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Blogue citoyen

18 mars 2015 12 h 24

LES NAUFRAGÉS

En plus, 28 de ces 47 municipalités étaient classées dévitalisées par le MAMROT (ministère des Affaires municipales) en 2008. Forte de ces agréables statistiques, elle se targue aussi d’avoir une population parmi les moins éduquées du Québec – 25 % de notre population n’avait pas de diplôme en 2012 — et son âge moyen est parmi le plus vieux de la nation, soit 50 ans par rapport à un peu moins de 42 ans pour le Québec selon des données publiées en 2014 par l’ISQ.

De cette incomplète analyse, nous pourrions conclure que non seulement la Gaspésie est pauvre économiquement, mais qu’elle semble aussi l’être en général. Peu encline à attirer la jeunesse – solde migratoire négatif de 369 personnes en 2013-14 (ISQ, 2015) —, souvent source de dynamisme en région, elle ne semble plus posséder assez d’emplois stables assurant à ces jeunes un avenir sur notre territoire.

Cependant, il y a bien ça et là quelques initiatives ponctuelles, du tourisme ou de l’alimentaire par exemple, qui la font rayonner. Ces dernières ont d’ailleurs une portée surprenante par rapport à leurs capacités réelles à structurer l’espace économique. C’est dire à quel point, en Gaspésie, avec peu on sait faire beaucoup. Mais est-ce là un réflexe qui nous sert bien?

La Gaspésie n’est pourtant pas pauvre de ses ressources naturelles. On s’obstine encore à nous confirmer son potentiel pétrolier, éolien, minier. Il doit bien s’y trouver quelque chose puisqu’on y investit des millions pour le démontrer.

Paradoxalement, malgré sa situation géographique, on ne parle presque plus de son potentiel maritime ou encore forestier et agricole. Elle en a déjà eu des emplois dans ces domaines, mais elle en perd constamment, 1 500 entre 2007 et 2014 selon Desjardins, et n’en possède que trop peu pour assurer une réelle vitalité économique. Son taux de chômage étant de 17,5 % en février 2015 selon l’ISQ. Qu’en est-il?

Serait-il possible que la Gaspésie, malgré d’imposantes ressources naturelles — représentant les principaux vecteurs de stabilisation et de diversité économique — n’en contrôle pas le développement? Serait-il possible que l’on ait créé depuis 200 ans des emplois en Gaspésie reliés à l’extraction de ses ressources primaires, mais qu’aujourd’hui, les ressources se font plus rares, et les emplois aussi?

Serait-il possible que la population gaspésienne n’aie jamais eu le contrôle ni sur le rythme d’exploitation, ni sur les façons de faire, ni sur la richesse générée par cette exploitation.

La Gaspésie a pourtant généré des centaines de milliards de dollars en 200 ans, la Gaspésie, mais force est d’admettre qu’elle n’a jamais eu accès à cet argent.

Ne maîtrisant pas son domaine économique, elle se trouve encore aujourd’hui à la remorque d’initiatives de développement orchestrées de l’extérieur de ses terres.

La résultante de cette économie non planifiée, abandonnée aux seules forces du marché, d’une population au service du profit d’autrui, d’une économie d’extraction de ressources primaires sans valeur ajoutée (2e et 3e transformation), d’une incapacité à engranger la richesse financière créer par sa population… la résultante, c’est une population de manœuvres ayant une faible scolarisation, dépendante des aléas du marché des ressources primaires et de l’État pour survivre. Une population n’ayant pas planifié son développement économique qui n’a plus les moyens, aujourd’hui de subvenir à ses propres besoins. Car, pendant que l’on fêtait loin de la Gaspésie avec les milliards qu’elle générait, ici, on avait des emplois. La résultante, c’est une région dépossédée de ses moyens, dépendante de l’extérieur pour assurer sa subsistance. Des ressources naturelles pour les gens d’ici?

Aujourd’hui, notre économie n’a pas les moyens de ses ambitions. Nos ressources naturelles renouvelables sont en crise; alors on se tourne vers nos ressources non renouvelables, tel un naufragé s’accrochant au dernier morceau de bois flottant d’un navire coulant dans la tempête, pour réussir à survivre. Or, le pétrole, l’alumine et le calcaire sont tous non renouvelables.

Entendre une partie importante de notre élite économique et politique régionale applaudir lorsque l’on nous propose de développer des ressources non renouvelables sous les mêmes prérogatives que celles ayant précipité notre navire en pleine tempête nous démontrent à quel point nos capitaines sont ivres, ou aveugles, ou les deux.

Ils ont en tout cas abdiqué face à leurs responsabilités politiques puisqu’au lieu de s’informer correctement sur l’état du bateau, la météo, lire avec justesse les cartes marines et le ciel pour comprendre la destinée du navire, ils semblent s’enfermer dans leurs quartiers, espérant que la tempête ne fera pas trop mal.

Entendre nos élites locales se faire les complices et les entremetteurs d’un modèle démobilisant et plombant notre avenir relève ou bien du cauchemar, ou bien d’un très mauvais film.

Car elle fera mal la tempête, et encore plus cette fois-ci, puisqu’une fois épuisées, ces ressources non renouvelables n’en créeront définitivement plus, des emplois; et la richesse financière assurant la transition économique et la gestion des changements climatiques sera encore une fois dilapidée au profit d’autrui, perte des moyens de transport compris.

Ce mode de navigation aveugle et mortifère, ce modèle économique, plutôt que de mettre l’emphase sur nos capacités endogènes à planifier notre devenir, renvoie directement aux circonstances du colonialisme économique dont la résultante principale cimente notre dépendance et fragilise notre démocratie et notre économie. C’est au bris de contrat social auquel on nous convie.

Ils n’ont peut-être pas toutes les compétences pour être de bons capitaines, soit. Mais l’intervention politique commande toujours une réflexion approfondie et une analyse détaillée de l’ensemble des éléments contenus dans les projets si l’on veut les transformer en réalité convergeant vers le bien-être collectif actuel et sur le temps très long.

Considérer la seule création d’emplois en analyse économique relève de l’imposture démocratique et désolidarise les Gaspésiens de l’avenir de leurs enfants.

Comme quoi, la richesse première d’une population sera toujours et avant tout son niveau d’éducation.