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29 janvier 2018 15 h 52

Madame Mimie

C’était un après-midi d’hiver. Une dame entra dans mon bureau de travailleur social afin de demander de l’aide car son fils, souffrant d’une maladie mentale, était dans un état de crise qui réclamait une intervention de toute urgence. C’est ainsi que je fis la connaissance de madame Mimie. À cette époque, il y a un peu plus de trente ans, dans le territoire de la Baie-des-Chaleurs, très peu de services et de support étaient donnés aux personnes souffrant d’une maladie mentale ainsi qu’à leurs proches. Il fallait s’en remettre à son médecin de famille ou, si la situation devenait intenable, se référer aux spécialistes de Gaspé ou Mont-Joli, à plus de 200 kilomètres de distance, pour obtenir un peu de secours.

Afin d’obtenir ces secours nécessaires pour son fils, madame Mimie eut à de nombreuses reprises à parcourir ces distances pour le faire soigner. Cependant, après des séjours plus ou moins prolongés en milieu psychiatrique, il revenait toujours à la maison sans suivi, ni ressource d’hébergement capable de l’accueillir dans la communauté ailleurs que chez sa mère.

Ainsi était la réalité de ces personnes à cette époque.

En première ligne pour l’Oasis

C’est dans le contexte de l’implantation dans la Baie- des-Chaleurs d’un programme de suivi communautaire pour les personnes aux prises avec des troubles mentaux que j’ai eu à travailler plus étroitement avec madame Mimie. C’est avec beaucoup de soulagement qu’elle accueillit ce programme nouvellement en implantation. Rapidement, elle s’associa à l’équipe d’intervenants psycho-sociaux et médicaux du Centre hospitalier Baie-des-Chaleurs afin de doter nos communautés d’une ressource d’hébergement capable d’accueillir des personnes comme son fils.

Ainsi, avec elle, un groupe de travail comprenant parents, intervenants en santé mentale et bénéficiaires de services en psychiatrie s’est mis à la tâche. De la conception du projet à sa réalisation complète, madame Mimie fut toujours en première ligne pour convaincre les autorités d’alors de l’urgente nécessité de cette ressource d’hébergement dans notre milieu.

Beaucoup de rencontres ont eu lieu sur le plan local avec les autorités de l’hôpital de Maria et plus largement au niveau régional avec celles de la Régie régionale à Gaspé. Partout, madame Mimie a porté le message d’une mère de famille qui vivait dans son quotidien les angoisses face à ses limites, voire son incapacité parfois à venir en aide à un fils atteint d’une maladie mentale sévère. Partout ce message était écouté et entendu. Il ne suffisait pas, ici, de démontrer chiffres à l’appui la nécessité d’une telle ressource pour la Baie-des-Chaleurs. Il fallait, pour que le message soit entendu et compris, qu’il soit porté par une personne qui vivait le problème de l’intérieur. Là a été le rôle déterminant de Madame Mimie dans l’aboutissement du projet.

De ces multiples rencontres, de tout ce travail acharné qui a nécessité des années de dur labeur, est né en 1998, l’Oasis de la Baie-des-Chaleurs, une maison chaleureuse pouvant accueillir sept personnes pour des périodes de un à deux ans et une autre en dépannage. Très rapidement, cette ressource est devenue, dans tout notre territoire, un outil indispensable et incontournable dans la continuité des soins aux personnes souffrant de troubles mentaux sévères et persistants.

En même temps que prenait forme ce projet, un mouvement se mettait en marche, celui des parents. Appuyée par ces mêmes intervenants sociaux en santé mentale et avec la complicité d’autres parents vivant les même situations, madame Mimie s’investit dans une démarche visant à permettre aux familles et à leurs proches de sortir de leur isolement, de partager avec d’autres leur vécu au quotidien et de se rendre compte qu’en devenant solidaires les uns des autres, il était possible de provoquer un changement positif pour eux-mêmes et leurs enfants.

Ce long cheminement ponctué d’échanges fraternels, d’écoutes attentives, de peurs et d’espoirs partagés a fait en sorte que des personnes se sentant victimes impuissantes de la vie, sont devenues agissantes et moteurs de ce changement. À ses débuts, Madame Mimie fut au cœur de ce processus qui donna naissance à un organisme du nom de Nouveau Regard qui, depuis plus de vingt ans maintenant, donne des services aux personnes de toute la Baie-des-Chaleurs vivant avec un proche aux prises avec la maladie mentale.

Une suite à l’Oasis

Cependant, une ressource importante manquait dans ce champ d’action du rétablissement des personnes aux prises avec la maladie mentale. Madame Mimie nous rappelait toujours qu’il fallait absolument « donner une suite à l’Oasis ». Et cette « suite », ce devait être un immeuble à logements dédié aux personnes vivant avec une maladie mentale. Un endroit où, après avoir réappris à apprivoiser le quotidien, il serait possible de se faire un chez-soi bien à soi, sans la peur d’être jugé ou regardé de travers à cause de comportements dérangeants ou pire, évincé.

« Pourrais-tu passer chez moi cet après-midi, me dit-elle au téléphone, je veux te parler d’un projet. » Elle avait déjà en tête et sur papier les premiers éléments de ce projet de logements.

À la suite d’une rencontre en comité avec madame Mimie, où les principales bases du projet furent discutées, le tout fut mis en branle. Ainsi, après quatre ans de travail, un immeuble de six logements consacrés exclusivement aux personnes souffrant de maladie mentale était devenu réalité dans la Baie-des-Chaleurs. Dans ce projet, madame Mimie ne put accompagner l’équipe dans le processus de réalisation, mais ce fut elle qui « alluma la mèche », qui fit jaillir l’étincelle et l’énergie pour le mener à terme.

Dans tout ce qui s’est réalisé et décrit ici, elle fut une inspiration pour tous ceux et celles qui ont eu à la côtoyer.

Par son témoignage d’espoir indéfectible en la vie, elle mérite aujourd’hui notre reconnaissance.

Aujourd’hui, pas une fois je ne la rencontre sans qu’elle me parle avec fierté de ce qui fut réalisé au cours de ces années, principalement de l’Oasis, là où son fils passa les dernières années de sa vie.

A l’aube de ses 93 ans, elle exprime toujours cette même confiance en la vie. La dernière fois que je l’ai rencontrée, elle me disait, tout sourire : « As-tu vu comme le soleil est beau aujourd’hui, comme il fait beau ! La vie est belle, tu ne trouves pas… ? »

Ce texte est publié avec l’autorisation de Madame Mimie.