Le salaire minimum à 15 dollars
La catastrophe
Dans un article du journaliste économique Gérald Fillion, publié le 17 octobre dernier sur le site de Radio-Canada, celui-ci met en lumière les propos de l’économiste Pierre Fortin de l’Université du Québec à Montréal, auteur d’une recherche sur la question. Dans ses conclusions citées par le journaliste, monsieur Fortin n’y va pas de main morte en parlant de « bombe atomique » si cette mesure devait s’appliquer. Selon l’économiste, il est question d’une perte de 100 000 emplois au Québec, due à l’alourdissement du « coût d’embauche », qui inciterait les « PME à offrir moins d’emplois et moins d’heures de travail aux petits salariés ». Monsieur Fortin exprime la crainte que les jeunes se démotivent à terminer leurs études secondaires, n’ayant plus l’ambition d’un meilleur salaire.
Dans le journal Les Affaires du 22 août 2017, sous la plume du blogueur Nicolas Duvernois, on mentionne le fait que « Métro a annoncé (…) que seulement pour l’Ontario, cette augmentation représentera pas loin de 50 millions de dollars de dépenses supplémentaires annuelles ». Il faut savoir qu’en Ontario, le processus d’augmentation progressive du salaire minimum jusqu’à 15 $ est enclenché. Pour Loblaw, ce serait 190 millions pour l’an prochain. Plus loin dans son texte, il affirme que « loin de connaître la réalité financière des géants du monde des affaires, l’immense majorité des petites entreprises, soit 90 % d’entre elles, vont voir leur croissance être sous la barre des 10 % entre 2016 et 2017 ». Bref, ce serait quelque chose comme la catastrophe.
Ceux qui s’opposent à cette augmentation du salaire minimum à 15$ comptent plutôt sur les transferts gouvernementaux (crédit TPS, prime au travail, allocation canadienne pour enfants, crédit pour la solidarité, soutien aux enfants…) pour compenser le manque à gagner au travail. Par une déclaration intitulée : « Le salaire minimum : un raccourci simpliste », dans La Force du Réseau, la Fédération des Chambres de Commerce du Québec ne peut pas être plus claire sur la question lorsqu’elle dit par la voix de son président, monsieur Stéphane Forget : « Ce sont les programmes sociaux, les crédits d’impôt et la fiscalité que les gouvernements doivent utiliser pour lutter contre la pauvreté. Pas le salaire minimum. »
Un autre son de cloche
Toutefois, certaines personnes, favorables à cette augmentation, critiquent ces transferts gouvernementaux, les qualifiant de subventions déguisées aux entreprises, leur permettant de sous-payer leurs employés.
De l’autre côté de l’argumentaire de l’économiste Pierre Fortin, du journal Les Affaires et des chambres de commerce du Québec, la chanson est fort différente. Dans un rapport de recherche daté d’octobre 2016, l’Institut de recherche et d’information socio-économique (IRIS), démontre que les « effets pervers des fortes hausses du salaire minimum sont bien souvent minimes par rapport à leurs effets bénéfiques, tant au Québec qu’au Canada. (Quels seraient les effets réels d’une hausse marquée du salaire minimum?Mathieu Dufour et Raphaël Langevin-IRIS-)
On donne l’exemple des années 2008 à 2010 où le Québec a haussé son salaire minimum de 13 %. Malgré cette hausse, selon l’Institut de recherche, le taux de fermeture des petites entreprises a diminué en 2010, pour se stabiliser à 13,5 % entre 2011 et 2014. On constate que « la hausse importante du salaire minimum (…) n’a pas produit d’effet significatif visible sur le nombre de fermetures de PME au Québec ». Notons cependant pour les fins de la discussion, que la hausse actuellement envisagée serait de 33 1/3 %.
Selon les chercheurs, le salaire minimum qui était de 10,75 $ en 2016 équivalait, en tenant compte de l’inflation, à celui de 1979. Cela étant, en considérant que le taux réel d’enrichissement des Québécois de 1981 à 2014 était de 48 % d’après leurs calculs, ils en concluent que les personnes travaillant au salaire minimum n’ont profité d’aucun enrichissement pendant tout ce temps et qu’un rehaussement à 15 dollars ne ferait que rééquilibrer les choses. On tient dans ce rapport à souligner que 26 % des salariés(es) au Québec, en majorité des femmes, gagnent moins de 15 dollars l’heure. L’IRIS estime à 15,10 $ en moyenne un salaire horaire viable pour le Québec.
Concernant le nombre d’emplois perdus dans l’hypothèse d’un salaire minimum à 15 dollars, les chercheurs Mathieu Dufour et Pierre Antoine Harvey de l’IRIS, « estiment entre 0,2 et 2 % les pertes d’emploi chez le million de travailleuses et travailleurs gagnant actuellement moins de 15 dollars ».
À ces chiffres, ajoutons ceux (ou celui, pour faire court) du coût de la pauvreté chez nous. De celui-là, les économistes préoccupés d’abord et avant tout de croissance à tout prix et de compétitivité ne semblent pas se préoccuper outre mesure. Cependant, Le Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion (CEPE, lieu d’observation et d’échange visant à fournir des informations fiables et rigoureuses en matière de pauvreté et d’exclusion sociale au Québec, rattaché au ministère du Travail) « évalue en effet à 17 milliards par an les coûts de la pauvreté pour le Québec seulement ». Cela principalement en coûts de santé.
Nous ne ferons pas ici bien entendu, l’analyse exhaustive de tous ces chiffres et énoncés. Certains chercheurs l’ont fait et il est possible d’accéder à ces recherches pour comprendre la complexité de la question si le cœur nous en dit.
Travailler et rester pauvre
Quoi qu’il en soit, nous sommes en droit de nous demander, dans le cadre du simple gros bon sens, s’il est moralement acceptable pour une société parmi les plus riches au monde que ses concitoyens pauvres ou moins bien nantis travaillent à temps plein et continuent quand même à demeurer pauvres, se trouvant ainsi à subventionner cette richesse par leurs bas salaires? Est-il acceptable que des entreprises richissimes telles McDonald’s, Walmart et autres pareilles s’enrichissent sur le dos de salariés(es) ne pouvant se nourrir, se vêtir, se loger convenablement avec leur salaire de misère? (Walmart installait sur ses comptoirs, l’hiver dernier, des paniers invitant les clients à y déposer des victuailles pour ses employés. Faut le faire.)
Un engagement social
Les personnes acceptent de travailler à des salaires dérisoires aux prix de leur sécurité et souvent de leur santé tout simplement parce qu’elles n’ont pas accès à mieux ou encore, et c’est le cas pour beaucoup d’entre elles, parce qu’elles aiment leur travail même s’il est très mal payé, qu’elles s’y réalisent, ayant pris parti pour la cause de ceux qu’elles sont employées à servir.
Il existe encore, par chez nous et ailleurs, des personnes engagées qui soignent, consolent, écoutent et réconfortent, tout cela pour un salaire minimum ne leur permettant pas de vivre dignement. Nous en retrouvons beaucoup de ces « missionnaires des temps modernes », particulièrement dans le domaine de la santé dans les groupes communautaires, les ressources intermédiaires d’hébergement (un dossier de presse fort éloquent a été publié sur ce dernier exemple, qui mérite un traitement en soi), qui tiennent à bout de bras ces ressources en acceptant de vivre pauvrement, elles et leur famille, dans l’indifférence quasi-totale de la population qui n’est pas informée et, plus scandaleusement, des gestionnaires et décideurs publics, très bien informés ceux-là, mais préoccupés d’abord et avant tout par une stricte gestion froide, rigoureuse et sans âme des budgets.
Une question de « lobby »
Dans ce dossier du salaire minimum, tout me semble être une question de « lobby » ou si l’on préfère, de pouvoir d’influence. Chez nous, celui des médecins est très fort et il a habituellement gain de cause ( les médias en ont parlé abondamment). Celui des grandes entreprises telle Bombardier l’est tout autant et il obtient lui aussi ce qu’il veut auprès des gouvernements. Celui des magnats de la finances et du gros capital, frère siamois du précédent, n’a pas de difficulté à faire accepter par nos législateurs le bien-fondé de ses cachettes à fortunes dans les paradis fiscaux ; on ne veut simplement pas faire fuir ces entreprises. C’est la position défendue par le ministre des Finances du Québec, Carlos Leitão (Le Devoir, 14 nov. 2017).
Mais celui des gagne-petit, des mal-foutus est bien fragile. Lui, Il n’est pas représenté aux rencontres du G20 (grand-messe annuelle du capitalisme mondialisé), pas plus qu’il n’a l’oreille du ministre du Travail, des Finances ou du Premier ministre. Ce groupe-là, il peine à se faire entendre même s’il s’exprime parfois dans la rue. Et il n’a toujours pas ce qu’il réclame depuis longtemps, c’est-à-dire un salaire décent.
La charité
Nous acceptons encore collectivement sans trop rechigner que la charité publique prenne en charge la misère du monde, même chez nous. C’est particulièrement le cas dans la période précédant Noël où les clochettes de la générosité bien intentionnée se font entendre année après année sans que nous en trouvions particulièrement à redire…
Vienne le temps où nous n’accepterons plus cette absurde réalité voulant que pour certaines personnes, travailler, même d’arrache-pied, ne permette pas de vivre dignement.
Cela me semble une simple affaire de bon sens et de savoir-vivre, dans une société qui se dit civilisée.