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9 septembre 2020 9 h 55

Derrière Belledune, le projet nucléaire de nos voisins du sud

| Nos voisins du Nouveau-Brunswick sont en pleine campagne électorale et voici pourquoi ça devrait nous intéresser. Autant le chef conservateur que le chef libéral s’entendent sur une chose : la relance du Nouveau-Brunswick passe par le nucléaire.

Dans la Baie-des-Chaleurs, lorsqu’on longe la mer et qu’on regarde vers le sud, la centrale au charbon de Belledune est immanquable avec sa longue cheminée. C’est la centrale la plus polluante du Nouveau-Brunswick : elle émet plus de gaz à effet de serre encore que la raffinerie Irving de Saint-Jean.[1] Sa cheminée va disparaître d’ici quelques années, car la centrale sera démantelée, suivant la décision du gouvernement fédéral de fermer les centrales au charbon d’ici 2030[2]. On peut y voir une bonne nouvelle, sauf qu’il s’agit de près de 500 mégawatts qu’Énergie NB devra trouver ailleurs et c’est là que ça se corse.

Le Québec dispose d’un surplus d’électricité qu’il souhaite vendre à ses voisins, mais il y a une réticence au Nouveau-Brunswick à se fier uniquement sur Hydro-Québec. Peut-être vous rappelez-vous qu’en 2009, Hydro-Québec songeait même à acheter Énergie Nouveau-Brunswick pour y écouler ses surplus et augmenter ses capacités d’exportation. Envoyé par TVA pour prendre le pouls du projet, je me souviens des entrevues que j’avais réalisées, à Fredericton et à Saint-Jean, où on ne se gênait pas pour me dire que si l’acheteur avait été Hydro-Ontario, l’idée aurait été plus acceptable… Devant le tollé soulevé au sein de la population au Nouveau-Brunswick, l’idée est abandonnée en mars 2010.

N’empêche, depuis 2012, le Nouveau-Brunswick achète de l’hydroélectricité québécoise. Pour Hydro-Québec, ça représente 11% de ses exportations.[i] En 2019, le premier ministre Blaine Higgs a toutefois averti Québec : il n’y aurait pas davantage d’achats de leur part tant que Québec n’appuierait pas le projet d’oléoduc d’Énergie Est. Le premier ministre François Legault n’a pas bronché et M. Higgs a dû laisser tomber sa demande. En janvier 2020, les deux premiers ministres annoncent une entente comprenant une augmentation des ventes d’électricité, une aide technique offerte par Hydro et des discussions en vue de bâtir de nouvelles lignes de transport pour augmenter la capacité d’exportation d’Hydro-Québec.[3]

Le Nouveau-Brunswick ne veut pas se fier uniquement sur le Québec

Ça pourrait se terminer là. Le Nouveau-Brunswick a besoin d’énergie propre, le Québec lui en fournit. Mais non, la réticence demeure au sud et la province veut diversifier ses sources d’énergie. Ils flirtent avec un projet de centrale à l’hydrogène, bien que les scientifiques affirment qu’il s’agit de science-fiction. Plus sérieusement, après un moratoire décrété en 2014, le gouvernement Higgs a modifié l’an dernier sa réglementation pour permettre au moins dans une région la fracturation hydraulique afin d’extraire du gaz naturel. Dans une entrevue de fin d’année en décembre 2019, le premier ministre Higgs a exposé son plan de sortie des combustibles fossiles: avant le solaire et l’éolien, ça se fera d’abord en obtenant du gaz naturel (par fracturation) pour ensuite passer vers le nucléaire.[4]

Après avoir rénové à grands frais leur centrale nucléaire de Pointe Lepreau, plusieurs au Nouveau-Brunswick rêvent maintenant d’augmenter leur production d’énergie avec des « petits réacteurs nucléaires ». Ces réacteurs proviennent d’une technologie tellement nouvelle qu’ils n’existent pas encore. Mais une douzaine de fournisseurs travaillent à leur développement au Canada, dont deux situés au Nouveau-Brunswick.  Le gouvernement fédéral, l’Alberta, l’Ontario, la Saskatchewan et le Nouveau-Brunswick collaborent actuellement pour en favoriser le développement.[5]

Ces petits réacteurs nucléaires ne seraient rien de moins que la panacée d’une province en manque d’énergie « propre ». Dans la campagne électorale qui a cours actuellement au Nouveau-Brunswick, les chefs conservateur et libéral rivalisent d’enthousiasme pour vanter les mérites de cette technologie en développement. Pour Blaine Higgs, c’est « une technologie qui relancera notre province, et notre pays tout entier »[6]. Pour Kevin Vickers, il s’agit d’ «une énorme opportunité économique.»[7] Non seulement veulent-ils produire et exporter de l’énergie nucléaire, ils veulent aussi construire et vendre les petits réacteurs.

Dans un article paru dans Le Devoir en décembre dernier[8], les experts interrogés au sujet des petits réacteurs nucléaires étaient beaucoup moins enthousiastes. Au mieux, ces réacteurs pourraient éventuellement desservir des communautés isolées dans le Grand Nord; au pire, ils ne verront jamais le jour parce que non rentables et nécessitant des sommes trop importantes en recherche et développement. Le professeur M. V. Ramana, un physicien de l’Université de Colombie-Britannique, y déclare que « ces petits réacteurs doivent être construits par centaines ou par milliers d’exemplaires avant de devenir plus rentables que l’hydroélectricité ».

Peut-être alors que le rêve nucléaire du Nouveau-Brunswick sert davantage des fins politiques. Et qu’il permet de cacher une réalité plus dure à avaler pour certains Néo-Brunswickois. Soit que derrière Belledune, c’est bel et bien l’hydroélectricité québécoise qui alimentera la province réticente.


La centrale au charbon de Belledune devrait disparaître d’ici 2030, mais elle laissera un vide que le Nouveau-Brunswick souhaiterait combler avec le nucléaire. Photo : Alexis Deschênes

[1] Selon les chiffres de 2014. https://www.acadienouvelle.com/actualites/2016/07/26/fermeture-de-centrale-de-belledune-causerait-maux-de-tete-a-energie-nb/

[2] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1001242/le-canada-eliminera-les-centrales-au-charbon-dici-2030#:~:text=Prenez%20note%20que%20cet%20article,au%20pays%20d’ici%202030.

[3] http://nouvelles.hydroquebec.com/fr/communiques-de-presse/1574/hydro-quebec-et-energie-nb-signent-des-ententes-visant-lachat-delectricite-et-le-partage-dexpertise/

[4] https://www.ledevoir.com/societe/science/569983/nouveau-brunswick-higgs-mise-toujours-sur-les-petits-reacteurs-nucleaires

[5] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1725701/petit-reacteur-modulaires-energie-nucleaire-propre-alberta

[6] https://www.pcnb.ca/fr/les-nouvelles/jouer-un-role-de-chef-de-file-dans-le-domaine-de-la-technologie-emergente-des-petits-reacteurs-nucleaires-modulaires

[7] https://nbliberal.ca/fr/2020/08/le-n-b-pourrait-etre-un-leader-mondial-dans-la-production-de-petits-reacteurs-modulaires/

[8] https://www.ledevoir.com/societe/environnement/569151/en-nucleaire

[i] https://www.hydroquebec.com/international/fr/exportations/