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27 avril 2018 11 h 03

L’école pour tous…?

Au rythme où vont les choses, nous sommes de plus en plus en droit de nous demander si l’école, avec toutes ses promesses, est aujourd’hui vraiment accessible à tous dans un esprit d’égalité des chances, sans qu’il y ait discrimination en regard du niveau économique des parents et, par voie de conséquence, de leur milieu de vie. Autrement dit, à la lumière des données cumulées depuis des années, une question s’impose à nous: serions-nous en train de glisser vers un système d’éducation où il y a des écoles pour les riches et d’autres pour les moins bien nantis?

Dans son dernier rapport sur l’état des besoins en éducation 2014-2016 présenté au ministre de l’Éducation Sébastien Proulx, le Conseil Supérieur de l’Éducation (CSE) relève de graves lacunes à notre système scolaire qui risquent de mettre sérieusement en péril les idéaux de départ.

D’entrée de jeu, le rapport souligne les grandes avancées de notre système d’éducation en ce qui à trait particulièrement à la démocratisation de l’accès à l’école aux jeunes, qui a permis de rehausser significativement  leur niveau d’instruction et de diplomation. Mais elle déplore son virage, depuis les années 1980, mettant davantage l’accent sur la compétition que sur la collaboration et ce, afin de l’adapter à l’esprit créé par la mondialisation des marchés.

Un « cercle vicieux »

Voici ce qu’en dit le Conseil : « La concurrence entre les  écoles (voire entre les élèves) et certaines dérives du système semblent alimenter un cercle vicieux qui mine la confiance de la population dans la classe ordinaire de l’école publique. »

Ainsi, pour obéir à l’idéologie néo-libérale où c’est le marché qui fait loi, les écoles sont devenues en compétition les unes contre les autres ainsi que les étudiants. En fait foi le fameux palmarès annuel des écoles de l’Institut Fraser (le fameux bulletin des écoles secondaires), qui a été présenté pendant plusieurs années par la revue L’Actualité.

Au Québec,  80,5 % des élèves qui fréquentent une école favorisée sont au privé tandis que 19,5 % seulement sont au public.  En plus, note le Conseil, 90,3 % des écoles privées sont de statut économique favorisé pour 9,7 % de niveau moyen. Cette réalité nous démontre bien le travail d’écrémage qui s’opère au profit des plus favorisés et  au détriment des moins bien nantis.

Ce qui est reproché ici au système actuel, c’est  de financer des écoles privées qui, en plus de se retrouver très majoritairement dans des milieux favorisés (c’est le constat du CSE), sélectionnent les meilleurs élèves en provenance majoritairement de ces mêmes milieux. De telle façon que très peu d’élèves en difficultés d’apprentissage s’y retrouvent.

Le privé sélectionne

Selon les chercheurs Philippe Hurteau et Anne-Marie Duclos de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), la part des jeunes en provenance de familles  à revenus modestes (moins de 50 000 dollars par année) « ne représente que 7 % de l’effectif inscrit au privé ». Ce qui leur fait dire  que ce n’est pas parce que les écoles privées sont meilleures qu’elles obtiennent de meilleurs résultats, mais bien parce qu’elles sélectionnent les meilleurs élèves.

La plus frappante démonstration de cette réalité, toujours selon les chercheurs,  est le fait que parmi les 20 premières positions du Bulletin des écoles secondaires du Québec, selon le type d’établissement, les écoles privées en occupent 16. Les quatre autres vont aux écoles avec des programmes particuliers (Art et musique, éducation internationale, multisport etc.). Ces programmes sont institués, selon le Conseil Supérieur de l’Éducation, pour faire concurrence aux écoles privées et par le fait même, contribuer à l’écrémage des élèves selon leurs performances scolaires. Ainsi, ce n’est pas l’établissement qui fait la différence, mais la sélection des élèves. Selon l’IRIS, c’est maintenant 35 % des élèves du secondaire qui fréquentent l’école privée ou avec programme particulier.

N’oublions pas qu’au Québec, le financement public des écoles privées est de 60 % (le plus haut taux au Canada) pour créer, selon le Conseil, des «  inégalités de traitement (…) au bénéfice des plus favorisés ».

« Dans un avis sur les projets particuliers au secondaire, le Conseil avait (…) souligné les risques de dérives associées au fait qu’ils sont généralement accessibles aux seuls élèves performants sur le plan scolaire… »

Jacquard et la richesse de la différence

À ce propos, le célèbre généticien Albert Jacquard, dans son livre Mon utopie, est assez clair : « Faut-il organiser des classes homogènes, les bons avec les bons, les en retard entre eux, ou préférer le mélange des performances? Dans notre société avide de réussite, c’est la première proposition qui risque d’être retenue; elle est pourtant mauvaise pour tous. Elle prive chacun de la richesse qu’aurait pu lui apporter le contact avec un camarade différent. Cela est vrai même lorsque cette différence est cataloguée comme constituant un handicap ».

Sur ce point,  le Conseil est très clair : « Dans un groupe mixte équilibré, les élèves performants maintiennent leurs bons résultats, et ceux qui éprouvent des difficultés obtiennent de meilleurs résultats au contact d’élèves qui apprennent facilement. ».

Il faut bien comprendre ici que la position du Conseil Supérieur de l’éducation, qui a comme mandat de conseiller le gouvernement en matière d’éducation, ne fait pas spécifiquement un réquisitoire contre l’école privée, mais bien un plaidoyer qui vise à faire « porter la mission de l’école sur la réussite de tous les élèves (c’est moi qui souligne) et sur la justice sociale ». Le Conseil est limpide sur la question : « Si on veut des solutions durables et cesser d’alimenter le cercle vicieux de la concurrence entre les établissements, il est essentiel de prendre toutes les mesures en vue de favoriser la mixité scolaire et sociale dans les classes ».

Que dit le ministre Proulx?

Devant cette réalité décrite par les chercheurs et surtout par le Conseil Supérieur de l’Éducation, que dit le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx?

Dans un petit livre très éclairant sur sa pensée, Un Québec libre est un Québec qui sait LIRE et ÉCRIRE, le ministre Proulx nous présente les valeurs auxquelles il croit. Il fait l’éloge, entre autres, du goût de l’effort, de l’importance pour un enseignant d’« allumer des feux » chez ses élèves, de l’importance de la culture générale, de l’importance de la lecture et d’une foule d’autres idées assez générales, y compris une école pour tous, avec lesquelles à peu près tout le monde peut être d’accord.

Cependant, sur le problème fondamental, systémique décrit par l’organisme chargé de l’éclairer, très peu de choses sont exprimées par le ministre, sauf ceci : « Pour certains cependant, nous devrions faire les choses bien différemment en raison des inégalités présentes dans notre système éducatif ou d’une ségrégation scolaire, le terme qui m’apparaît très mal choisi, et qui aurait pour effet de voir les élèves les plus vulnérables laissés de côté en raison du financement des écoles privées et des trop nombreux programmes particuliers à l’intérieur même de l’école publique. »

Et il poursuit :  « Leur constat est le suivant : l’école québécoise est inégalitaire. Je ne suis pas d’accord. » Et il conclut le débat en ces termes : « Les parents doivent choisir le meilleur pour leurs enfants (…). c’est la raison d’être du réseau des écoles privées » (p.69-70). Voilà, le verdict est tombé. Traduction libre : Il faut laisser aux parents plus fortunés le choix de donner à leurs enfants une meilleure éducation, non disponible partout dans le public parce que sous financé. (C’est moi qui traduis).

Certains observateurs de la chose politique ont dit que les critiques du ministre s’adressaient aux syndicats d’enseignants. Cela pourrait se comprendre. Mais ici, ce dont parle le ministre (sans nommer qui que ce soit), c’est  clairement de la lecture, du constat fait par le Conseil Supérieur de l’Éducation, organisme gouvernemental chargé de le conseiller en matière d’éducation.

Les membres du Conseil, au tout début du rapport, ont tenu à expliquer sur quelles fondations s’appuient ses avis : « La réflexion du CSE est le fruit de délibérations entre les membres de ses instances, lesquelles sont alimentées par des études documentaires, par l’audition d’experts et par  des consultations menées auprès d’acteurs de l’éducation. » (Rapport sur l’état et les besoins de l’éducation 2014-2016, Conseil Supérieur de l’Éducation). Et c’est à lui, le ministre, que ledit rapport fut transmis. Bref…

Ce qu’il faut comprendre ici, selon moi, c’est que peu importe les avis d’experts payés par les fonds publics pour conseiller nos élus, ce qui  importe à ces derniers, c’est de respecter d’abord l’idéologie qu’ils se sont engagés à servir, c’est-à-dire celle de la concurrence et du libre marché, celle du chacun pour soi ; même si elle dessert la population en laissant à la marge ceux et celles qui ne s’y adaptent pas. Ces politiciens n’ont que faire de conseils, aussi avisés soient-ils, car « eux, ils savent » mieux que personne ce qui est bon pour nous. C’est du moins ce que s’applique à nous dire le ministre Proulx dans son livre.