DE PHILIPPE H À MENTANA
Un roman au titre énigmatique et un album de chansons anglaises par un groupe québécois dont le nom évoque l’Amérique : Philippe H. ou La Malencontre de Mylène Fortin et Inland desire de Mentana dans lequel le couple formé de l’Acadien Robin-Joël Cool et de la Gaspésienne Viviane Audet sont les auteurs-compositeurs interprètes. Et les trois proviennent du théâtre.
Philippe H. de Mylène Fortin
La Matanaise Mylène Fortin a fondé avec Frédéric Boivin le Théâtre des Grands Vents à Matane en 2009 pour lequel elle a coécrit quelques pièces. Philippe H. met en scène (pour demeurer dans le langage théâtral) Hélène Marin qui est la narratrice de ce court, mais intense, roman. Étudiante en psychologie, elle prépare son mémoire de maîtrise sur les notions de désir rationnel et désir passionnel, sujet qui recouvre toute la problématique de sa vie.
Elle a trente ans, elle est célibataire moins par choix que par une crainte de l’engagement qu’implique une relation amoureuse. Du moins, c’est ce que laisse transparaître Hélène alors que ce « choix » découle en réalité d’un abus sexuel qu’elle a subi alors qu’elle avait douze ans. Toutes ses pensées tournent autour de cette tragédie qu’elle a remisée dans un coin sombre de son cerveau, et ont un impact fondamental sur ses relations avec les autres, en particulier avec les hommes. Philippe H. va bouleverser sa relative quiétude et la contraindre à se faire face. Beau personnage, ce Philippe H., amoureux patient, attentif, toujours disponible à écouter Hélène dans ses contradictions et ses paradoxes. En arrière-plan, la famille d’Hélène : ses parents dont elle faut un savoureux portrait), sa sœur Élise et ses deux enfants et, surtout le fantôme de Léon, le frère adopté dont on comprendra à la fin pourquoi son nom est tabou.
L’atmosphère un peu lourde et souvent trouble qui se dégage de la façon dont Hélène rend compte de ses actes et de ses émotions est allégée par un caustique — et toujours à propos — sens de l’humeur qui remet tout en perspective et nous laisse penser (avec raison) qu’Hélène réussira à assumer son passé.
Chaque chapitre est rythmé par une anecdote, un petit bout de vie qui met Hélène face à Philippe H. que ce soit en sa présence ou en pensée. Dans tous les cas, le mouvement est semblable : pulsion sensuelle et intellectuelle vers lui suivie d’un mouvement de répulsion, qu’il soit physique ou non. Ce mouvement de balancier s’accélère au fur et à mesure que le temps passe jusqu’au paroxysme et à l’instant où Hélène accepte son passé et s’avoue l’amour qu’elle a pour Philippe H..
Métaphoriquement, la tension est forte à Montréal et se résout en Gaspésie : à la ville perçue comme complexe succède l’ouverture que symbolisent la nature et la mer.
La plume vive et colorée de Fortin a su rendre les aléas intérieurs d’Hélène dont les soubresauts sont causés par le déni.
Inland desire de Mentana
Robin-Joël Cool définit la musique de Mentana comme du « folk americana ». Pourquoi pas. Il est vrai que ses racines country, folk et rock sont évidentes. Même l’instrumentation qui fait appel au dobro et occasionnellement au violon et à la « lap steel guitar » demeure fidèle au genre. Quant au nom du groupe, il rappelle la rue Mentana à Montréal, là où la légende dira qu’ils se sont rencontrés. J’y entends aussi « Montana », autre rappel des États-Unis.
Ce qui retient l’oreille, c’est la qualité des chansons et des arrangements bien mis en valeur par l’excellent groupe de musiciens et par la voix de Cool que vient appuyer celle d’Audet. Si les textes sont pour la plupart signés par Cool, la musique l’est par toute la formation. Le percussionniste Yannick Parent utilise brillamment les balais dans plusieurs chansons (en particulier « Shutdown » et « Gamblin’ man »), ce qui donne une fluidité à la rythmique, et quand il prend les baguettes, il s’en sert avec juste ce qu’il faut d’intensité et de finesse pour donner sa pulsion à la chanson. La formation classique du contrebassiste et bassiste Pablo Seib enrichit sa façon d’appuyer Parent et de broder autour des autres instruments. Les claviers de Viviane Audet, les guitares de Tommy Gauthier et celles de Robin-Joël Cool texturent les chansons de leurs sons clairs et toujours bien différenciés : l’enregistrement est d’une excellente qualité. Le tout au service de la voix riche, profonde de Cool enrichie des harmonies d’Audet dont la voix haute offre un contrepoint au ténor presque baryton où on entend des échos de Johnny Cash et de Léonard Cohen.
Je ne vous ai pas encore dit que les chansons sont en anglais. C’est un choix, leur choix alors qu’Audet fait une autre carrière en français, elle qui a lancé son deuxième album, Le couloir des ouragans, en février 2014, sur lequel on retrouve « Après la pluie, la pluie », un duo avec Robin-Joël Cool (une très belle chanson). Cela dit, les textes de Cool sont percutants et fignolés. On est très loin des ritournelles amoureuses et des clichés. Que ce soit par le paysage urbain de « No return », le tragique absurde de « Shutdown », ou encore le cul-de-sac dans lequel se débat le « Gamblin’ man » pour ne nommer que les trois premières chansons de l’album, toutes les chansons racontent une histoire et commentent la société. Quatre d’entre elles viennent des films Camion et Gurov and Anna de Rafaël Ouellet pour lesquels Audet et Cool ont écrit la musique en collaboration avec Éric West-Millette : « Islands and rupées » et « Gamblin’ Man » pour le premier, « Tiger » et « Devil on the corner » pour le second qu’on retrouve sur les CD de ces films.