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3 février 2016 10 h 16

MAL DE COEUR DE POMME

Bilbo Cyr

Blogueur

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Les règles du ministère disent que ça doit être présenté au public et ça l’a été. C’est quand même la faute de personne à part celle des absents si nous étions si peu nombreux. Si on enlève ceux qui étaient payés pour être là et ceux qui ont un intérêt financier personnel, il ne reste pas grand monde. En résulte un exercice stérile et épuisant de dialogue de sourd aux apparences et aux convenances soignées, sur un document qui a déjà été approuvé par les élus qui disent nous représenter. On verra ce qui a été retenu de ce qui a été dit. Causez toujours.

La soirée s’est déroulée dans une relative indifférence, à attendre la  période des questions comme au conseil municipal. Elle fut décrétée terminée. On ne va quand même pas y passer la nuit. Vous vouliez parler : c’est fait. On peut procéder.

J’ai quand même appris des choses. Vu que vous n’y étiez pas, mais que vous êtes rendus ici dans votre lecture, je présume un certain intérêt. Alors je veux bien, pour que le spectacle n’ait pas été totalement vain, vous communiquer  quelques miettes de clarté qui ont scintillé à travers le brouillard de faux-semblants et de non-dits. Parfois au détour d’une circonvolution langagière ou d’une tentative plus grossière de noyer le poisson en répondant à côté de la question, une perle se glisse par inadvertance. On peut essayer aussi fort qu’on veut, avec les moyens qu’on a : on se raconte des histoires pour sauver les apparences, mais la  game est jouée depuis longtemps, et les petits roitelets exultent de nous tenir par le sac…à vidanges.

Je vais donc vous en raconter une histoire. Elle commence quand Monsieur X, citoyen moyen, jette à la poubelle un cœur de pomme. Ce geste banal  vient d’engendrer la chaine de gestion des matières résiduelles : nos déchets. Dans le sac, dans la poubelle de la cuisine, le cœur de pomme appartient encore à Monsieur X, mais dès qu’il est déposé au bord de la route, il devient la propriété de la municipalité, qui devra le faire transporter, ça sera pas gratuit,  jusqu’à un lieu de disposition  approprié. Un contrat de transport sera donné pour le ramassage et par magie la poubelle se videra chaque semaine au bord du chemin. Fiable et pratique. Pour la municipalité, la responsabilité s’arrête là. Le petit cœur de pomme est rendu loin déjà. Il s’en va là où ils finissent presque tous.

Un camion de vrac, à la pesée. Petit cœur de pomme pèse pas lourd dans le tas, mais il est là. En tas, là, dans un mélange de tout et de rien et de bien d’autres choses aussi. Nos restants d’habitudes et tout ce qui se jette. Ça finit enfoui. « Quessé tu veux, on va pas commencer  à trier à la gate!? » Ti cœur de pomme se retrouve jeté avec le reste, entre un chiffon et un sac avec un restant de patates. Pis y pourrit là comme le font normalement les cœurs de pomme. Mais il manque un peu d’air pour se décomposer et faire germer des pommiers, comme le font normalement les cœurs de pomme. Il est coincé sous le sac. Alors il fait du jus. Au lieu de partir à germer vers le haut, il part à juter vers le bas.
Jus de cœur de pomme rencontre jus pelures de patates, et comme la gravité est inévitable, ils fusionnent à l’instant, et rencontrent alors jus de batterie, qui fusionne aussi. Ben oui! On n’est pas supposés les jeter à la poubelle, mais ça arrive. Tous les jus de pelures  et de cœur de pommes et de secrets des voisins s’unissent en un ruisseau. Jus de café, jus de couche, jus de pamplemousse, jus louche de guenille de crasse.  Tous. Remplissent les creux et les mous poreux de nos restants gras. Trainent là jusqu’à ce que la compaction les jette dehors.

Tout ce jus  percole vers le fond  comme un café bien corsé,  est  pompé-oxygéné-neutralisé-rejeté dans le cours d’eau qui a et aura une capacité de dilution suffisante, pour des siècles et des siècles. Amen!

Ça respecte les normes, les règles, les lois, les demandes, les commandements, les obligations, les formulaires, les exigences, les volontés, les soucis, les préoccupations, la participation du public, les demandes des ministères, les habitudes, les autorisations réglementaires, la transparence, les contingences et les circonstances…  Ti-cœur de pomme sort de là étampé « bio », avec sa gang et vogue avec les flots.

Toutes les rivières vont à la mer. Rendu là, jus de cœur de pomme devient de juridiction fédérale, en se mêlant aux eaux de la baie. Provinciale, s’il est ingéré par un poisson débarqué à quai. Fédérale, s’il est ingéré par un oiseau migrateur. Internationale s’il finit assez loin. Dans le magma du « c’est pas chez moi » et des continents de plastique offshore. Jus de cœur de pomme et ses amis finissent de se diluer là où on dump le jus de ballast. La bas, là. Au large.

Ultimement tout finit là.  À la mer.  Elle est si grande et ils sont si nombreux partout à faire mille fois pire, une petite goutte de plus ne va rien changer.

Des contrats de vingt ans entre le seul dépotoir et les municipalités pour TOUTES les matières résiduelles, parce que dans mon histoire, ça se passe comme ça, ca limite un peu les options pour le jus de cœur de pomme de finir ailleurs que dans la baie, qui dans mon histoire se trouve là.

Dans mon histoire, l’eau de la rivière n’est plus potable. Ce ne serait pas la faute du jus de cœur de pomme, mais on tarde à le dire car il faudra aussi dire pourquoi, et par qui. Il parait que l’eau est déjà sale quand elle arrive à l’endroit où tous nos jus se rencontrent. Pour trouver la source des coliformes, on ne peut que remonter la rivière. Au pire, pour satisfaire la populace, on brulera un homme de paille. Ça se remplace. Il y en a déjà qui guettent la place.

Et si je lançait mon cœur de pomme par la fenêtre, peut-être qu’il poussera un pommier?

Mais histoire n’est pas terminée. Monsieur X sent éventuellement l’appel de la nature. Il dispose donc de sa pomme dans un endroit approprié de porcelaine blanche et d’eau claire. Dans son estomac et ses intestins, sous la pression des enzymes digestifs, elle s’est fusionnée avec son repas du matin en un magma brun et assez commun. Il tire la chasse de la toilette, en un geste universel et banal qui déclenche toute la chaine de la gestion des matières résiduelles.

Dès lors, le restant de pomme devient la responsabilité de la municipalité. Il sera pompé et acheminé vers le rudimentaire tamis qui sert de système de filtration, que l’on appellera, pour fin de compréhension ultérieure, un « dégrilleur ».

Dans mon histoire, Monsieur X habite un village qui n’est pas aux normes en termes de gestion des eaux usées. C’est gênant, mais ça arrive. Alors quand le restant de pommes-et-de-repas-du-matin, et tous les restants de pommes des voisins arrivent au dégrilleur, le liquide passe et le solide reste dans le tamis. Il devient alors une matière résiduelle comme les autres, propriété de la municipalité, qui devra le faire transporter, et ça ne sera pas gratuit, jusqu’à un lieu de disposition  approprié. Un contrat de transport sera donné pour le ramassage et par magie le tamis se videra chaque semaine sans qu’on se mette les mains dedans. Fiable et pratique. Pour la municipalité, la responsabilité s’arrête là.

Comme si l’ultime préoccupation pour le traitement de nos déchets, c’était de les entasser en vrac, à la dump. Comme si le fait d’être en aval ne nous condamnait pas à revoir notre jus de nature passant par là.

Tant que les municipalités seront tenues par ce contrat de vingt ans (élaboré par qui, on peut se le demander), les démarches de réduction des déchets à la source seront contrecarrées de façon systématique. Les plans de gestion des matières résiduelles des MRC ne peuvent être autre chose que de la poudre aux yeux, destinée à faire taire le rare public pour qui la responsabilité ne s’arrête pas en mettant la poubelle au chemin.