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9 janvier 2016 12 h 09

MURDOCHVILLE, JANVIER 1953

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Parions qu’il a été question du désir de se regrouper, d’unir les forces des travailleurs pour établir un rapport de négociation avec la grande entreprise, en cette période de chasse aux sorcières tant chez nos voisins du Sud qu’au Québec où le très unioniste Maurice « Le Noblet » Duplessis assume sa suprématie politique avec le concours de l’Église catholique.

Car, à peine quelques semaines plus tard, le 29 janvier 1953, avec l’appui du Syndicat des Métallurgistes-unis d’Amérique, une demande d’accréditation syndicale est déposée à la Commission des relations ouvrières du Québec (CRO) qui opposera d’ailleurs un non à la requête. Ce mois de janvier 1953 sera la bougie d’allumage de toute une série d’événements qui marqueront l’histoire des relations de travail au Québec. D’ailleurs, dès le mois suivant, en février 1953, les évènements commencent à se bousculer avec le congédiement du président et du vice-président du jeune syndicat en devenir. De plus, durant ces mêmes années, une deuxième organisation syndicale voit le jour avec une affiliation au Conseil des métiers et du travail du Canada (CMTC).

En 1957, le CMTC fusionne avec le Congrès du travail du Canada (CTC). Insatisfait de cette allégeance, les travailleurs de Murdochville profitent de la fin de leur convention collective pour dissoudre leur syndicat et mettre sur pied une nouvelle organisation qui serait affiliée aux Métallurgistes Unis d’Amérique. Pas moins de 80% des 900 employés de la compagnie signent leur adhésion à la nouvelle entité syndicale. La Commission des relations ouvrières du Québec (CRO) est alors saisie d’une requête en accréditation pour que le syndicat soit reconnu légalement.

Fortement opposée à la présence des Métallos, une organisation très militante, la compagnie Gaspé Copper Mines, avec l’accord tacite du gouvernement Duplessis, multiplie les délais juridiques pour freiner l’instauration du nouveau syndicat. Le 8 mars 1957, elle congédie tout bonnement le président, Théo Gagné, de même que plusieurs travailleurs impliqués dans le syndicat. En réaction, trois jours plus tard, le 11 mars, les travailleurs déclenchent une grève générale et cela, même s’ils n’ont pas encore obtenu leur nouvelle accréditation syndicale, la Commission des relations ouvrières n’ayant toujours pas émis le certificat de reconnaissance. Compte tenu qu’il s’agit d’une grève illégale, le ministre du Travail refuse d’intervenir dans ce conflit de travail.

Dans ce contexte de grève, Murdochville devient le théâtre d’une bataille qui déborde du cœur de la Gaspésie et met en scène, dans un climat extrême, les presque 1000 travailleurs en grève, une bonne centaine de policiers, des fiers-à-bras et des centaines de briseurs de grèves engagés par la compagnie.  En juillet, les grévistes tentent de faire exploser une infrastructure de la mine avec le résultat qu’un syndiqué y perd la vie. La tension est à son comble dans la petite ville enclavée dans les montagnes.

La journée du 19 août demeure dans les annales des relations de travail tant au Québec qu’au Canada. Dans les rues de Murdochville, une manifestions rassemble quelque 500 grévistes, aux côtés desquels marchent les syndicalistes Jean Marchand, Louis Laberge et Michel Chartrand, l’intellectuel Pierre-Elliot Trudeau, de même que le journaliste René Lévesque. Une manifestation qui sera suivie de nombreux actes de saccage menés par les fiers-à-bras poursuivant les syndiqués. Puis le 2 septembre, plus de 5000 personnes défilent devant le parlement de Québec pour dénoncer la situation vécue par les travailleurs de Murdochville.

Après 7 mois de conflit, la grève prend fin le 7 octobre, marquée par un effritement du militantisme et de la résistance syndicale, et par une situation financière difficile pour de nombreux syndiqués. Les travailleurs en sont les grands perdants. Tous ne seront pas réengagés et plusieurs subiront des baisses salariales. Alors que la grève se termine, la Commission des relations ouvrières émet finalement le certificat de reconnaissance syndicale.

Collectivement, cette grève a permis de mettre en branle des processus de changement dans les relations de travail au Québec. Suite au décès de Maurice Duplessis en 1959, son successeur Paul Sauvé, à la tête du gouvernement unioniste, dépose le « Bill 8 » qui vient reconnaître le droit d’association et l’ouverture aux mouvements de syndicalisation, tout en excluant désormais les congédiements pour activités syndicales. Réformant également la Commission des relations ouvrières, cette loi apporte de nouvelles donnes dans les relations de travail au Québec.

En 1960, l’élection du gouvernement libéral de Jean Lesage annonce la mise en œuvre de la Révolution tranquille, ce vaste mouvement de renouvellement des idées et des structures québécoises. Pour l’historien Jean-Marie Thibault, la grève de Murdochville est intimement liée à la Révolution tranquille. En fait, selon lui, la Révolution tranquille débute à Murdochville.  Ni plus, ni moins.