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12 janvier 2017 10 h 19

Les Temps modernes

Aujourd’hui cependant, on n’érige pour ainsi dire plus de cathédrales ni d’églises; au contraire, on les démolit ou bien, on les vend à des promoteurs (immobiliers ou autres) faute de fidèles pour les occuper. Mais on construit  pour la plus grande gloire du libre marché, de l’argent et du  sport qui en est un générateur majeur, des stades sportifs qui sont devenus  les nouveaux temples modernes.

Bien sûr, des stades immenses existaient dans l’Antiquité et des églises subsistent encore aujourd’hui, mais une tendance forte semble se dessiner, ce qui porte à réflexion.

Ce ne sont plus les dieux grecs ni les saints de la chrétienté  qui donnent leur nom à ces nouveaux temples, mais bien ceux du capitalisme débridé, déréglementé, que nous vivons actuellement.

À prix fort, c’est Pepsi, Air Canada, Bell et autres dieux de l’économie et de la finance qui verront leur nom au sommet de ces temples érigés à la gloire de la performance, du profit toujours plus grand et vite fait, bref, du rêve d’un monde illusoire bâti en grande partie à même les inégalités sociales, l’exploitation des travailleurs, la mise en péril de l’environnement et j’en passe. Pensons plus particulièrement aux installations des Jeux olympiques d’hiver  2014 de Sotchi, construites par des travailleurs dont les conditions de travail, d’après certains commentateurs, s’apparentaient ni plus ni moins  à des travaux forcés : « Journées de travail à rallonge, rémunération incertaine, voire chantage au visa… » d’après une enquête de Human Rights Watch rapportée dans le journal Le Figaro (30 oct.2013);  celles du Mundial de  soccer 2022 au Qatar où, selon plusieurs reportages, des milliers d’ouvriers seraient morts des suites de conditions de travail inhumaines. Le Figaro toujours rapporte des « accusations d’esclavagisme sur les chantiers… ». Cela, sans parler des tout récents Jeux de Rio réalisés sur fond de crise politique, économique et sociale.

Aujourd’hui, Dieu et la religion (du moins en Occident) ont perdu leurs lettres de noblesse. Ils ont été remplacés par l’argent, la finance, les marchés, l’économie, bref, autant de dénominations qui ont su remplacer celles qui, dans les différentes cultures, ont contribué à nommer le divin, l’absolu.

On ne fréquente plus les églises, mais les grands espaces (centres commerciaux, stades, etc.) où l’argent est roi et maître. On admire (même si on se permet de les critiquer pour la forme) les grands chefs d’entreprises pour leur fortune, leur pouvoir; et on ose à peine dénoncer du bout des lèvres les salaires et bonus scandaleux que plusieurs empochent et ce, au grand mépris des salariés qui voient plus souvent qu’autrement leurs conditions de travail et leur pouvoir d’achat stagner ou s’effriter.

Comme il n’était pas permis, jadis, de douter de la toute-puissance de Dieu, il ne l’est pas plus maintenant de douter de la toute-puissance de l’argent et de la finance. L’exemple le plus actuel chez nous  étant cet investissement additionnel de 125 millions de dollars de la Caisse de dépôt et placement du Québec dans le projet de la cimenterie de Port-Daniel, en dépassement budgétaire de 450 millions de dollars sur une prévision d’un milliard. Comme si ce saupoudrage providentiel de millions allait, par miracle, faire de cette aventure politico-économique un projet viable. On dit croire encore, à la Caisse, à la rentabilité du projet. Je veux bien, le propre de la foi étant d’abord le doute. Bref…

Ainsi, dans cette nouvelle Église du libre marché, ses grands chefs d’entreprises en sont en quelque sorte les cardinaux. Wall Street ayant pris la place du Vatican, la présidente de la Réserve fédérale américaine, madame Janet Yellen, est quant à elle la papesse qui, avec les agences de notation, sorte de curie romaine, décide des nouveaux dogmes qui dicteront la marche à suivre dans le sacro-saint libéralisme mercantile.

Et le soir, au lieu du chapelet en famille du  bon vieux temps, les petits vicaires de la nouvelle financière et économique viennent nous réciter, dans les médias, les hauts et les bas des différentes places boursières et milieux d’affaires du monde, lieux saints par excellence de l’économie de marché globalisée.

Ainsi va la nouvelle religion des temps modernes, où le libéralisme économique est présenté au jour le jour dans nos médias avec une absence quasi totale d’esprit critique, comme l’unique voie possible à suivre, allant de soi, par une presse complaisante et complice, s’en faisant même le porte-voix. (N’oublions pas que ce sont les grands prêtres de l’économie qui en sont presque totalement les propriétaires.) On répète à n’en plus finir des concepts que très peu de gens comprennent de sorte que tout cela, telles des prières apprises par cœur, s’incrustent dans les mentalités comme si elles faisaient partie de la nature même des choses. (Répétez après moi, dit le célébrant : oui, j’y crois…)

Dans un livre fort intéressant (Les Passagers Clandestins, métaphores et trompe-l’œil de l’économie), l’économiste Ianik Marcil illustre bien cette réalité :  « Jusqu’à la crise de 2008, il n’y a eu à peu près aucune place pour un discours critique du tout-marché, du libre-échange, du laisser-faire et de la privatisation des services publics. Tout l’espace public est occupé par ce discours hégémonique, présenté dans les médias par la classe politique et par les dirigeants économiques comme étant le seul valide, souhaitable et vrai ». Dans ce contexte, il nous apparaît presque normal que les plus riches d’entre tous dans nos sociétés mondialisées aient, en 2016 seulement, fait engraisser leur veau d’or de  237 milliards de dollars additionnels,  fortune qui atteignait alors les quelque 4 400 milliards (Le Devoir 29 déc. 2016), accroissant d’autant plus l’écart entre les riches et les moins bien nantis.

Dans des temps désormais révolus, nous vivions, particulièrement chez nous, la fusion de l’Église et de l’État. Maintenant plus que jamais, nous sommes à celle de la Finance et de l’État. Dans un article paru dans la revue Relations (décembre 2016), Claude Vaillancourt, président d’ATTAC Québec, souligne avec pertinence cette réalité : « Avec ou sans l’appui de clercs, la classe financière et la classe politique ont tissé des liens si étroits et si profonds que leurs intérêts communs sont devenus inter-reliés, au point où ils n’ont nul besoin de comploter pour prendre des décisions les favorisant mutuellement ».

Au cœur de cette religion, nouvel opium, le divertissement. La technologie, dont l’évolution est étourdissante, particulièrement dans le domaine des communications, en est devenue  l’instrument par excellence.

L’angoisse de vivre, le malaise face à l’incertain, au culte du relatif et du court terme, face à la perte d’absolu; tout cela pousse l’humain d’aujourd’hui dans un mouvement tourbillonnant, étourdissant, dont les grandes chaines de télécommunication tirent profit à outrance. Tout devient divertissement, distraction. Même l’information s’est convertie en spectacle quotidien.
L’argent étant devenu le nouvel absolu, la crainte qui habite tous ses clercs, surtout ceux du haut clergé des gestionnaires et propriétaires des grandes institutions financières, est celle de la récession. Il ne faut surtout pas que le bon peuple se mette à consommer intelligemment, à économiser pour le futur. Il doit dépenser, quitte à s’endetter outre mesure. (La crise financière de 2008 aux États-Unis en est un exemple saisissant.)

De toute façon, la plupart des biens de consommation ne sont plus faits pour durer (et leur utilité est souvent contestable), mais jetables après un court usage. Croissance oblige.

Souvent, dans le même journal télévisé, on présente des catastrophes environnementales sur un ton propre à alarmer la population qui se demande ce qu’il adviendra de l’humanité si nous ne changeons pas notre mode de vie devenu une menace pour tous; et sur un ton tout aussi inquiet, démonstration d’experts à l’appui, on enchaîne avec la nouvelle effrayante, inquiétante, de la baisse ou de la stagnation de la fameuse croissance économique dont le dogme voudrait  qu’elle soit infinie, laquelle est pourtant une des principales causes des dommages environnementaux et sociaux qui nous amènent droit au mur.

Bref, on n’en est pas à une contradiction près dans cet aveuglement collectif.

Les femmes et hommes politiques qui nous parlent de partage des richesses, qui s’indignent devant toutes ces aberrations et qui nous disent simplement la vérité récoltent  6 à 10 % des intentions de vote. Ceux qui nous promettent la croissance sans fin et le mur au bout du tunnel se partagent le pouvoir.

Ainsi, nous sommes un peu  comme ce veilleur endormi  dans la chanson  Faut que j’me réveille de Gilles Vigneault :
Dans tout québécois
Un homme sommeille
Il prétend qu’il veille
Sans lever le doigt
Moi j’prétends qu’il dort
Faut que j’le réveille
Avant d’m’endormir

Souhaitons-nous une Bonne Année.