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12 avril 2015 12 h 01

L’ESPOIR DE VIVRE DES JOURS MEILLEURS: DE L’IRLANDE À LA GASPÉSIE

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De nos jours, les exemples de migrations collectives sont nombreux, qu’ils soient motivés par les écarts de richesse de plus en plus marquants qui divisent les continents ou par les systèmes politiques rigides qui ne rejoignent plus les aspirations de tous. À ce titre, les nouvelles télévisées et les réseaux sociaux ont mille fois diffusé les images de ces bateaux qui dérivent sur la Méditerranée avec à leur bord des Maghrébins qui veulent tenter leur chance en Europe. Ou de ces Mexicains qui tentent de franchir le méga mur de 615 km entre le Mexique et la Californie pour entrer aux États-Unis et y refaire leur vie. Et nous ne parlerons pas de ces « boat people » qui sont entrés dans l’histoire à la fin du siècle dernier.

Des événements similaires sont aussi inscrits dans l’histoire gaspésienne. Était-ce cet espoir de jours meilleurs qui animait les hommes, femmes et enfants rassemblés sur les quais de Sligo, dans le nord-ouest de l’Irlande, un jour de mars 1847, avant de s’embarquer sur le Carrick? Ce jour-là, ils étaient 180 immigrants de tout âge à vouloir quitter leur Irlande natale pour fuir les famines dévastatrices et tenter l’aventure en terre d’Amérique.

Et c’est ainsi que le Carrick, un voilier à deux mâts de 26,5 mètres (87 pieds) de longueur, a quitté Sligo pour une traversée hivernale de l’Atlantique. Un périple de plusieurs semaines avec des conditions de navigation marquées par le froid, les vents, la houle, le roulis et le tangage persistants du voilier, sans oublier les conditions de vie imposée par l’entassement des gens, soumis à une nourriture rationnée, à l’insalubrité, aux odeurs nauséabondes, voire aux maladies.  Des conditions particulièrement difficiles.

Et puis à la fin avril, enfin, le golfe St-Laurent et les terres en vues. Mais comble de malheur, une tempête déchaînée secoue la côte gaspésienne alors que le voilier s’approche, balloté par une mer en furie, ignorant probablement sa position près de la côte. Sans aide à la navigation, pour le prévenir de la présence de récifs, le navire vient s’éventrer sur les récifs près de Cap-des-Rosiers aux petites heures du matin le 28 avril 1847, il y aura 168 ans à la fin d’avril. Le lieu du naufrage se trouve non loin de l’endroit où, quelque onze ans plus tard, en 1858, les autorités gouvernementales construiront un imposant phare pour rendre la navigation plus sécuritaire à l’extrémité de la péninsule gaspésienne.

Parmi les 180 immigrants irlandais sur le bateau, 132 perdent la vie dans le naufrage et 48 survivent. Dans les jours suivants, les marées rejettent des dizaines de cadavres sur la grève de Cap-des-Rosiers. Près de 90 d’entre eux seront inhumés dans une fosse commune au cimetière de la paroisse St-Alban-de-Cap-des-Rosiers. .

Plusieurs parmi les survivants décident de s’établir dans les communautés avoisinantes, telles Cap-des-Rosiers, l’Anse-au-Griffon ou Rivière-au-Renard. Parmi eux, le couple formé de Patrick Kavanagh et Sarah McDonald s’installe à Cap-des-Rosiers avec leur fils de 12 ans, ayant perdu leurs cinq filles dans le naufrage. Le couple donnera naissance à quatre enfants en terre gaspésienne. D’ailleurs, les descendants de cette famille Kavanagh vivent toujours en Gaspésie.

En 1900, un monument a été érigé à Cap-des-Rosiers pour commémorer le naufrage et la mémoire de ces naufragés irlandais, grâce à l’initiative de la fabrique de la paroisse St-Patrick de Montréal. Le 24 septembre 1968, la cloche du voilier a été retrouvée sur la grève à Blanc Sablon, sur la Basse- Côte-Nord, et a été ramenée à Cap-des-Rosiers.

Le naufrage du Carrick s’inscrit parmi les événements qui ont lié le Québec et l’Irlande au milieu du 19e siècle. À cette époque, pas moins de 100 000 Irlandais ont quitté leur patrie pour venir s’installer au Québec. Au hasard de ces traversées souvent hasardeuses, l’histoire recense pas moins de 5000 décès en mer, sans compter les 5400 qui mourront durant la quarantaine à Grosse-Île, l’île dans la région de Montmagny où devaient transiter tous les immigrants avant d’arriver à la destination finale de Québec.

De 1845 à 1852, l’Irlande a connu des années de famine à cause de la destruction presque complète des cultures de pommes de terre, la nourriture traditionnelle de base des Irlandais. En moins de 10 ans, cette tragédie engendrera la mort d’un million de personnes et amènera près de 2 millions d’Irlandais, soit le quart de sa population, à fuir leur pays. Certainement avec l’espoir de vivre des jours meilleurs.