investissement des grandes pétrolières ont supporté cette nouvelle orientation. Ces éléments combinés ont eu un poids considérable sur la baisse des prix énergétiques et contribuèrent à fragiliser les arguments sur lesquels s’appuyait Québec pour légitimer le développement de mégawatts supplémentaires. Au même moment, au Québec, une importante opposition s’élevait face aux projets de minicentrales et de port méthanier favorisant, presque miraculeusement, l’acceptabilité sociale de l’éolien alors vu comme une énergie verte et renouvelable.
Par ailleurs, afin d’inscrire d’Hydro-Québec à la grande intégration énergétique continentale rendue nécessaire par l’entrée en vigueur de l’ALÉNA, HQ a été scindée en trois entités nous permettant de poursuivre nos échanges énergétiques avec d’autres juridictions. L’entreprise d’État deviendra : HQ Production, HQ Distribution et TransÉnergie. Depuis, Hydro-Québec Distribution est responsable d’acheminer aux Québécoises et Québécois, selon les principes de la nationalisation de 1963, un accès égal à l’énergie à prix patrimonial.
Dans la même foulée, on créera le bloc patrimonial, assurant aux Québécois une quantité d’énergie de 165 TWh par année à prix fixe. Tout dépassement de capacité du bloc patrimonial, prévu à l’époque pour 2005 (couvrant aujourd’hui environ 90 % de la consommation nationaleii) doit faire l’objet d’appels d’offres afin d’assurer, par la mise en concurrence de promoteurs, les approvisionnements supplémentaires nécessaires. C’est sur la base de cet ensemble de choix politiques que se justifient les quatre appels d’offres éoliens ayant permis le développement de la filière au Québec.
Des brèches
Ce nouveau modèle de développement énergétique, assorti d’objectifs de développement régional et industriel lui conférant une légitimité sociale, génère cependant une importante brèche dans les principes du développement de l’énergie du Québec bénéficiant d’abord l’ensemble des Québécoises et Québécois. D’abord, les meilleurs gisements éoliens exploitables se trouvent au nord du Québec, à proximité des lignes de transport d’HQ. Or, les quatre appels d’offres ouverts entre 2003 et 2013 ont principalement ciblé la Gaspésie, nous avons vu pourquoi. Ensuite, les deux premiers appels d’offres, totalisant 3000 MW, ont été entièrement remportés par des promoteurs privés, multinationales de l’énergie, dont les sièges sociaux sont à l’extérieur du Québec. Cette privatisation de l’énergie prive aussi HQ et la population québécoise des revenus qu’elle génère et par effet d’incidence, des services publics offerts par ces bénéfices financiers.
Plus important, le modèle éolien « réintroduit la production énergétique d’envergure à des fins lucratives »iii, ramenant le Québec à la réalité prévalant dans la première moitié du 20e siècle. Il s’agit d’un modèle pourtant éliminé par la nationalisation de la « grande hydraulique » lors de la Révolution tranquille. Les acteurs de la filière ont bien tenté de remédier à cette lacune par l’ouverture d’appels d’offres de parcs à propriété communautaire, mais ces parcs ne représentent aujourd’hui que 12,86 %iv du total de la puissance québécoise installée.
Des bénéfices, mais…
En Gaspésie, en plus d’avoir bénéficié du développement industriel, la population touche une part des bénéfices financiers de cette énergie par : les redevances négociées entre les propriétaires privés et les municipalités, par la Régie Intermunicipale de l’énergie – sans laquelle la portée régionale des rentes énergétiques n’aurait pas existé – et par les parcs communautaires autochtones. Cette réalité n’est cependant pas vraie pour l’ensemble des citoyennes et citoyens du Québec ayant pourtant contribué à la mise en place de la filière et ce, de différentes manières.
En plus du détournement du contrôle public du développement de l’énergie, le modèle éolien génère aussi des inégalités de revenus au sein de la communauté québécoise. Il y a donc ici d’importantes lacunes à combler. « Loin d’être périphériques, [ces enjeux sont] au cœur des délibérations portant sur le modèle de développement retenu pour effectuer la transition énergétique»v dans le cadre de la – très frileuse – politique de transition énergétique du gouvernement libéral.
Les conclusions de la section du rapport se résumeraient ainsi: il importe de redonner une légitimité à l’éolien en permettant à l’ensemble de la société québécoise de profiter du développement de cette énergie. Point majeur : il est nécessaire de redonner au contrôle public le développement de l’éolien. Par ailleurs, afin de s’éloigner du modèle de production énergétique à des fins lucratives et dans le but de combler les lacunes historiques du modèle de la grande hydraulique – ayant laissé peu de bénéfices financiers directs aux régions où sont installés les ouvrages – il serait important de reconfigurer notre modèle institutionnel sans pour autant abandonner les principes d’égalité et les bénéfices publics l’ayant encadré. Finalement, afin de soutenir la filière éolienne à l’échelle québécoise, ne serait-il pas opportun de privilégier des projets de substitution énergétique sur des sites industriels à forte intensité carbone ou encore des sites éloignés qui ne sont pas connectés à l’énergie renouvelable d’Hydro-Québec.
i Pour lire l’ensemble du rapport intitulé : Transition du secteur énergétique, amorcer une rupture, se référer à la section publications du site de l’IRÉC au : www.irec.net
ii Hydro-Québec, 2017
iii Bourques, Gilles et al, 2017, « Transition du secteur énergétique, amorcer une rupture », IRÉC, pp 46
iv Voir : Prémont, Marie-Claude, 2016. « C’est un grand art que de vendre du vent, ou le développement de la filière éolienne au Québec », Fortin, M.-J., Fournis, Y. et F. L’Italien (dirs.), La transition énergétique en chantier, Québec, PUL, 2016, pp. 123-146
v Bourques, Gilles et al, 2017, « Transition du secteur énergétique, amorcer une rupture », IRÉC, pp 47