LETTRE À PHILOU
Je t’avertis tout de suite: je n’ai clairement pas l’intention de te vouvoyer dans cette lettre. Je réserve ce traitement quasi-royal à mes supérieurs, aux personnes âgées et aux gens que je respecte. Comme tu n’entres définitivement dans aucune de ces catégories, (et, tu l’as déjà deviné, petit futé, surtout pas de la dernière) je vais te tutoyer de tous les ‘’tu’’ que je pourrai écrire et énumérer. S’il existait un stade plus bas que le ‘’tu’’, t’en fais pas que je m’en donnerais à coeur joie. En fait, à mes yeux, ton nom est désormais Phillipe Tu Couillard.
Phil, Phil, Phil.
Je ne t’écris pas pour te féliciter de ta bonne gouvernance, de tes décisions éclairées ou pour te dire que je rêve à toi le soir quand je m’abrille avec ma couverte à l’effigie du PLQ. Quand tu as été élu majoritaire, j’ai eu une larme à l’oeil. Je te le jure. J’ai eu peur que les gens disent que je virais su’ l’top avec mes convictions ou que je prenais trop la politique à coeur (ou bien que j’avais pris de la drogue). Alors j’ai fait une joke plate et j’ai ravalé ma rage comme on cale un shooter. Avoir su ce qui s’en viendrait à peine 7 mois après ton élection, je n’aurais même pas honte de m’étouffer en sanglots, de me rouler à terre avec un style ‘’bacon’’ comme le font si bien les enfants et à morver ma peine sur la manche de mon plus beau manteau.
Aujourd’hui, 9 décembre 2014, je t’écris pour te dire que je te souhaite de tout mon coeur de renverser ta meilleure bouteille de vin sur ta nappe blanche de Noël, un char qui ne part pas en pleine tempête de neige pis pas à Québec, Phili, au Yukon, un verre de contact piétiné sur le dancefloor d’un party de limbo et une rage de dents le soir du réveillon. Tu trouves que je suis tranquille, hein? Tu as raison. C’est que le monde réserve un sort juridique aux gens qui font des menaces sérieuses.
Mais ne nous écartons pas du sujet. Revenons-en au petit moton dans le gorgotton qui me vient lorsque je pense à toi. Pour t’expliquer pourquoi je t’aime si peu, je vais te raconter une histoire. Peut-être qu’après ça, tu comprendras. Au mieux, je me serai défoulée et je n’aurai pas besoin de prendre mon char et de conduire de Carleton-sur-Mer à Maria juste pour décompresser. Ben oui, je le sais que je tue la planète à chaque fois que je fais ça. Mais ça m’aide très souvent à ne pas commettre de meurtres. Tu vérifieras mes antécédents criminels; tu vas voir que ça a très bien marché jusqu’à présent.
Donc, je vais te raconter une gentille histoire. La mienne. Tu vas voir, règle générale, c’est aussi facile à suivre qu’un conte pour enfants. Il n’y a pas de prince charmant ni de petits nains dans mon récit. Mais il y a un gros méchant loup qui souffle sur ma maison et c’est mon premier ministre.
Un premier septembre, j’ai laissé mes amis et ma famille derrière ‘’pour un an’’. Le temps de me remettre d’une mauvaise passe: on aurait dit que la parade de Bonhomme avait valsé dans ma face. Je peux maintenant affirmer sans aucune gêne que j’avais le coeur en restants de table. Je me disais qu’en Gaspésie, les gens ont un talent particulier pour le bonheur. Genre, ils complottent ensemble chaque matin dans le dos du malheur. Et de toute façon, c’est clairement plus poétique de pleurer au bord de la mer que dans un wagon de métro de la STM.
Je suis donc allée à la rencontre de mon ‘’âme soeur de région’’, la Gaspésie. J’avais ressenti à plusieurs reprises l’appel avec un A majuscule, le coup de foudre avec le petit cupidon tout nu pis toute. Avec une grande perplexité, j’ai dû assumer que j’aimais une région administrative comme on aime sa famille, ses amis ou un bébé chat Cotonnelle. Un amour sans beaucoup ni vraiment, sans faire peur ni semblant, sans condition ni règle (Copyright Nicholas Ciccone).
Je suis donc arrivée à Carleton-sur-Mer en 2011, sans assurance ni certitude, sans complexe ni gêne (Copyright….). À 24 ans, j’ai quitté Montréal pour partir ‘’au bout du monde’’. Mes amis et ma famille ont compris mon choix (et ceux qui me trouvaient juste folle n’ont rien dit pour me décourager, en passant, merci à ces gens-là). Ils avaient compris, je crois, ce que je ne voulais même pas m’admettre à moi-même: le séjour serait bien plus long qu’un an. Trois ans plus tard, je suis toujours ici (et j’ai compris que finalement, le séjour serait pas mal plus long qu’un an). Je me suis enfargée, comme on dit. Ça arrive, de se pogner les pieds dans le tapis d’une région.
Dans ma tête, on dirait que je suis arrivée il y a deux semaines et d’autres fois, que j’ai toujours vécu ici, que je suis déjà un vieux meuble dans le salon de la Gaspésie. Au cours de ces trois années, je me suis impliquée dans toutes sortes de choses, j’ai rencontré toutes sortes de personnes, j’ai vécu toutes sortes d’expériences. La Gaspésie que tu t’acharnes à détruire a mis sur mon chemin des gens et des moments incroyables. Elle m’a vu rire et pleurer, foncer et douter… mais surtout grandir.
On ne devient pas Gaspésien, Philou; on l’est où on l’est pas. Moi, je ne le suis pas. Je suis toutefois devenue une Gaspésienne d’adoption exemplaire. Du moins, je le crois et je l’espère. C’est comme un prix de consolation quand t’es née à Shawinigan-Sud mais que ça t’aurait ben tenté, toi, de voir le jour à Maria comme tout le monde de Carleton.
- Parfois, j’ai l’accent et je ne suis pas tout à fait sûre si je fais exprès ou pas.
- Au lieu de bougonner, je souris quand un commerce est fermé le dimanche parce qu’à quelque part, un père de famille joue avec ses enfants.
- Ça me fait maintenant plaisir de prendre au moins une heure pour aller acheter du lait à l’épicerie parce que les rangées recellent de gens à qui jaser. Une fois, quand je suis sortie du Métro, ma crème glacée était en sauce.
- Des fois, je pogne des pouceux et ce sont de vieilles grands-mères qui vont jouer au bingo.
- L’été, je fais des blagues aux touristes et je leur donne des indications routières (genre: continuez tout droit sur la 132 jusqu’à la quatrième lumière). C’est plus encourageant que leur dire de rouler 50 minutes vers l’est pour aboutir à Paspébiac.
- Je sacre pas tant que ça quand les touristes roulent à 42 dans une zone de 90 parce qu’ils sont occupés à regarder le paysage bien callés dans le siège de leur wénébago.
- J’ai appris à ne plus trouver ça bizarre de me faire demander à tout bout d’champ si j’suis une petite Langlois de Port-Daniel.
- Je me scandalise beaucoup moins des bucks écartés sur le hood des trucks l’automne et des gars qui vont battre leur pick-up dans les chemins de bouette à Pâques. D’ailleurs, maintenant, la phrase ‘’Tâtupokoff?” sonne vraiment comme une douce mélodie à mes oreilles.
Tu te dis probablement, mon Philou Félin, que ma vie est un éden gaspésien où je gambade tous les jours en riant dans les prés. Oui… pis non. Tu dois comprendre, mon petit Phillipo, que pour vivre pleinement cette passion, j’ai fait comme plusieurs certains sacrifices. Des sacrifices de proximité, celle des grands centres mais surtout celle des gens que j’aime qui eux, y sont restés. On a beau vouloir déménager, on ne peut pas prendre tous ceux qu’on aime pis les embarquer de force dans une vane pour qu’ils nous suivent. Je le sais, parce que j’y ai déjà songé et qu’on m’a fortement déconseillé d’essayer.
Tu n’étais pas là quand j’ai dû refuser d’assister à des mariages, quand j’ai manqué à peu près tous les enterrements de vie de fille, les showers de bébé, quelques funérailles et la majorité des événements importants dans la vie de mes amis. Ni quand ma filleule de 2 ans et des poussières m’a appelée ‘’madame’’, ni quand elle m’a pointée en demandant ‘’C’est qui elle?’’ et que j’ai fondu en larmes. Ni quand l’une des personnes que j’aime le plus au monde s’est tapée un petit malaise cardiaque tandis qu’à 800 KM de là, je croquais tranquillement dans un hamburger. Ni quand ma mère m’a demandée les yeux dans l’eau si je pensais revenir bientôt ‘’à la maison’’ et que j’ai dû lui répondre la vérité: non.
Tu n’étais pas là, mais tu comprendras que si je suis encore en Gaspésie malgré tout ça, c’est que je n’imagine ma vie nulle part ailleurs. C’est que pour moi, mon quotidien est ici, que ma maison y est aussi, que quelque chose d’inexplicable et d’inébranlable m’y rattache.
Ta dernière politique, ce pacte fiscal débile, m’a indignée, fâchée, découragée, insultée. Insultée, oui. Je crois que c’est le mot le plus juste. Tu m’as insultée, mon petit Philippin, parce que c’est comme si tu me disais que j’avais fait un mauvais choix. Que ma vie en région vaut moins cher dans la balance que celle que je menais en ville. Que tu peux, avec tes apôtres libéraux, décider d’où je dois filer le parfait bonheur.
Ce que j’entends dans tes propos et à travers tes politiques, c’est que je n’ai pas droit à une région prospère, que je n’ai pas droit aux mêmes chances que mes amis urbains. À force de couper partout et de mettre à mal notre développement, tu sais bien que des gens vont finir par écouter tes judicieux conseils, par s’en aller en ville. On dirait que tu n’attends que ça. Ton souhait finira peut-être, malheureusement, par être exaucé. Si des gens quittent, j’espère qu’ils seront vus davantage comme des dommages collatéraux que comme des déserteurs.
Je travaille dans le développement de ma région, je la rêve, je la façonne. Je l’aime comme au premier jour. Récemment, tu l’as l’amputée de ses outils alors qu’on était bien loin de la gangrène. Philippinet, t’as pris ma Gaspésie à bout de bras pis tu l’as shakée ben fort jusqu’à ce qu’elle en perde sa CRÉ, ses CLD. Jusqu’à ce que des jobs tombent à terre, jusqu’à ce que tout ce qui s’est bâti à grands coups d’années mange une mornifle.
Je t’en veux, si tu savais! Je t’en veux pour mes amis qui font un travail exemplaire et qui vont quand même perdre leur job. Pour chaque projet qui risque de tomber à l’eau. Pour les annonces que tu n’as pas encore faites mais qui ne sauraient tarder. Pour l’image d’un coin reculé, dépouillé et pauvre que tu donnes de la Gaspésie et des autres régions du Québec. Comme si on avait vraiment besoin de ça… Pour le mal que tu fais à la région que j’aime et à ceux qui transpirent la fierté d’y être nés, restés, déménagés, revenus. Pour ces gens-là qui sont devenus ma deuxième famille.
Philippounet, comme beaucoup de gens autour de moi, j’ai pris la décision de faire de la Gaspésie ma propre métropole, ma plaque tournante, mon univers. Je veux que tu saches que ce n’est surtout pas le pire premier ministre que l’on a eu dans l’histoire du Québec qui va me forcer à la quitter. Je veux que tu saches aussi que je n’aurais aucun problème à t’écrire une lettre d’insultes chaque fois que tu me tricotteras des frustrations. Mais pour tes prochaines manigances et tes prochains coups bas, je vais m’abstenir, Phil. Après tout, ‘’c’est fête’’ bientôt.
Je vais aller fêter Noël avec ma famille, qui m’attend les bras grands ouverts en ville. Celle qui me manque si fort tous les jours. Je vais aller faire le plein d’amour et recharger mes batteries. Mais je vais revenir, après les vacances. L’année prochaine.
Et l’année prochaine, je vais consacrer mes efforts et mes énergies dans la recherche de solutions, dans la mobilisation. Je vais continuer d’aimer ma région deux fois plus fort pour compenser tes idioties, je vais aller deux fois mieux pour encaisser tes mauvaises nouvelles. Je vais me retrousser les manches. Si j’en ai pas, je vais m’en inventer. Juste pour la forme. Ce sera ça, 2015: se retrousser toutes les manches, existantes et imaginaires. Ensemble.
Parce qu’après trois ans de bonheur, c’est le moins que je puisse faire pour ma région. Je vais me joindre au mouvement et je vais comploter tous les matins dans le dos du malheur. Contre toi et ton gouvernement, Philippe.
Roxanne Langlois, adoptée par Carleton-sur-Mer en septembre 2011.