LA CONTRADICTION LIBÉRALE
Qu’importent les raisons qui poussent M. Couillard à ne pas être d’accord avec ce mode d’exploitation du pétrole, l’important dans la dialectique qui se dessine est de bien saisir les motifs évoqués par Pétrolia face à l’État. Car ces derniers révèlent le caractère franchement médiéval de la posture néolibérale qui donne préséance aux intérêts d’un petit nombre face à ceux d’une population. Le bon peuple étant ici le sujet du Roi commerce; et c’est là qu’il faut comprendre le sens pervers de notre volonté débridée et constante de n’en avoir que pour l’emploi.
Notons au passage que l’importance mise par M. Couillard sur le fait que l’avenir du Québec ne passe pas par le pétrole, interpellant au passage un talent et du génie pouvant contribuer d’une manière largement plus efficace et structurante à la transition écologique de l’économie que dans le pétrole, n’est pas anodine. S’enfermer dans une logique de bulle spéculative cherchant à se légitimer en créant quelques emplois liés à une industrie lourde issue d’un siècle passé nous permet d’apprécier un tant soit peu l’intérêt qu’entretient notre premier ministre face aux talents qui grondent au Québec et n’attend qu’un important chantier national fondé sur la transition énergétique pour se déployer. S’inscrire dans la modernité dans une servile position de foreur au service de la finance ne légitime que notre pensée noire nous considérant comme petits face au monde. Le genre d’idée qui fait les choux gras des radios de deuxième classe, si promptes à encenser le néolibéralisme et le commerce déréglementé.
Car voilà justement où le bât blesse dans cette histoire et met les tenants du néolibéralisme supportant M. Couillard dans sa politique de non-forage sur Anticosti en contradiction face à eux-mêmes. C’est précisément ce commerce déréglementé qui impose aux États de ne pas ériger de frontière réglementaire, qu’elles aient pour origine le mieux être humanitaire, écologique, économique, fiscal ou législatif, bref, de tout ce qui relève du débat public dans un État démocratique sain, car ces éventuelles barrières pourraient nuire à leurs affaires.
La population d’un État national dûment constitué, qui s’est forgé des règles de conduite reflétant son rapport au territoire, son rapport à l’économie, son histoire, son caractère culturel propre et sa manière d’envisager l’avenir est dorénavant mise en demeure de ne pas nuire au libre commerce sous peine qu’une personne morale de droit privée, la corporation, la poursuive, ici vraisemblablement pour entrave au cours normal de ses affaires; lire la valeur en bourse de l’action de l’entreprise.
Il faut bien comprendre qu’à force de signer des traités de commerce de cette nature, c’est-à-dire les ALÉNA (Accord de libre-échange nord-américain) et autres Partenariats Trans-Pacifique du genre, nos représentants politiques se sont posés en mercenaire du libre commerce et n’ont fait qu’abattre les idéaux des populations qu’ils représentent pour mettre la puissance des États nationaux au service d’un marché déréglementé; c’est-à-dire, sans règle propre au territoire où il s’exerce. En d’autres mots, sans politique ni débat public ni projet de société autre que de livrer le Québec entier à cette logique mortifère.
Ce sont nos politiciens qui se sont donnés comme mandat de défaire les politiques pour réduire l’État à ses missions minimales : la police, l’armée et la poste. Dit autrement, l’entrave principale de ces politiciens mercenaires du libre marché devient sa propre population.
Au Québec, nous n’avons qu’à apprécier le modèle proposé de plein fouet par MM. Couillard, Coiteux, Hamad, D’Amour et autres Barrette du genre pour comprendre l’asservissement profond que représente le projet de brader les trésors publics aux mains du plus petit nombre.
En porte-à-faux face à lui-même, M. Couillard nous offre l’intéressant spectacle rappelant qu’un État doit encore être maître en son pays et que toute décision relevant du bien-être collectif devrait normalement passer par le débat public.
Ce qui est encore plus surprenant et déstabilisant dans la circonstance, c’est de voir que le Québec tarde à bien comprendre ce qui est en jeu et s’anesthésie quotidiennement dans le confort et l’indifférence de son repli sur le privé. Ayant accès à la consommation tranquille, les réactions ont été étonnamment molles dans tout ce processus de déconstruction de notre État national, sinon quelques soubresauts relatifs à l’éducation depuis la dernière année.
Nous allons avoir besoin d’un puissant électrochoc pour nous réveiller, mais le patient n’est pas encore mort. Souhaitons que la prochaine politique énergétique soit analysée et scrutée par tous les gens de la population afin que cette dernière, dans laquelle la question du pétrole sera centrale, devienne un formidable lieu de débat public.
Tout comme ce fut le cas lors de l’élection référendaire de 1962 sur la nationalisation de l’électricité, nous sommes rendus aujourd’hui à devoir faire un large débat sur la question énergétique en incluant toutes les filières, qu’elles soient hydrauliques, éoliennes, pétrolières, issues de la biomasse ou du gaz pour discuter de chacun des modèles qui sous-tendent leur développement et voir à faire entrer le Québec dans un des plus importants processus de l’époque moderne, celui de la sobriété énergétique.
Et cette démarche doit se faire avec le plein contrôle sur nos instruments de développement. Le cas de Pétrolia nous le démontre bien, la logique néolibérale et ses politiciens-mercenaires n’ont pas d’intérêt pour les intérêts nationaux.