LA MASTURBATION INTELLECTUELLE
Qu’est-ce que j’entends par masturbation intellectuelle?
La masturbation intellectuelle est l’action de jeter par écrit ou dans les airs des réflexions qui ne mènent à rien. Loin d’être inutile lorsqu’elle est pratiquée individuellement ou en groupe de personnes consentantes, par exemple lors d’une discussion philosophique ou d’un remue-méninges, il faut se demander quels impacts une telle pratique peut avoir sur une collectivité qui y est exposée sans en être informée.
Pour bien comprendre ce à quoi peut ressembler la masturbation intellectuelle, Olivier Niquet de l’émission La soirée est (encore) jeune à Radio-Canada cite Éric Duhaime qui résumerait tout le concept de la radio d’opinion, dans cette phrase : « On ne sait rien; c’qui sort, bein ça sort au compte-gouttes, pis y’a sûrement d’l’information là-d’dans qui est pas nécessairement vraie ; mais quessez vous voulez que j’vous dise? mieux vaut d’la mauvaise information que pas d’information pantoute! »(1)
Lorsque de la mauvaise ou de la fausse information satisfait notre besoin d’être informé, nous pouvons parler de masturbation intellectuelle.
Cette information douteuse non vérifiée, cette opinion que l’on nous présente comme de l’information se retrouve aujourd’hui de plus en plus présente autour de nous. La vitesse à laquelle nous semblons demander à être intellectuellement stimulés crée forcément des habitudes de bâclage journalistique. Difficile de savoir si les discours des politiciens et politiciennes sont l’œuf ou la poule d’une part très importante des reportages dits journalistiques d’aujourd’hui.
Quels sont les effets de la masturbation intellectuelle?
La masturbation rend sourd, c’est bien connu! Même si cette expression folklorique est non fondée scientifiquement, il est très intéressant de lire l’histoire de la réprimande de la masturbation. C’est fascinant de constater tous les efforts qui ont été consacrés à vaincre ce que l’on considérait comme une pratique allant mener à la fin de l’espèce et au désordre social. Si une véritable guerre idéologique fut menée contre la population, spécifiquement la classe populaire, par les médecins et le clergé, c’est justement pour préserver la pureté d’une certaine classe qui serait apparemment plus élevée. Si la masturbation non intellectuelle ne rend pas sourd, la masturbation intellectuelle, elle, peut rendre sourd. À force de se nourrir de discours creux à répétition et qui prennent des formes interchangeables tantôt qualifiées de journalistiques, tantôt de divertissantes, la surdité peut devenir une des réponses possibles pour se protéger face aux charges répétées du non-sens intellectuel. Je prends pour exemple à peu près n’importe quel téléjournal; comment est-ce possible pour un être humain normalement constitué de rester insensible au flot d’horreurs quotidien qui y est projeté? Ma réponse est qu’il développe une insensibilité, une surdité intellectuelle, qui le protège, en partie, contre les dommages psychologiques dus à une telle exposition. Le contenu du téléjournal serait-il de la masturbation intellectuelle? Si on se demande quelle est son utilité, la réponse est dans la question.
De la même façon que la génération d’aujourd’hui aura à se poser la question de son rapport à l’amour et à la sexualité à travers le filtre que lui impose la pornographie de plus en plus omniprésente, ma génération doit se poser la question de son rapport à l’information qui passe de plus en plus à travers les filtres de la désinformation et de l’opinion déguisée en information.
Références :
(1) Le bêtisier d’Olivier Niquet à la Soirée est (encore) jeune du 30 décembre 2015 à 48min 15sec.
(2) La masturbation réprimée