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15 mars 2015 0 h 07

LA SOLIDARITÉ POUR SE DÉVELOPPER

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Six mois plus tôt, fin septembre 1923, la formation de la coopérative, la troisième en Gaspésie après Cap-des-Rosiers et St-Maurice, avait permis aux pêcheurs de saumons des environs de Carleton de se libérer du joug des marchands de poissons du nord du Nouveau Brunswick qui imposaient des prix dérisoires aux pêcheurs gaspésiens. À ce chapitre, la saison de pêche de l’été 1923 avait été particulièrement compliquée en termes de relations entre ces acheteurs et les pêcheurs, d’ou cette idée qui a germé et qui a dû être longuement discutée sur les grèves, aux abords du quai ou dans les cabanes de pêcheurs sur les bancs et les caps de Maria.  Et si une coopérative était la solution?

Six mois plus tard, le 24 mars 1924, le bureau de direction de la coop que préside le pêcheur Louis Allard, jongle avec un problème pour lequel une solution doit être trouvée et mise en place rapidement. Comment gérer la production de saumons achetée des pêcheurs coopérants si les prix baissent sur le marché?  S’il y a plus d’offres que de demandes sur le marché?

Le bureau de direction de la coop est d’avis que la construction d’une conserverie représente la meilleure solution.  Mais, voilà, il en coûterait 4850 $ pour réaliser le projet, incluant 175 $ pour l’achat du terrain sur le Banc des Maisons, 600 $ pour les matériaux pour la construction de la conserverie et tout l’équipement tels la bouilloire et la sertisseuse pour sceller et stériliser les boîtes de conserve en fer blanc.  Mais le problème est que la coop n’a pas dans ses coffres les liquidités pour concrétiser le projet.  Et la caisse populaire de Maria, l’institution financière de la coop, exige bien sûr des garanties pour octroyer le prêt.  C’est alors que la solidarité entre en jeu.

À cette réunion du 24 mars 1924, les coopérants Louis Allard, Jos B. Alain, Eugène Morin, Philippe Alain, Louis Côte, Albert Bujold, Émile Landry, Jos J. Alain, Silfrid Côte, Clovis Bujold, Adelme Alain, Antonio Martin, Armand Boudreau, Louis Bujold et l’aumônier de la coop, Édouard-Pierre Chouinard, décident de s’engager personnellement et de signer des billets, pour des sommes individuelles allant de 50 $ à 500 $, garantis par les biens de chacun, afin d’obtenir de la caisse populaire de Maria, le financement pour assurer la construction de la conserverie.  Il s’agit d’une implication marquante à une époque où l’argent sonnant n’était pas monnaie courante au sein de ces familles de pêcheurs qui, pour la plupart, se faisaient agriculteurs pour joindre les deux bouts.

Dans le grand livre des procès-verbaux de la coop, on peut lire : « On voit ici cet esprit d’équipe, de solidarité, de coopération qui existe déjà en partant entre les membres dans le but de bâtir leur coopérative », dans les notes manuscrites de la réunion du 24 mars 1924.

Suite à la décision, les pêcheurs coopérants ont mis l’épaule à la roue pour construire la conserverie à coup de corvées.  L’inauguration et la bénédiction se sont faites en présence des coopérants mais également de Mgr François-Xavier Ross, évêque du nouveau diocèse de Gaspé et ardent promoteur du développement coopératif.  Dès l’année suivante, en 1925, dans le but de rentabiliser les équipements de la conserverie, la coop décide de mettre en conserve des légumes de la ferme, surtout que bon nombre de pêcheurs étaient aussi agriculteurs.  Ajoutons également que, trois ans plus tard, en décembre 1927, un nouvel élan de solidarité va sauver la coopérative alors que les administrateurs Louis Allard, Jos B Alain, Philippe Alain, Émile J. Landry et Eugène Morin vont conjointement remettre leurs biens personnels en garantie pour obtenir un prêt de 6000 $ de la Caisse populaire de Maria pour encore une fois éviter la faillite.

La conserverie de la Coopérative des pêcheurs de Carleton sera en fonction durant quelques années avant d’être remplacée, signe des temps, par un entrepôt frigorifique, dit le « frigidaire », permettant la congélation du poisson.

La coopérative de Carleton sera la seule parmi les coopératives gaspésiennes de pêcheurs à survivre à la crise économique de 1929.  Des générations de pêcheurs coopérants vont s’y impliquer pour en assurer la pérennité jusqu’à la faillite à la fin des années 1980, après six décennies de coopération et de solidarité.