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27 mars 2015 12 h 05

DE L’HIVER OU DU PRINTEMPS

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Si je t’écris cette missive, c’est que tu m’as poussée à bout pas rien qu’à peu près dimanche passé. Je t’explique, parce que t’as sûrement encore plein de tempêtes printanières à comploter pis que t’as pas juste ça à faire, lire le texte d’une blogueuse frustrée.

DIMANCHE, 16 h 30
Après une semaine de vacances, je tente désespérément de regagner mon chez-moi en roulant dans le blizzard, entre Maria et Carleton-sur-Mer. Comme la route est barrée, un monsieur m’oblige gentiment à retourner d’où j’arrive. Je reviens donc bredouille, la queue entre les jambes et la mine déconfite, à Maria. Je ne peux même pas déjouer tes humeurs en passant par le deuxième rang. Bref, on peut parler d’un échec.

À ce moment, je ne te trouve pas encore si haïssable que ça.

DIMANCHE, 19 h 10
Pas plus niaiseuse que la moyenne des ours, je retente le coup de la grande traversée. La 132 est rouverte par convois, ce qui, je le crois naïvement à ce moment, me garantira un aller simple rapide vers mon salon en toute tranquillité d’esprit.
La belle bourde! Je reste plutôt coincée avec d’autres valeureux aventuriers pendant presque une heure et demie dans ce qui est sans doute l’un des convois les plus éternels jamais recensés à ce jour. À deux doigts de fouiller dans les mégots de mon cendrier et de scrapper 11 jours d’efforts visant à vaincre la clope, je suis restée assise dans ma voiture, brassée comme un vulgaire pantin par le vent. On aurait dit le début d’un très mauvais film d’horreur.

Rendue là, dans mon estime, tu te situes quelque part entre Jeff Fillion et Miley Cyrus.

DIMANCHE, 21 h 05
J’aboutis contre toute attente à Carleton-sur-Mer, où ma rue n’existe officiellement plus. Je me bute à une lame de neige d’un mètre et à un chemin privé qui n’est pas déneigé. Puisqu’on n’y voit absolument rien, je trouve qu’il pourrait être un peu nono d’abandonner ma voiture en bordure du chemin. Je me résigne donc à faire demi-tour (encore!) et me mets à la recherche d’un refuge pour la nuit en t’envoyant de gros mots. D’énormes mots avec plein de ?#&$*.

En cet instant précis, l’envie me prend de demander à tous mes nouveaux amis du convoi de te passer dessus avec leur véhicule eux aussi.

Tout cela pour dire, ma gente dame, qu’à ce state-là, je te déteste. Pas à peu près! J’ai les pieds mouillés, je viens de passer deux heures à respirer mon propre air vicié dans l’habitacle de mon vieux char et, comme tous ceux prenant part à ce foutu convoi, j’ai perdu ma soirée.

Big time!

Dimanche soir dernier, s’annonçait donc une lettre d’insultes à ton intention…

Contre toute attente, je choisis plutôt de te remercier; petit éclairci inespéré que les météorologues n’ont certainement pas su prédire.

Quand on m’a barrée la route en fin d’après-midi, je suis revenue sur mes pas et suis arrêtée chez un ami. Il me semble que ça faisait 1000 ans que je n’avais pas pris le temps de prendre de ses nouvelles.

Quand le convoi a fini par démarrer, j’ai fait confiance à l’inconnu roulant devant. Derrière moi, un autre étranger m’avait à son tour confié le rôle de le mener à bon port. Une belle et longue chaîne de solidarité roulant à 20 km/heure, dans un feu d’artifice de flashers.

Quand j’ai perdu ma rue au grand complet, j’ai été rescapée par une amie qui m’a offert un pyjama, des bas de laine tricotés par sa grand-mère et l’hospitalité. Et cela, même si je cognais à sa porte sans avertir à 21 h 40, un dimanche soir. Je sais. Ça n’a pas de prix!

Quand, le lendemain matin, j’ai pris la route pour me rendre au boulot, j’y ai croisé des voisins qui pelletaient ensemble, des citoyens qui ouvraient la cour des autres et une pouceuse dépeignée que l’on a embarquée en deux secondes et quart.

Quand je suis arrivée au travail dans les restants de tempête, j’ai parlé de toi à une personne avec qui je n’échange habituellement qu’un nombre très limité de mots dans une journée. Conversation futile, je te l’accorde, mais empreinte de gentillesse.

Je ne te remercierai pas pour les sorties de route, les carambolages, les blessés, ni pour ceux qui n’ont pas pu se rendre là où ils devaient être.

Mais je vais te dire merci pour l’envers de la médaille que tu m’as offert dans ta tempête, sur la 132, entre Maria et Carleton-sur-Mer ce dimanche-là.

Comme quoi il n’y jamais que du négatif ou du positif, que du noir ou du blanc, que de l’hiver ou du printemps. Comme quoi, aussi, on peut percevoir froidement une réalité… où y puiser un peu de chaleur.

Roxanne Langlois,
membre du convoi du dimanche 22 mars 2015, entre Maria et Carleton-sur-Mer.

PS. Dernière chose! Si tu pouvais y aller mollo avec les Îles-de-la-Madeleine pour un petit bout, ce serait smart de ta part. Ça frôle l’acharnement, ton affaire. Merci!